Le conflit en Ukraine rebalance les cartes de la gestion par exclusions des secteurs controversés. Avec Léa Dunand-Chatellet de DNCA Finance.
Les investissements dans l’armement et la défense reviennent en odeur de sainteté. Avec la guerre en Ukraine en fond de toile, les investisseurs responsables sont tentés de remettre en question le choix de l’inclusion de cette industrie hautement controversée. D’autant plus que les performances du secteur autrefois vilipendé dépassent celles des indices globaux bien ancrés dans le rouge. Selon Léa Dunand-Chatellet, la directrice de l’Investissement Responsable chez DNCA Finance, il incombe au client final de faire le choix moral d’investir ou non dans ces activités. En revanche, «le rôle des gestionnaires d’actifs est d’offrir la panoplie de fonds qui répondra aux différentes préférences de la clientèle tout en explicitant clairement les contraintes sectorielles appliquées ou non», explique-t-elle lors d’un entretien en marge de l’édition 2022 du GSFI, qui réunira les experts de la finance durable ce 22 septembre à Genève.
Comme première conséquence, la crise en Ukraine remet en question l’application d’exclusions sectorielles dans les stratégies d’investissement et rappelle que certaines gestions ISR peuvent avoir des biais parfois défavorables selon les périodes. Certains fonds ISR comportent des exclusions sectorielles pour s’affranchir des secteurs controversés, comme l’armement et la défense classique. Pour répondre à une attente de certains clients, la tentation de changer son fusil d’épaule est grande chez les gestionnaires d’actifs alors que le secteur de l’armement connait des performances financières remarquables depuis le début de l’année. Chez DNCA, nous avons choisi d’offrir une gamme de fonds avec des degrés d’exclusions sectorielles gradués. Certains fonds n’excluent pas du tout le secteur de la défense alors que d’autres l’écartent totalement. L’essentiel est que la composition sectorielle du fonds reste consistante dans le temps et ne change pas au gré des opportunités de marché. En France, les labels n’imposent pas d’exclusion, car il revient à l’investisseur de faire le choix moral de ce qu’il veut exclure ou non.
Deuxièmement, la question énergétique est revenue sur le devant de la scène, car la crise accélère la prise de conscience des tendances fragiles en Europe. Le développement des énergies durables est non seulement primordial pour la transition énergétique, mais également pour la souveraineté. Tout ce qui est sur la table des décisions politiques, comme les objectifs de mix énergétique face à la COP 21, devient prioritaire. La crise a pressé le débat avec un enjeu majeur: comment poursuivre la transition en la rendant financièrement acceptable, car nous arrivons sur un enjeu de prix et d’inflation qui devient coûteuse et qui constitue un enjeu important pour les pouvoirs publics.
Nous n’avons jamais vu de politique budgétaire aussi agressive. Les montants déployés sur la crise du COVID étaient colossaux. Il en sera probablement de même avec la crise énergétique. Nous avons un peu l’impression que le financement de la transition se fera quel que soit le prix, et les financements vont être octroyés sur un autre niveau de taux d’intérêt qu’à l’époque.
Nous partions d’une situation de hausse des taux d’intérêt défavorable aux actifs, en particulier à ceux à duration longue qui comprennent les titres liés au climat et en particulier au financement de la transition énergétique. Cependant, la crise en Ukraine a rebalancé les cartes et les actifs verts ont surperformé le reste du marché à partir du deuxième trimestre; ce qui signifie que dans l’approche des investisseurs, le contexte de crise énergétique domine les considérations de politiques monétaires. Le catalyste de la transition énergétique dépasse ainsi le contexte macroéconomique.
Bien qu’elles soient surprenantes d’un point de vue énergétique et écologique, les annonces sur les réouvertures des mines de charbon devraient être temporaires. Le nucléaire est un tout autre enjeu qui a été réintégré dans la taxonomie et pour lequel il est difficile de donner une couleur. Son problème ne se situe pas au niveau du CO2, et le nucléaire demeure une énergie qui assure aux États une indépendance forte vis-à-vis de l’approvisionnement extérieur. Si la France n’avait pas eu plusieurs centrales nucléaires à l’arrêt, le pays aurait eu peu de problèmes d’approvisionnement ces derniers mois. Je ne m’étonne donc pas de voir le nucléaire redevenir une énergie stratégique, d’autant plus qu’il a l’avantage d’être non intermittent afin de créer un équilibre avec les énergies renouvelables.
Avant le greenwashing, nous avions déjà la question de la compréhension du sujet. Je travaille depuis 18 ans dans ce métier, mais j’ai observé que depuis quatre ans l’émergence d’une prise de conscience et de considération du développement durable. Comment le prendre en compte dans les placements reste une autre question, mais l’enthousiasme est présent au sein de la nouvelle génération d’investisseurs. Cependant, les clients sont un peu perdus face à la complexité du sujet, ce qui ouvre grand la porte au greenwashing, car il est difficile pour eux de cerner une démarche véritable et sincère. Ils n’ont pas encore expérimenté ce phénomène greenwashing. Mais les prises de conscience viendront lorsqu’ils verront que les promesses de départ ne sont pas réalisées. Il faut donc être totalement transparent dans la composition des fonds et nous pouvons espérer arriver à une harmonisation des données avec la Commission européenne qui, via la taxonomie par exemple, pourra standardiser les normes et permettre une comparabilité totale des produits financiers. Le travail qui va suivre pour le régulateur consistera à faciliter la remonter les données des sociétés et fixer un cadre avec des définitions précises afin d’assurer une cohérence et une comparabilité des informations.