Les banques centrales au cœur de la lutte pour le climat

Philippe Waechter, Ostrum AM

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L’intégration d’objectifs climatiques dans la politique de la BCE servirait de cadre aux autres banques centrales. Un «Brussels Effect» à l’échelle monétaire.

Les banques centrales n’appréhendent pas le changement climatique de la même façon. Si la BCE veut l’inscrire dans son ADN, la Fed est beaucoup plus réservée, à l’instar de la Banque de Chine. La prise en compte du changement climatique par une banque centrale oblige à un changement de son cadre d’analyse, la mise en place d’outils très puissants pour infléchir les comportements et la capacité à tenir compte des engagements passés pour garantir la stabilité financière.

Le climat, pomme de discorde des banques centrales

Les banques centrales ont été au cœur de la régulation conjoncturelle ces dernières années, atténuant ainsi les contraintes pour le retour de la croissance. Leurs actions ont été coordonnées et coopératives pour réduire les risques sur l’activité et l’emploi.

De longue date, elles ont souhaité agir de concert pour donner la meilleure réponse aux dysfonctionnements de l’économie globale. En cela elles ont été efficaces.

La conférence «Green Swan» organisée récemment
par la BRI n’a pas abouti à un agenda commun. 

Cette belle harmonie s’évapore lorsqu’il s’agit du changement climatique. Ainsi, la conférence «Green Swan», organisée récemment par la Banque des Règlements Internationaux (BRI) et qui rassemblait les dirigeants des banques centrales européenne, américaine et chinoise, n’a pas abouti à un agenda commun. 

En effet, Yi Gang indiquait que la PBoC, bien que devant alerter sur le thème du changement climatique, ne pouvait en faire son cheval de bataille. Jay Powell, quant à lui, estimait que ce n’était pas un sujet pour la Fed. 

La BCE, quant à elle, par la voix de sa présidente Christine Lagarde, souhaite, dans le cadre de la révision de sa stratégie, inscrire le changement climatique dans sa propre fonction de réaction. Puisqu’elle n’a pas de compte à rendre directement à chaque gouvernement de la zone euro, la BCE n’est pas enferrée dans un rapport de force trop contraignant avec les gouvernements européens. Par ailleurs, elle se doit d’avoir une politique cohérente avec les politiques mises en œuvre par l’Union Européenne et la lutte contre le changement climatique en fait clairement partie. 

Cette différence entre les banques centrales ne sera pas sans conséquences face à une potentielle intégration d’objectifs climatiques dans leurs lignes directrices. Leurs fonctions de réactions seront différentes, ce qui va altérer la relative homogénéité constatée entre les banques centrales.

Que peut faire une banque centrale?

Face au changement climatique, la situation du banquier central est modifiée sous trois aspects.

Le premier de ces aspects est la définition d’un nouveau cadre d’analyse. Ainsi, le cadre habituel dans lequel s’inscrit l’action de la banque centrale est celui du cycle conjoncturel puisque son rôle est de permettre à l’économie de fluctuer autour de son potentiel sans tensions excessives. Or, L’échelle du changement climatique est beaucoup plus vaste et son analyse se fait sur des décennies.  Les chocs infligés par le changement climatique sur la croissance, la formation des prix et l’inflation imposeront aux banques centrales de disposer d’une fonction de réaction qui tiendra compte des différents horizons, court et long termes. Le court terme pour la gestion de la conjoncture monétaire en phase avec l’environnement économique et le long terme pour appréhender les impacts du changement climatique. En conséquence, les économistes devront rapidement changer leur cadre d’analyse de la politique monétaire des banques centrales. Le comportement des autorités monétaires va devenir encore plus complexe. Chacune rejoindra ce cadre, y compris la Fed, qui devra mettre en place une dynamique coordonnée très puissante mais très différente de ce qui a été fait jusqu’à présent.

Les banques centrales disposent d’outils pouvant être particulièrement
puissants pour accélérer la lutte contre le changement climatique.

Le deuxième aspect concerne l’action des autorités monétaires. La banque centrale est en interaction permanente avec les différents acteurs de l’économie. Que ce soit dans le cadre des achats d’actifs ou la gestion de la liquidité, les interactions sont multiples. Or, les banques centrales disposent d’outils pouvant être particulièrement puissants pour accélérer la lutte contre le changement climatique et faciliter la transition énergétique. Ces outils sont un levier fort de transformation des comportements qui peut provoquer des conditions financières plus avantageuses pour les entreprises qui jouent le jeu générant ainsi une sorte de «spread vert». La transparence qui y sera associée permettra des stress tests climatiques plus efficaces.

Comme l’a évoqué Isabelle Schnabel, membre du directoire de la BCE, à plusieurs reprises, une telle stratégie ne respecte pas le principe de neutralité (égalité de traitement) qui doit guider la politique de la BCE. Elle propose de le remplacer par un principe d’efficacité afin d’infléchir plus rapidement les comportements. L’économie ne dispose pas encore d’un prix du carbone efficace pour créer les incitations vers un équilibre et l’urgence face au réchauffement climatique réclame des mesures volontaristes. 

Ces deux éléments suggèrent que la neutralité de la politique monétaire puisse être écornée, comme elle l’est déjà dans le PEPP par exemple, avec deux conséquences principales. Si la banque centrale s’attache aux caractéristiques de chaque entreprise cherchant de la liquidité ou émettant des titres, elle se donne les moyens d’intervenir sur plusieurs fronts parce que la question du climat est multidimensionnelle. D’un autre côté, cela permet aussi d’écarter d’éventuelles bulles sur les obligations vertes si elle n’intervenait que par le bais d’un «quantitative easing» vert.

Enfin, le troisième facteur de changement pour les banques centrales issu de l’intégration d’objectifs climatiques proviendrait de la surveillance des déséquilibres issus du passé. Les banques ont financé largement la recherche, l’exploration et l’exploitation des énergies fossiles. Dans la transformation initiée et à venir de l’économie vers la transition énergétique, ces engagements peuvent porter des risques plus importants que ceux qui avaient été anticipés lors de la mise en place de ces financements. Dès lors, dans le cadre de la surveillance de la stabilité financière, les banques centrales peuvent exiger des fonds propres plus importants.

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