Le triple casse-tête de la BCE

Wilfrid Galand, Montpensier Finance

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La Banque centrale européenne doit à la fois maitriser l’inflation et défendre l’euro sans aggraver les fractures financières dans la région.

Maitriser l’inflation, défendre l’euro, le tout sans aggraver les fractures financières européennes, la tâche de la BCE en 2023 s’annonce herculéenne. Les prémices du programme seront annoncées le 15 décembre.

Depuis juillet dernier, la Banque centrale européenne s’est engagée résolument sur le chemin de la normalisation monétaire, mettant ainsi fin à des années de politique ultra accommodante, marquée par une expérimentation inédite de taux négatifs. En quelques mois, le taux à dix ans de la dette française est dès lors passé de 0,2% en janvier à près de 3% mi-octobre avant de refluer ces dernières semaines sous 2,5%.

Les prochains mois s’annoncent plus délicats. L’institution de Francfort doit en effet gérer simultanément trois enjeux complexes, parfois contradictoires, mais critiques pour sa crédibilité.

D’abord maitriser l’inflation. La BCE ne peut pas se cacher, comme la Fed, derrière un double ou même triple mandat – en l’occurrence inflation, chômage et taux d’intérêt bas à long terme – pour arbitrer son action. Son objectif est simple et unique : la stabilité des prix, qu’elle a elle-même défini comme une hausse annualisée «proche mais inférieure» à 2%.

Face à une accélération très rapide de la dynamique inflationniste, jusqu’à 10% en octobre sur la zone euro, la hausse des taux était inévitable. Mais la situation évolue très vite. La fluidification des chaines de valeur, symbolisée par la baisse importante des prix du fret maritime, la chute des prix du pétrole et la stabilisation des matières premières, permettent d’envisager sereinement que le pic soit derrière nous.

Une diminution rapide des indices d’inflation n’est donc pas à exclure, à l’image des Pays-Bas, dont l’inflation tutoyait les 17% en septembre avant de plonger sous les 10% en novembre. Mais d’autres pays, comme la France, qui a fait le choix de limiter la hausse des prix par des aides publiques massives, devraient à l’inverse, voir l’inflation progresser modérément. Dans ces conditions, pas simple de déterminer l’ampleur du resserrement monétaire encore nécessaire.

D’autant plus qu’un deuxième enjeu se dessine derrière l’inflation : la défense de l’euro. Depuis le début de l’année, celui-ci est en baisse de 7% face au dollar et cette faiblesse renchérit d’autant les matières premières importées et libellées en dollars, contrariant d’autant la lutte contre l’inflation. Même si la BCE n’a pas d’objectif de taux de change, elle ne peut laisser la monnaie unique trop se déprécier.

Sauf que, là aussi, la situation est devenue plus complexe. Après avoir plongé de 1,13 dollars pour un euro début janvier à 0,95 dollar fin septembre, l’euro s’est nettement redressé, gagnant 7% entre le 1er octobre et le 1er décembre et remontant au-delà de 1,05$. La possibilité d’une Réserve Fédérale plus prudente face au ralentissement simultané de l’inflation et de l’activité Outre-Atlantique a rendu les investisseurs plus sceptiques quant au potentiel d’appréciation du billet vert, et remis en cause une partie de la forte hausse enregistrée depuis le début de l’année.

Reste que l’euro demeure encore éloigné de son niveau considéré tacitement comme «d’équilibre» par la BCE, soit entre 1,10 et 1,20 dollars. La pression est donc certes moins forte à Francfort pour poursuivre les hausses de taux, mais elle demeure néanmoins réelle.

Tout compte fait, entre maîtrise de l’inflation – même si celle-ci tend à s’affaisser dans les dernières semaines – et défense de l’euro – même si sa faiblesse est moins criante – le chemin semble s’ouvrir pour poursuivre les hausses de taux jusqu’à la cible de 3%.

Mais décidément rien n’est simple pour la BCE. Car, à la différence de son homologue américaine, elle a la garde d’une Union Monétaire de pays souverains et dont les caractéristiques financières sont de plus en plus divergentes.

L’an prochain les pays de l’Union Monétaire vont solliciter les marchés obligataires à hauteur de 1200 milliards d’euros, un montant en hausse de 5% en un an. L’Italie sera l’emprunteur le plus important, avec 294 milliards d’euros de levées, suivi de très près par la France avec 290 milliards puis l’Allemagne et ses 240 milliards prévus en 2023.

Ces montants impressionnants devront être levés – théoriquement – avec un moindre soutien de la BCE, qui clame depuis plusieurs semaines sa détermination à faire baisser la taille de son bilan (plus de 9000 milliards d’euros) en diminuant ses achats sur le marché. Elle planifie ainsi de ne plus compenser totalement les 200 milliards de tombées d’obligations prévus dans les douze prochains mois. Même si la diminution était très progressive, on peut anticiper qu’a minima 100 milliards d’achats de la part de la BCE ne seront pas au rendez-vous l’an prochain, soit un peu plus de 8% des levées anticipées.

Les conséquences de ce moindre soutien sont très incertaines à ce stade. La dette italienne, point de référence traditionnel d’une possible « prime de désintégration » de la zone euro lorsque le spread avec l’Allemagne franchit les 250 pbs, sera particulièrement surveillée. Sans oublier la dette française, mise sous pression récemment par S&P, inquiet du manque de ressort de l’économie et du manque de discipline budgétaire de l’Hexagone.

Or la BCE est d’abord et avant tout le garant en dernier ressort de l’intégrité de l’Union Monétaire et de la pérennité de la monnaie unique. Il lui appartiendra donc de trouver le bon équilibre entre la solidité du système financier, l’impératif de stabilité des prix, et la nécessité de diminuer son bilan. Sa crédibilité en dépend. Le consensus attend 0,50% de hausse des taux le 15 décembre mais la tonalité du discours de Christine Lagarde sera attentivement suivie par les marchés.

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