Le silence de la Fed

Axel Botte, Ostrum AM

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Le Président de la Fed, Jerome Powell, considère que l’institution est encore loin de ses objectifs d’emploi et d’inflation.

© Keystone

La Fed ignorera délibérément la poussée inflationniste ouvrant la voie à de nouvelles tensions sur les taux. Le Nasdaq recule. Le crédit résiste à la volatilité des taux et les actions progressent en Europe.

L’intervention de Jerome Powell était très attendue. Le Président de la Fed considère que l’institution est encore loin de ses objectifs d’emploi et d’inflation. Sa politique d’intervention sur les marchés demeure calibrée à 120 milliards de dollars d’achats d’actifs par mois. L’accélération des prix est jugée transitoire et la Réserve Fédérale ne semble pas disposée à modifier sa politique tant que les anticipations d’inflation restent compatibles avec l’objectif de stabilité des prix. Ce faisant, Jerome Powell s’expose à un mouvement de marché spéculatif.

Le bras de fer entre la Fed et les marchés financiers va sans doute se déplacer sur le terrain des anticipations d’inflation. Il existe d’ailleurs un précédent. Lors d’un discours à Jackson Hole à l’été 2014, Mario Draghi s’était félicité du fort ancrage des anticipations d’inflation à moyen terme… puis, en quelques semaines, les points morts à terme (swap d’inflation 5 ans dans 5 ans) avaient rapidement décroché invalidant l’argument et forçant la main de la BCE, qui lancera finalement un programme d’assouplissement quantitatif. Si la Fed veut intervenir pour limiter l’emballement des taux, une opération Twist parait l’instrument le plus plausible. L’institution détient 885 milliards de dollars de T-bills et de Treasuries qui arrivent à maturité en 2021 (soit l’équivalent de 11 mois du QE actuel sur les Treasuries). La Fed pourrait redéployer ces montants sur les obligations à long terme. En effet, lors de la précédente opération Twist, les achats d’emprunts fédéraux étaient concentrés sur les maturités supérieures à 6 ans. En outre, cela permettrait d’améliorer les conditions de liquidité sur le marché du repo, qui fait face à une raréfaction du collatéral par suite de la décision du Trésor de réduire ses émissions de T-bills. Le repo se négocie ainsi au plus bas à -3% sur certaines souches très recherchées. La question de la répartition des achats entre MBS et Treasuries n’a pas été abordée. Il s’agit pourtant d’une alternative pour assurer le financement de l’Etat fédéral. L’embellie sur le marché du logement fait pourtant craindre une bulle immobilière. La prudence de la Fed semble en décalage avec la réalité économique. L’économie américaine a déjà effacé la pandémie avec une croissance de l’ordre de 10% en termes annualisés au premier trimestre, avant même la mise en œuvre d’un plan budgétaire de 1900 milliards de dollars. L’emploi s’améliore rapidement avec 465000 emplois privés créés en février et un taux de chômage de 6,2%. Le discours de la Fed (statu quo sur les taux jusqu’en 2023) sera d’autant plus difficile à tenir que l’accélération des prix portera l’IPC au-delà de 3% au printemps.

Les conditions financières restent très favorables aux émetteurs,
l’activité primaire se maintient à hauteur de 17 milliards d’euros.

La pression du marché va s’accentuer. Le T-note teste le seuil de 1,60% et le 30 ans perce le plafond de 2,30%. Ces deux échéances seront adjugées la semaine prochaine. Le spread 2-10 ans se tend à 143pb. Le consensus vendeur de Treasuries s’amplifie selon les enquêtes de positionnement. Les volumes de puts sont deux fois supérieurs aux calls traités. Le dollar se renforce contre toute devise. La hausse des rendements du T-note semble attirer les intérêts étrangers, japonais notamment. A l’inverse de la Fed, la BoJ exclut de laisser dériver le rendement des JGB (10 ans ciblé à 0%) occasionnant un rally des emprunts japonais vers 0,10% et une accélération du dollar-yen au-delà de 108. Le Renminbi s’ajuste après la révision de la projection de croissance du gouvernement pour 2021 à 6%.

En zone euro, le Bund semble stabilisé autour de -0,30% malgré une communication hasardeuse des membres de la BCE préfigurant un conseil houleux le 11 mars prochain. La BCE laissera néanmoins sa politique inchangée, le PEPP offrant déjà les marges de manœuvre nécessaires. La plupart des spreads souverains se sont légèrement écartés. Les flux vers la dette souveraine ralentissent. La première émission verte italienne (avril 2045) a attiré une demande de plus de 80 milliards d’euros, mais a tout de même pesé sur les BTPs environnants. Le BTP 10 ans s’affiche autour des 106pb en clôture. Au Royaume-Uni, l’annonce du budget a pesé sur le Gilt. Les émissions britanniques s’élèveront en effet à 234 milliards d‘euros au cours de l’année fiscale, soit 20% au-dessus des anticipations.

Les marchés du crédit, y compris sur les marchés de CDS, restent étonnamment résilients à la volatilité des taux et à la faiblesse des marchés d’actions. Le spread moyen sur l’IG euro ressort à 89pb contre Bund. On observe des arbitrages de valeur relative privilégiant les obligations plus courtes au détriment du long. Les conditions financières restent très favorables aux émetteurs, l’activité primaire se maintient à hauteur de 17 milliards d’euros. Les récentes émissions vertes affichent une prime moyenne de 5pb. Le marché du high yield résiste aux sorties de fonds persistantes notamment aux Etats-Unis.

Le marché des actions européen progresse sur cinq séances grâce aux publications favorables (15% au-dessus des attentes en moyenne) en particulier dans les secteurs cycliques décotés. Les tensions sur les taux sont moindres qu’aux Etats-Unis mais la technologie européenne subit la dégringolade du Nasdaq (-7,5% en 11 jours). Les rotations sectorielles sont marquées. Les banques profitent de la hausse des taux et d’un potentiel de distribution compte tenu d’un excès de capital (14-16%). Le ROTE bancaire moyen de 8% devrait s’améliorer.

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