Depuis la crise de 2008, à chaque fois qu’un début de crise a émergé, les banques centrales et les États se sont empressés de colmater les brèches et ainsi empêcher toute propagation. Le duo de pompiers États-banques centrales a systématiquement réussi à éteindre les divers incendies qui se sont déclenchés au fil de ces dernières années. Si bien que la principale préoccupation des investisseurs est d’essayer de deviner ce que sera la prochaine action de telle ou telle banque centrale. Et depuis quelques mois, tous les yeux sont rivés sur la Réserve fédérale américaine (FED) en attente de la prochaine baisse de son taux directeur. Les autres risques, pourtant bien présents, étant plus ou moins ignorés.
Risques politiques
En 2024, un grand nombre d’élections ont lieu à travers le monde. Certaines se sont déjà déroulées et d’autres sont à venir. Parmi celles qui se sont déroulées, il y a eu les élections parlementaires européennes qui se passent tous les 5 ans et ont généralement très peu d’impact sur les marchés financiers. En effet, même si l’entité «Union européenne» a pris de plus en plus de pouvoir politique ces dernières années, le parlement en tant que tel a encore un pouvoir relativement limité. Ce dernier élit théoriquement la Commission européenne qui elle exerce le véritable pouvoir politique de l’Union. Cela dit, la Commission européenne est élue sur proposition du Conseil européen qui est lui-même composé des différents chefs d’État des 27 pays membres qui ont chacun leurs propres calendriers politiques.
C’est ainsi que les élections du Parlement européen n’apportent généralement que peu de surprises. Et quand elles en apportent (montée de tel ou tel parti populiste ou eurosceptique, etc.), elles sont généralement sans conséquences immédiates majeures, comme expliqué plus haut. Les électeurs en sont conscients et utilisent généralement ces élections à l’échelon européen comme un vote de protestation. Souvent, les résultats des élections européennes présentent une image très différente de ce qui se retrouve lors d’élections nationales. C’est l’occasion pour les électeurs d’exprimer un ras-le-bol sans que cela entraîne des conséquences concrètes. Mais cette fois-ci c’était différent. Non pas en raison des élections européennes elles-mêmes, mais plutôt de leurs conséquences sur la politique interne d’un des États piliers, à savoir la France.
Le soir des résultats des Européennes pour la partie «France», il est ressorti une victoire du parti «Rassemblement national » (RN), un des principaux partis d’opposition au parti présidentiel français. Le RN est ainsi devenu le premier groupe français au sein du nouveau parlement européen. Le soir même, le président français, Emmanuel Macron, a annoncé à la surprise générale la dissolution du Parlement français et l’annonce de nouvelles élections nationales qui se sont déroulées les 30 juin et 7 juillet 2024. En France comme c’est le cas dans d’autres pays, le président a un droit constitutionnel de dissoudre le parlement et appeler à de nouvelles élections. Le principal risque politique pour la France (et par ricochet pour l’Europe en raison du rôle central de l’Hexagone) est que le pays devienne difficilement gouvernable à la suite de ces élections nationales anticipées. En effet, sans majorité claire d’un seul parti politique, il conviendra de créer une coalition gouvernementale par définition fragile. Le principal risque est un blocage politique, car le président ne pourrait dissoudre le parlement une nouvelle fois que dans un an. Mis à part un peu de stress passager, ayant conduit à une légère performance négative des actions européennes au mois de juin dans un marché global en hausse, les investisseurs ne semblent pas à ce stade s’en inquiéter outre mesure.
Le prochain rendez-vous politique important, si ce n’est le plus important de cette année, se déroulera en novembre aux États-Unis. Il s’agira de l’élection présidentielle et parlementaire. Depuis quelques années, un fort clivage politique existe dans le pays qui s’est révélé au grand jour lors de l’élection tumultueuse de Donald Trump contre Hilary Clinton en 2016 et n’a fait que s’accentuer depuis. Pour l’édition 2024, on a donc le «comeback» du républicain Donald Trump, toujours aussi clivant, opposé à l’actuel président démocrate Joe Biden, président sortant à bout de souffle, ayant parfois littéralement de la peine à terminer ses phrases, mais qui s’accroche malgré tout même contre l’avis d’une partie de son camp. Aucun des deux ne fait l’unanimité pour lui que ce soit au sein de la population globalement ou même au sein de son propre parti. À ce stade, les pronostics sont favorables au camp républicain, mais des surprises pourraient encore apparaitre d’ici là. Dans tous les cas, la proximité de cette élection importante dont les résultats auront une grande influence bien au-delà des frontières américaines ne semble nullement préoccuper les marchés.
Tensions commerciales
Les risques de tensions commerciales dans le monde ont fait leur grand retour à la suite de l’élection du président américain Donald Trump en 2016 et se sont poursuivis depuis. À l’époque, c’était une des thématiques clés du candidat républicain. Suite à son élection, il avait mis en place tout un tas de barrières commerciales (principalement sous forme de tarifs) avec ses voisins directs, mais également avec l’Europe et surtout avec la Chine, pays avec lequel les États-Unis ont le plus grand déficit commercial.
Malgré le remplacement de Donald Trump par Joe Biden en 2020, les États-Unis n’ont pas changé leur stratégie. La nouvelle administration ayant non seulement maintenu la quasi-totalité des mesures liées au commerce, mis en place par l’administration précédente, mais en ont même rajouté. Récemment, les Américains ont même fait monter les tarifs douaniers jusqu’à 100% sur les voitures chinoises (qui sont devenues particulièrement compétitives sur les propulsions électriques), les panneaux solaires et un certain nombre d’autres biens. Pour l’anecdote, on notera ici que la priorité des Américains ne semble pas être l’environnement puisque cela va clairement à l’encontre d’un développement rapide des énergies renouvelables et d’un renouvellement du parc automobile en faveur de l’électrique.
Désormais, les Européens s’y mettent également en envisagent aussi de taxer plus sévèrement tout un tas de biens en provenance de Chine. En effet, de plus en plus de produits chinois deviennent très compétitifs dans des secteurs qui sont traditionnellement une chasse gardée européenne comme le secteur automobile. Les Européens prennent beaucoup plus de risque que les Américains à entrer dans un conflit commercial avec la Chine. En effet, les échanges entre la Chine et l’Europe sont beaucoup plus équilibrés qu’entre la Chine et les États-Unis. Parmi les rares produits que les Américains exportent à la Chine, on retrouve principalement des produits agricoles non transformés qui sont donc hautement fongibles. En clair, si la Chine substitue du maïs brésilien au maïs américain par exemple, ce dernier sera simplement exporté ailleurs. En revanche, l’Europe exporte vers la Chine tout un tas de produits à plus haute valeur ajoutée qui, s’ils ne sont plus exportés à la première puissance asiatique, auront plus de peine à trouver preneur ailleurs.
Étonnamment, ces tensions commerciales renouvelées ne soucient guère les marchés financiers ni d’un côté ni de l’autre de l’Atlantique.
Escarmouches géopolitiques
Après leur plus haut atteint pendant la guerre froide, les tensions géopolitiques ont dans un premier temps continuellement diminué. Par la suite, elles ont progressivement augmenté ces dernières années. D’abord au Moyen-Orient avec les diverses guerres menées par les États-Unis dans la région, elles sont passées à une vitesse supérieure avec le déclenchement de la guerre Ukraine-Russie.
Contrairement aux guerres menées par les Américains contre diverses puissances relativement faibles, la guerre menée par la Russie à l’Ukraine se situe clairement à un niveau supérieur. Principalement en raison de l’implication des puissances occidentales par toutes sortes d’aides militaires et financières à l’Ukraine, combinées à des sanctions économiques contre la Russie. Il est vrai cependant que ces dernières semblent très peu efficaces, car la Russie a continué à entretenir de bonnes relations avec la plupart des pays hors Occident (et même certains membres de l’OTAN comme la Hongrie et la Turquie). Ces relations ont d’ailleurs même été largement améliorées depuis le déclenchement officiel du conflit en 2022. Pour preuve de la santé insolente de son économie, la Banque Mondiale vient de reclassifier la Russie au rang de «pays à revenu élevé ». L’implication toujours plus grande des pays de l’OTAN dans le conflit, par l’envoi d’armes toujours plus sophistiquées, et une Russie qui ne souhaite rien lâcher, car elle considère cette guerre comme vitale continue d’alimenter le conflit depuis plus de deux ans.
L’autre point chaud provient de la guerre que mène Israël à l’enclave palestinienne de la bande de Gaza depuis les attaques perpétrées par des factions armées palestiniennes contre Israël en octobre dernier. De plus, Israël échange régulièrement des attaques avec le groupe armé Hezbollah à sa frontière avec le Liban et continue de mener des raids aériens contre des intérêts iraniens en Syrie. Pour rappel, ceci avait d’ailleurs provoqué une réponse iranienne sous forme de plusieurs dizaines de missiles et drones envoyées sur Israël en avril dernier. Ce conflit régional entre Israël et ses voisins pourrait prendre une ampleur plus importante en raison du soutien inconditionnel des États-Unis qui livrent continuellement des armes à l’État hébreu et pourraient à futur s’impliquer davantage.
Sans aller trop dans les détails, on peut encore citer des tensions militaires persistantes entre les États-Unis et leurs alliés avec la Chine, la Corée du Nord et certains pays africains.
Là aussi, les marchés financiers s’accommodent de ces tensions potentiellement majeures qui semblent être perçues tout au plus comme des escarmouches.
Conclusions
Les divers risques qui se sont présentés ces dernières années, dont on vient d’expliciter quelques exemples récents, ont été petit à petit relativisés. La notion même de risque, qui est une part inhérente des marchés financiers, a été d’une certaine manière éliminée. La volatilité est bien sûr toujours présente, mais la peur d’un marché baissier prolongé sur telle ou telle classe d’actif s’est estompée. Toute tendance baissière ne durant qu’au plus quelques mois avant l’inévitable reprise. Cela s’est révélé être le cas durant des crises majeures, comme la crise des dettes souveraines européennes, la pandémie du Covid ou le déclenchement de la guerre en Ukraine. Mais également lors de début de crises de moindre importance. Ceci a été rendu par possible en grande partie par l’intervention des États et des banques centrales. Même sans intervention directe et immédiate, le simple fait de savoir qu’ils seront présents si nécessaire suffit à amener un effet stabilisateur.
Il est peu probable que les réponses du couple État-banque centrale changent dans l’immédiat. En revanche, les conséquences de leurs actions risquent de changer de nature. Il n’est pas certain que les leçons des politiques économiques menées durant la «crise du Covid», ayant amené une forte inflation par la suite, aient été retenues. De manière générale, les brèches continueront donc probablement d’être comblées avec des déficits budgétaires et des politiques monétaires laxistes. Le risque de ces politiques à moyen et long terme est clairement la reprise de l’inflation, bien que cette dernière se soit réduite depuis les plus haut atteints en 2022. Mais si le couple déficit monétaire / politique monétaire laxiste devait revenir en force pour faire face à une des prochaines crises possibles, le retour à une inflation plus forte est clairement envisageable.
Dans le cadre de portefeuilles diversifiés, la majeure partie des investisseurs ont désormais rattrapé les pertes réalisées en 2022, mais en termes de résultats nominaux uniquement. C'est-à-dire qu’en tenant compte de l’inflation sur la période, les pertes réelles sont bien toujours présentes pour la majeure partie des portefeuilles diversifiés intégrant une grande part d’obligations.
Dans les années à venir, le risque ne devrait pas être nécessairement dans une baisse nominale des actifs, mais plutôt dans un manque de hausse réelle. Dans une configuration de fort endettement des États et de banques centrales d’abord gardiennes d’une certaine stabilité financière que monétaire il faut continuer à privilégier les actifs réels. Dans ce contexte, les taux obligataires étant toujours peu intéressants comparativement aux taux d’inflation actuels ou potentiellement à venir, il conviendrait de maintenir une faible pondération sur les investissements de taux, principalement les obligations gouvernementales à échéances longues.