Le Private Equity doit apprendre à naviguer à contre-courant

Axel Favre, Hermance Capital Partners

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La performance du secteur lors de ces deux dernières décennies a été définie par des taux d'intérêt bas et la surabondance de capitaux à disposition des investisseurs.

Durant cette période, les banques centrales ont maintenu les robinets monétaires ouverts et ont porté les taux d'intérêt à des niveaux historiquement bas. Peu d'investisseurs se souviennent de la période d'inflation et des taux à deux chiffres des années 1970 et 1980. Notre carrière professionnelle a été définie par cette surabondance de capitaux qui a dynamisé les marchés depuis la période qui a succédé au boom Internet de la fin des années 1990. La baisse durable des taux d'intérêt depuis la crise financière de 2008 s'est traduite par une hausse constante des prix des actifs, créant une richesse globale sans précédent.

Mais la roue tourne. L'inflation, déjà alimentée par une longue pandémie et récemment renforcée par la guerre en Ukraine, pourrait bien marquer le début d'une récession économique mondiale. Parallèlement, la politique de hausse des taux pour faire face à cette inflation annonce la fin de l'argent facile et abondant. L'industrie du Private Equity se retrouve donc confrontée à une double menace liée à la hausse des taux et des coûts. D'une part, les gérants de fonds qui ont largement profité de la hausse des multiples ces vingt dernières années vont voir les valorisations se contracter. D'autre part, les pressions inflationnistes sur les coûts des biens et des services et leurs répercussions sur les marges des entreprises constituent une menace sérieuse pour les actifs en portefeuille. La hausse du prix sur les matières premières, le transport et la main d'œuvre aura un effet direct sur le rendement des entreprises. Dans une industrie qui utilise du levier, une baisse de la profitabilité des actifs pourrait avoir un impact dévastateur sur la liquidité, sur les covenants et finalement sur la survie des sociétés en portefeuille.

Dans une ère d'inflation, les rendements dépendront de la création de valeur concrète.

Selon une étude de Cepres Market Intelligence, l'arbitrage de multiple – lorsqu'un fonds de Private Equity revend une société plus chère, profitant de la hausse du prix du marché - a été de loin le plus gros contributeur de création de valeur au cours de la dernière décennie, éclipsant ceux de la croissance des revenus et de l'amélioration des marges opérationnelles. Au cours des cinq dernières années, cette tendance s'est encore accentuée. Alors que l'arbitrage de multiple représentait 48% de la création de valeur entre 2010 et 2015, ce chiffre est passé à 56% entre 2016 et 2021. Sur cette même période, la croissance des revenus et des marges opérationnelles des entreprises sous gestion a chuté de 14% et 51%, respectivement. Cela veut dire que les fonds de Private Equity ont développé une dépendance à la tendance haussière du prix du marché pour générer de la performance, perdant en expertise de création de valeur organique.

De ce fait, les fonds de Private Equity devront apprendre à garder leurs investissements plus longtemps. En effet, la durée moyenne de détention des actifs n'a cessé de diminuer ces dernières années, passant de 5,8 ans en 2014 à 4,4 ans en 2021. La hausse rapide du prix du marché a permis aux fonds d'investissement d'acheter une entreprise, de la garder 3-4 ans et de la revendre à un multiple plus élevé. Cette formule sera difficilement applicable dans un environnement plus volatil et avec des valorisations mises sous pression. Les gérants de fonds devront donc garder une société plus longtemps s'ils espèrent atteindre leurs objectifs de performance, en misant principalement sur une croissance des revenus et une expansion des marges de profitabilité.

Le Private Equity ne pourra plus se permettre de surfer sur un marché aux multiples croissants pour satisfaire les investisseurs. Dans une ère d'inflation, les rendements dépendront de la création de valeur concrète contribuant à améliorer la capacité d'une société à générer davantage de flux de trésorerie. Cette nouvelle période permettra de distinguer les gérants qui ont eu de la chance, de ceux qui ont un vrai savoir-faire opérationnel. 

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