La rareté des ressources aura un impact à long terme sur l’inflation

Yves Hulmann

2 minutes de lecture

Selon Pascal Gilbert, gérant de portefeuille chez DNCA, la bonne tenue de la conjoncture limite la perspective d’un affaiblissement du renchérissement.

Au cours des derniers mois, le même scénario s’est répété à plusieurs reprises. Il a suffi que l’inflation montre quelques signes de ralentissement pour que les marchés célèbrent immédiatement de telles annonces. La publication, en première moitié de novembre, de chiffres moins élevés qu’attendu concernant le renchérissement aux Etats-Unis pour le mois d’octobre - avec une inflation qui a ralenti à 7,7% sur un an contre une hausse attendue à 8,2% par le consensus - a entraîné un rebond spectaculaire des marchés en fin de semaine dernière. Depuis le début du quatrième trimestre, les principaux indices boursiers ont ainsi regagné entre 7 et 15% des deux côtés de l’Atlantique. Peut-on pour autant déjà anticiper la fin du cycle de hausse des taux de la part des principales banques centrales? Les experts restent divisés à ce sujet.

Dans une optique de long terme, plusieurs facteurs plaident en faveur du maintien de l’inflation à des niveaux élevés, notamment en raison de la plus grande rareté de certaines ressources. C’est l’un des points qui a été souligné lors d’une présentation effectuée en octobre à Genève par Pascal Gilbert, Senior Portfolio Manager chez DNCA Investments.

«L’activité industrielle ne montre pas de signes d’essoufflement.»
De l’abondance déflationniste à la rareté inflationniste

L’abondance, notamment en matière de main d’œuvre, était plutôt déflationniste, tandis que la rareté sera plutôt inflationniste, a résumé le gérant en préambule d’une présentation aux investisseurs. Cela d’autant plus que la situation économique demeure globalement favorable dans plusieurs grandes économies, à commencer par les Etats-Unis. Outre Atlantique, le marché semble ralentir mais il ne s’effondre pas, nuance Pascal Gilbert. Il est désormais beaucoup plus difficile pour un Américain d’acheter un bien immobilier mais cela ne signifie pas que le marché est sur le point de s’effondrer. «La hausse des taux d’intérêt n’affecte que les nouveaux arrivants sur le marché», rappelle-t-il.

L’activité industrielle se maintient…

Du côté de la production, les grandes zones économiques affichent une dynamique industrielle similaire. Aussi bien aux Etats-Unis, au Royaume-Uni que dans la zone euro, l’activité industrielle est remontée à des niveaux plus élevés qu’avant la pandémie de COVID-19. «L’activité industrielle ne montre pas de signes d’essoufflement», observe Pascal Gilbert.

… et le marché de l’emploi reste dynamique

Et si les indicateurs avancés des principales économies mondiales ont perdu de leur élan au cours de 2022, pratiquement tous demeurent proches de la limite d’expansion/contraction ou restent supérieurs à celle-ci. «On se trouve dans une phase de ralentissement - oui! Est-ce grave et est-ce que cela créera du chômage? Ce n’est même pas sûr», considère le gérant. «L’emploi reste dynamique et les difficultés de recrutement demeurent importantes – sauf en Chine où la situation de l’emploi est difficile pour les jeunes», nuance-t-il. Il observe ainsi que la main d’œuvre qualifiée demeure une ressource rare dans beaucoup de pays industrialisés. Aux Etats-Unis, beaucoup d’entreprises font tout pour garder leurs ingénieurs, offrant parfois des salaires annuels dépassant les 400'000 dollars. En France, il y a beaucoup de filières où le personnel a la possibilité de négocier les salaires. «Le pouvoir de négociation des salaires reste important», observe-t-il.

«Désormais, les marchés ‘pricent’ exactement ce que les banques centrales souhaitent. Les politiques monétaires ne peuvent plus surprendre le marché.»
Les politiques monétaires ne surprennent plus  

Comment expliquer alors la forte correction subie par les marchés des actions au cours des neuf premiers mois de 2022? Les marchés des actions ont baissé mais il n’y a pas eu pour autant de véritable crise économique jusqu’ici, estime l’économiste. Certes, l’inflation a été hors norme cette année aussi bien aux Etats-Unis que dans la zone euro mais les banques centrales ont ajusté leur taux directeurs en conséquence. Aux Etats-Unis, les taux des Fed Funds correspondent maintenant à l’inflation annuelle dans deux ans. Les taux réels à court terme n’évoluent ainsi plus en zone négative comme cela avait été le cas en 2020 et en première moitié de 2021. Si les banques centrales des pays du G10 continueront leurs resserrements monétaires, leur objectif de taux réel situés entre 0,5% et 1,5% est désormais atteint, constate DNCA. Désormais, les marchés «pricent» exactement ce que les banques centrales souhaitent, observe Pascal Gilbert. «Les politiques monétaires ne peuvent plus surprendre le marché», conclut l’économiste.

Attention à la «heatflation»

Pour autant, des facteurs d’incertitude demeurent et ceux qui sont susceptibles de renforcer les pressions inflationnistes ne manquent pas. Le changement climatique est un vecteur d’inflation à long terme, souligne-t-il. Des pays et des entreprises pourraient mettre en place des mesures de rétention de certaines matières premières, ce qui augmentera leur prix. Selon DNCA, les enjeux climatiques et géopolitiques pousseront l’inflation à la hausse pendant de nombreuses années.

Une croissance durablement affaiblie à moyen terme

«Un retour de l’inflation vers les 2% semble difficile à atteindre», prévient le gérant d’actifs. En outre, DNCA observe une divergence «insoutenable» entre les prix à la production (nettement plus élevés) et les prix à la consommation (plus modestes) dans la zone euro depuis la fin de 2021 et tout au long de 2022. «Il faut avoir cet écart en tête. Il y a encore un risque d’inflation élevé», met en garde Pascal Gilbert. Avec une croissance qui ralentit, une récession apparaît probable en 2023. Et même au-delà, il faut compter avec une croissance durablement affaiblie à moyen terme.

A lire aussi...