La peur du vide

Axel Botte, Ostrum AM

3 minutes de lecture

Statu quo de la BCE et faible volatilité propulsent les actifs risqués.

Une «sculpture invisible», représentant l’esprit de l’artiste et matérialisée par un certificat de propriété, s’est vendue 18’000 dollars cette semaine. Il est tentant d’y voir l’inanité de la création monétaire. L’excédent de liquidité conduit ces absurdités dans la droite ligne du développement des cryptomonnaies ou des jetons non-fongibles.

Le choix de la Fed d’ignorer la poussée inflationniste est aussi symptomatique de l’endogénéité de la politique monétaire. Les banques centrales engagées dans les politiques quantitatives n’ont plus le pouvoir d’aller contre les anticipations d’un marché, dont la fonction se réduit désormais à interpréter l’action de la Fed plutôt que les fondamentaux sous-jacents. Le système financier évolue hors-sol.

L’amélioration conjoncturelle en Europe, pourtant reconnue par une BCE qui décrit des risques équilibrés, n’appelle aucun ajustement monétaire. La croissance prévue pour 2021 est pourtant relevée à 4,6%. L’inflation se situera à 1,9% cette année, mais la BCE prévoit une rechute à 1,4% en 2023. Le rythme d’achat du PEPP a été maintenu au troisième trimestre. L’accélération des achats est calibrée afin de permettre la pleine utilisation de l’enveloppe de 1’850 milliards d’euros à l’horizon de mars 2022. La BCE entame aussi sa revue stratégique cette semaine. Les conclusions attendues pour la fin d’année coïncideront avec la fin du PEPP. Les anticipations pour une augmentation future de l’APP en remplacement du PEPP vont bon train.

Des ajustements techniques sont possibles, afin de réduire la pénurie de collatéral depuis mi-mars.
Aux Etats-Unis, l’attention des marchés se porte sur le FOMC

L’inflation accélère mais la conviction des intervenants est que la Fed ne réagira pas. L’IPC est pourtant ressorti à 5% en mai. Hors éléments volatiles, l’inflation se situe à 3,8%. La réouverture de l’économie se traduit par une nette inflexion des prix liés au transport notamment (automobile, aérien, …). La question essentielle est l’impact plus durable du coût des matières premières, des pénuries de main d’oeuvre et des pressions sur le logement. La contribution du logement va nettement augmenter à l’horizon de 12-18 mois. Il existe un écart inédit entre le nombre de postes ouverts (9,3 millions) et l’offre de travail. Un statu quo similaire à l’action de la BCE est le plus probable. En cas de surprise, une réduction du soutien au marché hypothécaire évoquée par Robert Kaplan (nonvotant au FOMC) est envisageable tant l’inflation du logement devient problématique. L’investissement spéculatif exclut désormais les familles de l’accès à la propriété. Des ajustements techniques sont possibles, afin de réduire la pénurie de collatéral depuis mi-mars.

Sur les marchés financiers, la perspective du maintien d’une politique accommodante jusqu’à l’été favorise la prise de risques et décourage les positions vendeuses de taux américains. Les fonds spéculatifs continuent d’accumuler les positions acheteuses sur le T-note en débouclant notamment leurs stratégies de pentification. Le dix ans américain a brièvement réagi à la surprise haussière sur l’IPC avant de replonger vers son point bas hebdomadaire à 1,43%. Les points morts sont également sous pression malgré un sursaut vendredi. L’aplatissement de la courbe assure en outre le succès des émissions de dix et 30 ans. Le 30 ans américain (-8pb sur cinq jours) s’échange autour de 2,15%. En zone euro, l’inaction de la BCE ravive l’intérêt pour la dette souveraine. Les données de PEPP bimestrielles rapportent une hausse de la duration moyenne achetée sur les emprunts publics. Le Bund replonge vers -0,27% dans le sillage du T-note. Les swap spreads ont tendance à s’écarter. Le BTP italien cote à 101pb. La syndication de dix ans italien a attiré une demande de 65 milliards d’euros. La Grèce plaçait également sans heurts 2,5 milliards de dix ans permettant une réduction des spreads swap à +82 pb. Même chose en Irlande. L’excès de liquidité cherche toujours à s’investir alors que se profilent les premières émissions de l’UE pour le financement du programme NextGen EU. Ces opérations débuteront par un emprunt à dix ans mais la maturité cible pour ce programme sera proche de 15 ans en moyenne. L’UE sera le principal émetteur de dette supranationale en euros au second semestre.

Les flux vers les actions européennes soutiennent les indices et compensent les introductions en bourse.

La politique accommodante tend à réduire la volatilité et à faire la part belle aux stratégies de portage. Les spreads de crédit IG en euros sont stables autour de 85bp contre Bund. Les niveaux sont similaires sur le marché américain. La BCE est très active sur le marché primaire. Près de 50% des transactions du mois de mai ont été effectués à l’émission. Cela concourt à la raréfaction des opportunités d’investissements pour les gestions sur les maturités intermédiaires à l’instar des conditions de marché tendues sur le segment 1-3 ans. Le high yield profite de l’environnement favorable aux actifs risqués. Les spreads ont diminué vers 290pb contre les références sans risque.

La baisse des taux revalorise les actions

Le Nasdaq s’adjuge 1,5%. La thématique de croissance à duration longue, représentée par la pharmacie, l’immobilier ou la technologie surperforment. A l’inverse, les cycliques, dont la chimie, refluent comme les banques pénalisées par l’aplatissement de la courbe. La communication des entreprises laisse présager de bonnes publications au second trimestre et un relèvement des projections annuelles. Les marchés d’actions valorisent davantage la dynamique des profits. Les flux vers les actions européennes soutiennent les indices et compensent les introductions en bourse. Les portefeuilles institutionnels s’ajustent avant la clôture semestrielle.

A lire aussi...