De belles opportunités sur un parcours semé d'embûches

Benjamin Melman, Edmond de Rothschild Asset Management

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Des opportunités au sein des marchés d’actions mais aussi sur les marchés obligataires.

L’irruption très récente du variant Omicron rappelle que l’épidémie demeure un facteur de risque important quant aux perspectives. Il est encore trop tôt pour en mesurer les effets. La rapidité avec laquelle les vaccins à ARN messager peuvent s’adapter et le fait que les nouveaux traitements fonctionneront très vraisemblablement aussi avec le variant permettront au pire de décaler la reprise si elle devait être ponctuellement pénalisée, sans pour autant la remettre en cause.

CROISSANCE FORTE, ATTENTES FAIBLES

Avant même l’arrivée du variant, les analystes demeuraient prudents quant à leurs prévisions de croissance de bénéfices pour 2022, de l’ordre de 7% pour les principaux indices, non pas par crainte de détérioration des marges mais par anticipation d’une hausse modérée des ventes qui n’est ni en ligne avec notre scénario économique ni avec celui du consensus. Dans un contexte de croissance mondiale qui devrait rester solide, les investisseurs doivent trouver le point d’ancrage qui devrait favoriser le comportement des actifs privés.

INFLATION ET BANQUES CENTRALES, DES PLAQUES TECTONIQUES EN MOUVEMENT

Si les perspectives sur les bénéfices ont de quoi rassurer, l’incertitude se concentre sur les anticipations d’inflation des investisseurs. En effet, l’inflation a disparu depuis si longtemps que la très grande majorité des investisseurs ne la connaissent plus que de nom, son ADN restant par ailleurs mystérieux. L’inflation est-elle un phénomène monétaire? Elle est restée particulièrement faible au lendemain des injections massives de liquidités ayant suivi la faillite de Lehman Brothers. L’inflation est-elle issue de la courbe de Phillips qui met en évidence une corrélation avec le taux de chômage? Elle est restée basse il y a deux ans quand le taux de chômage américain atteignait 3.6%, un niveau qui avait à la fin des années 1960 accompagné la vague d’inflation. C’est peut-être le scepticisme né lors de la dernière décennie quant à la capacité de l’inflation à repartir qui justifie aujourd’hui la grande sérénité des marchés sur le caractère temporaire de cette inflation et que l’on retrouve dans les valorisations des marchés. Toutefois, plus l’inflation à court terme perdurera, plus le risque augmente que cette croyance finisse par être challengée. Par ailleurs, le débat consiste actuellement à savoir si l’inflation est d’abord liée à la désorganisation ponctuelle de la chaîne de production mondiale (qui plaide pour une inflation temporaire) ou bien si elle est essentiellement imputable à un excès de demande (comme cela pourrait être le cas aux Etats-Unis et qui militerait pour une inflation plus structurelle nécessitant des politiques plus restrictives). Si l’inflation devait se poursuivre en 2022 à un rythme supérieur en dépit du retour progressif à la normale de la supply chain, les anticipations concernant les actions des banques centrales seraient également bousculées.

Dans ce contexte, la Fed et la BCE cherchent davantage d’optionalité, à garder la capacité de pouvoir resserrer plus rapidement leur politique monétaire si nécessaire tout en accélérant éventuellement le tapering. Cependant, le ton a changé, Jerome Powell déclarant que l’inflation n’est plus un phénomène temporaire mais persistant. Les équilibres deviennent précaires, les marges de manœuvres plus faibles. Est-il bien raisonnable que les investisseurs n’anticipent que 0.5% de hausse de taux de la Fed en 2022 si l’inflation constitue un problème? Si notre scénario central est que les deux banques centrales arriveront à faire le minimum nécessaire pour empêcher que dérivent les anticipations d’inflation, il y a une probabilité significative que les marchés testent la détermination des banques centrales à contrer l’inflation, créant de la volatilité sur l’ensemble des marchés.

UN ENVIRONNEMENT POLITIQUE PLUTÔT LOURD

2022 sera riche en événements politiques. Au niveau global, la montée des tensions autour de Taïwan et de l’Ukraine constitue un sujet de vigilance. Au niveau européen, le désaccord persistant post-Brexit entre le Royaume-Uni et l’Union européenne concernant le protocole sur l’Irlande du Nord comme sur la pêche risquerait, dans un scénario extrême, de détricoter l’accord global sur le Brexit. Par ailleurs, les élections présidentielles françaises resteront à surveiller, même si la disparition du thème Frexit de la campagne électorale réduit en partie l’enjeu pour les investisseurs. Au Brésil, le niveau de tension accompagnant la préparation des élections présidentielles invite à une certaine prudence sur le pays, même si elle est déjà bien présente chez les investisseurs.

L’INFLATION, UN FOCUS AMÉRICAIN ET UN PROBLÈME POUR TOUTES LES CLASSES D’ACTIFS

Un dérapage des anticipations d’inflation pénaliserait non seulement les marchés obligataires mais aussi les marchés d’actions. Tant que la question de la stabilité des anticipations d’inflation ne sera pas réglée, nous considérerons que dans un portefeuille, la diversification entre classes d’actifs a toutes les chances d’être faussée. A ce titre, nous préférons prendre du risque sur les marchés d’actions que sur les marchés obligataires, les premiers ayant un potentiel de hausse plus évident dans un contexte de reprise. De même, si les actifs émergents aux valorisations relatives attractives offrent d’emblée une opportunité, c’est lorsque la visibilité sera meilleure sur les anticipations d’inflation et les banques centrales que le contexte sera le plus propice pour en bénéficier.

UNE APPROCHE GÉOGRAPHIQUE ET FACTORIELLE ÉQUILIBRÉE

Au sein des marchés d’actions, nous privilégions une approche géographique et factorielle équilibrée. Les actions japonaises, qui ont sous-performé en 2021, gardent un potentiel de rebond plus marqué sous l’effet de la poursuite de la reprise mondiale sur laquelle les entreprises nipponnes ont un levier élevé et du plan de relance domestique. Enfin, vu l’extrême faiblesse de l’inflation japonaise, le marché nippon ne souffrirait pas de risques de durcissement de la politique économique si l’inflation devait se poursuivre au niveau mondial. Les actions européennes devraient également réaliser un parcours intéressant grâce à une politique fiscale accommodante ainsi que la capacité des entreprises européennes à capter la reprise mondiale. Concernant la Chine, au-delà de l’état de santé réel du secteur immobilier sur lequel nous aurons plus d’éléments d’informations au premier trimestre lors des importants paiements de coupon et remboursements des dettes des promoteurs, la question est de savoir quelle place demeure pour le secteur privé après l’avalanche de mesures réglementaires très contraignantes. Il faudrait vraisemblablement une clarification politique avant que les investisseurs reprennent confiance pour donner au marché un véritable élan. L’Inde s’est affichée comme la révélation de l’année avec une très forte performance des indices boursiers, en dépit de l’envolée des prix des matières premières, notoirement contreproductive pour ce marché. Le statut de l’Inde change: les réformes de ces dernières années (qui se sont traduites par une forte amélioration du pays dans les classements «ease of doing business») font miroiter un potentiel considérable pour ce pays à la dette totale si faible et aux perspectives démographiques assurées. Le boom de l’immobilier, qui n’a rien de spéculatif, met en exergue l’émergence d’une classe moyenne avec une nouvelle génération de besoins. La floraison d’introductions en Bourse d’entreprises de la nouvelle économie transforme la nature même de ce marché. L’Inde est devenue une thématique de croissance au moment où la visibilité sur la Chine se trouble: c’est un investissement à renforcer sur repli.

Au-delà de la dimension géographique, nous restons focalisés sur nos thématiques de moyen terme dont l’intérêt s’est amplifié avec la crise du Covid-19: le Big Data et l’accélération de la digitalisation, le capital humain avec la reprise d’une forte mobilité sur le marché du travail, la santé et la transition énergétique vu l’ampleur des investissements à réaliser.

Au sein des marchés obligataires, la baisse de la visibilité des investisseurs sur le comportement ultérieur des banques centrales plaide pour une approche prudente sur le marché du crédit et a fortiori sur les obligations gouvernementales. Dans ce contexte, nous favorisons une approche flexible dans un contexte mouvant en privilégiant les durations plus courtes ainsi que les obligations subordonnées financières.

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