La ruée vers l’or

Thomas Planell, DNCA Invest

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«L’or numérique» agonise mais l’or physique brille aux yeux des banques centrales émergentes.

Les cryptomonnaies portaient l'ambition d'une alternative au système financier contemporain dont les excès avaient jeté le monde dans la crise de 2008.

Mais l'onde du choc d'illiquidité de la plateforme FTX se propage (la plateforme Blockfi suspend les retraits). Elle souffle les fragiles édifices de la confiance et de l'espoir des épargnants et révèle les mêmes stigmates du passé dérégulé de la finance traditionnelle: ceux d'un système en proie à la cupidité.

Les banques centrales émergentes en première ligne

Pourrait-on imaginer en 2022 qu'une banque puisse accepter ses propres actions en garantie d'un prêt qu'elle accorde? c'est l'impair que la plateforme fondée par l'influent Sam Bankman-Fried a commis. Sur les 16 milliards de dollars de dépôts de ses clients, 10 ont été prélevés par le hedge fund du fondateur (Alameda Research) afin de financer ses positions spéculatives. 8 milliards de dollars d'écart entre les actifs de la plateforme et son passif exigible séparent désormais Sam Bankman-Fried de la gloire. La réaction a été sans appel. Un quart de la valeur du bitcoin a été effacé en deux jours. L'euro existerait-il encore aujourd'hui s'il avait souffert de telles variations quotidiennes à la découverte des comptes de Dexia en octobre 2011 ou au gré des faillites et sauvetages successifs des banques italiennes ou espagnoles?

Avec l'étendue croissante de leurs actions sur les marchés et des mesures prises à l’égard des banques commerciales depuis la crise de 2008, les banques centrales ont renforcé leur autorité. Mais leur crédibilité peut elle aussi être mise à l'épreuve, lorsqu’il s’agit de juguler les pressions inflationnistes.

Contrairement aux devises, titres de propriété et créances étrangères, l'or stocké dans les coffres est à l'abri des sanctions économiques extérieures.

Les banquiers centraux émergents sont alors en première ligne de front lorsque le combat mondial contre l'inflation commence. Ils doivent lutter contre la baisse de leur devise face au dollar qui se renchérit au fur et à mesure que la Fed monte ses taux, alimentant d'autant la spirale inflationniste locale. Leur salut repose donc sur l'or.

A l’abri de l’Occident

Depuis 2018, les pays émergents ont dominé les achats de lingots réalisés par les banques centrales: la banque centrale russe est le premier donneur d'ordre, suivie par la Turquie, l'Inde, la Pologne, le Kazakhstan et la Chine, très secrète quant à la tenue de ses comptes.

En 2022, c'est une véritable ruée vers l'or à laquelle se sont livrées les banques émergentes. Le volume négocié au troisième trimestre a quadruplé par rapport à la même période l'an dernier. Au cours des neuf premiers mois de l'année, 700 tonnes, un volume jamais vu depuis 55 ans, ont trouvé acquéreurs parmi ces investisseurs institutionnels. Perdant son leadership par manque de réserves en devises étrangères, la Russie a été remplacée sur le podium par la Turquie, l'Egypte et l'Iraq suivis de près par l'Ouzbékistan et l'Inde. La Chine, très active sur ce marché, conserve l'anonymat. On sait qu'entre 2017 et 2022, elle a pu acheter jusqu'à 1262 tonnes d'or par an. Premier producteur d'or au monde devant la Russie (suivies par l'Australie, le Canada et les Etats-Unis), l’Empire du Milieu peut s'approvisionner localement.

Contrairement aux devises, titres de propriété et créances étrangères, l'or stocké dans les coffres est à l'abri des sanctions économiques extérieures. L'organisation par l'occident du gel de 300 milliards d'actifs détenus à l'étranger par la banque centrale russe a créé un précédent. Le repli du métal précieux cette année a achevé de convaincre les banquiers centraux émergents de l’opportunité de remplir les coffres. En 2022, l’or a baissé en raison de la hausse des taux d'intérêt réels en dollar. Un repli significatif de 7,2% à comparer à l’agonie de l’or numérique, plébiscité par le Président du Salvador. En baisse de 63%, le Bitcoin coute aux fonds publics du pays 300 millions de dollars.

Une réouverture annoncée

Par crainte de rendements jugés trop faibles par rapport à l’inflation, les banquiers centraux émergents ont jugé opportun de diversifier leurs réserves. Néanmoins, la publication d’une hausse des prix à la consommation plus faible que prévu aux Etats-Unis en octobre la semaine dernière a relancé les espoirs d’un pic atteint par l’inflation américaine. Les propos de Patrick Harker (Fed de Philadelphie) qui semble considérer que l’effet de décalage entre la politique monétaire et ses conséquences sur la sphère réelle pourrait ne pas être aussi long que prévu.

Cela suffisait au marché pour se détendre en plus des conditions financières avant les prochaines mesures de la Fed. En effet, les taux à 5 ans ont baissé de 30 points de base. Les marchés actions ont fait tout autant fi des détails. Le Nasdaq grand perdant de 2022, s’offrant l’une des cinq plus belles performances des vingt dernières années. L’or progressait de concert avec les actifs risqués, exalté par la baisse des taux, enregistrant un rebond de près de 8% depuis 7 séances. Enfin, en annonçant un relâchement des restrictions sanitaires, la Chine s’avance sur la voie de la réouverture de son économie. Le retour à la normale du principal importateur de matières premières au monde ne sera pas sans effet sur l’inflation mondiale.

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