Les opportunités arrivent, le moment pour les saisir viendra

Benjamin Melman, Edmond de Rothschild Asset Management

3 minutes de lecture

Si les économies occidentales ralentissent, la Chine devrait repartir. Les occasions restent nombreuses, tant au sein du monde obligataire que des actions.

La guerre en Ukraine se poursuit sans la moindre perspective de changement. Les livraisons russes d’énergie à l’Europe se réduisent, soit à l’initiative de l’Europe, soit de la Russie. L’épidémie de COVID-19 s’est durablement installée sur la planète avec de nouveaux variants qui s’enchaînent et continuent de chambouler les chaînes de production comme en Chine avec la politique zéro-COVID, probablement en place au moins jusqu’en novembre (date du vingtième congrès du Parti communiste chinois au cours duquel un troisième mandat pour Xi Jinping sera en jeu).

Un environnement médiocre

Si les prix des matières agricoles semblent globalement se stabiliser à de hauts niveaux depuis mars, les prix de l’énergie ont poursuivi leur rapide ascension. La pression inflationniste additionnelle, dans un contexte de demande soutenue, ne fait qu’accroître le décalage de ces banques centrales qui souhaitaient tant attendre le retour au plein emploi avant de songer à durcir leur politique monétaire. Des signes de désencrage d’anticipations d’inflation commencent à apparaître aux Etats-Unis.

L’ancien chef économiste du FMI, Olivier Blanchard, estime qu’il faudra que la Fed pousse ses taux directeurs jusqu’à 5%.

Dans ce contexte, les banques centrales ont considérablement fait évoluer leurs discours. Les investisseurs - à l’heure où nous écrivons - anticipent autour de 280 points de base de hausse de taux de la BCE à horizon 18 mois et de 230 points de base environ de la Fed en moins d’un an. Il s’agit d’un resserrement aussi rapide qu’impressionnant et dont la perspective a donné dès le printemps le vertige aux investisseurs au point qu’aucune classe d’actifs (monétaire inclus en Europe) n’a été en mesure de délivrer une performance positive depuis le début de l’année, une première depuis des décennies.

Le resserrement monétaire prévu par les marchés sera-t-il suffisant?

Les optimistes, les banquiers centraux en premier chef, considèrent ou du moins déclarent qu’il suffit de revenir vers le «taux neutre», au pire ponctuellement un peu au-delà, pour que l’inflation revienne relativement rapidement à la cible, sans trop de dommages collatéraux sur l’activité. Les sceptiques considèrent que même si la Réserve fédérale devait inscrire les fed funds autour de 4% (ce qu’anticipent actuellement les marchés), un tel niveau serait insuffisant pour calmer une inflation tendanciellement sur des rythmes plus élevés.

En effet, peut-on vaincre l’inflation qui s’est enclenchée avec des taux directeurs réels négatifs? A titre d’illustration, l’ancien chef économiste du FMI, Olivier Blanchard, estime qu’il faudra que la Fed pousse ses taux directeurs jusqu’à 5%. Les prochains mois seront déterminants pour savoir jusqu’à quel niveau de taux les marchés doivent anticiper le resserrement monétaire et donc rester sous tension. Si le ralentissement de l’inflation venait à s’enclencher rapidement, il serait plus facile pour les investisseurs de borner leurs anticipations sur le cycle de hausse de taux et d’attendre de voir comment atterrit l’inflation. Une telle phase serait sans aucun doute plus favorable pour les marchés car on pourrait espérer qu’elle permettrait aux banques centrales de limiter le risque de faire basculer l’économie en récession. Sans cela, vu le niveau d’inflation et les signes de désencrage des anticipations des ménages, les marchés pourraient très bien continuer à anticiper davantage de hausses de taux.

D’autres estiment que les banques centrales s’arrêteront à mi-chemin dans leur resserrement monétaire car elles ne seront pas en mesure de courir un risque de récession et/ou sur les conditions financières et qu’à l’instar des années 1970 (dans une version plus modérée toutefois), elles finiront par s’accommoder d’un régime tendanciellement plus inflationniste que leur cible. En effet, les banques centrales durcissent aujourd’hui le ton d’autant plus facilement que les tensions sur le marché du travail ne se relâchent pas. Mais sauront-elles ne pas lâcher trop tôt quand les conditions économiques seront plus difficiles?

En effet, à quel niveau de taux de chômage l’inflation américaine pourrait-elle revenir à la cible? Certains à la Réserve fédérale envisagent un taux de chômage à 4,1% pour stabiliser l’inflation comme le laisse à penser le jeu de prévisions fourni par les membres du Comité de politique monétaire (au travers des dots). Dans ce cas de figure, il faudrait donc que le taux de chômage remonte de 0,5%. Historiquement, une telle hausse s’est toujours accompagnée d’une récession. Si ces estimations sont fragiles, elles renforcent chez les investisseurs l’idée que la victoire contre l’inflation passe peut-être par une récession aux Etats-Unis. Si un très net ralentissement est aujourd’hui intégré dans les valorisations, la récession ne l’est pas.

De l’inflation à la déflation sans transition?

Se focaliser sur les seuls taux d’intérêts serait oublier que ce sont les conditions financières dans leur ensemble et sur lesquelles les banques centrales ont une influence considérable qui font le travail de la politique monétaire. Rappelons que la Réserve fédérale a commencé en juin le rétrécissement de son bilan à un rythme bien plus rapide que lors du premier quantitative tightening, une politique qui avait alors durci les conditions financières en 2018. On ne peut exclure, comme au quatrième trimestre 2018, un dérapage des marchés qui poserait un nouveau dilemme pour les banques centrales. Faudrait-il alors prendre le risque de desserrer la politique monétaire, et donc de faire marche arrière, pour dégeler les marchés au risque de perdre une crédibilité déjà très malmenée ces derniers mois dans la lutte contre l’inflation?

Il n’a jamais été aussi apparent que plus les banques centrales sont en retard dans le cycle de resserrement monétaire, plus les risques sont importants.

Au regard de la dette accumulée dans le secteur privé, un accident sur les marchés lié au tarissement de la liquidité et confirmé par les banques centrales amorcerait un vaste mouvement de désendettement qui risquerait de faire migrer le thème de l’inflation à la déflation sans transition. La BCE tente de créer un schéma «antifragmentation» qui lui permettrait de durcir les conditions financières tout en contenant les spreads des pays «périphériques». S’il est trop tôt pour qualifier le succès de l’opération, il faut souligner la capacité des banques centrales à innover pour atteindre l’objectif de lutte contre l’inflation sans compromettre la stabilité financière.

L’économie mondiale plie mais ne rompt pas

Il n’a jamais été aussi apparent que plus les banques centrales sont en retard dans le cycle de resserrement monétaire, plus les risques sont importants car on peut envisager des scénarios néfastes où les banques centrales seraient ou bien trop laxistes, ou bien trop restrictives (en cas de krach sur les marchés financiers). Il leur faudra beaucoup de doigté pour atteindre leur objectif sans causer trop de dégâts. La bonne nouvelle est qu’elles rattrapent leur retard et qu’en dépit de l’environnement géopolitique et des marchés très chahutés, l’économie mondiale plie mais ne rompt pas.

Si les économies occidentales ralentissent, la Chine devrait repartir. Il est possible que la désinflation soit juste devant nous. On observe depuis quelques semaines un net repli homogène des prix des matières premières maintenant que le marché s’inquiète de la croissance. Par ailleurs, après la pénurie, certains secteurs sont peut-être déjà en excès de stockage, ce qui doit faciliter les problèmes de livraisons et commencer à créer des pressions baissières sur les prix.

Nous restons à ce stade encore prudents dans notre allocation mais sommes à l’affût pour renforcer les expositions car ce ne sont plus les opportunités qui manquent, tant au sein du monde obligataire (dette émergente ou à haut rendement) que des actions.

A lire aussi...