La machine à prêts européenne dope le deleveraging des ABS

Douglas Charleston, TwentyFour Asset Management

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Pourquoi le COVID-19 n’a pas impacté le secteur des prêts de la même manière que la crise de 2008.

L’un des héritages que nous a laissés le secteur des prêts dans l’Europe de l’après-crise est une très forte perte d’appétit pour le risque, amplifiée par la pénurie de capitaux bancaires et parfois le manque de financement sur une période prolongée. Entre restriction des capacités et baisse de la propension au crédit, ce double handicap s’est avéré un obstacle majeur au redémarrage de l’économie et a mis des années à se dissiper. En conséquence, certains prêteurs non bancaires ont augmenté leur part de marché dans plusieurs domaines et pris le relais auprès de la clientèle des banques traditionnelles.

En 2020, l’origine du problème est ailleurs

Cette situation s’est répercutée sur les ABS européens de plusieurs manières, mais nous en aborderons deux. Premièrement, les prix des actifs ont mis quelque temps à se redresser, de sorte que si les défauts des pools d’actifs sont restés limités, les pertes en cas de défaut ont été supérieures. Deuxièmement - et c’est en partie lié aux prix des actifs - la pénurie de financement disponible dans de nombreux secteurs ABS de premier plan (hypothèques, prêts à la consommation, immobilier commercial, crédit aux PME) a empêché les emprunteurs de se refinancer à moindre coût, ce qui a fait chuter les taux de remboursement anticipé dans les ABS.  

La période qui a précédé 2020 et la crise du coronavirus a été très différente. Les banques et les prêteurs n’étaient pas à l’origine du problème, ce qui a contribué à lever les préjugés sur les nouvelles politiques visant à maintenir le bon fonctionnement du crédit à l’économie réelle dans tous les domaines.

Les prêteurs européens sont aujourd’hui
davantage disposés à accorder des prêts.

Nous restons très attentifs aux enquêtes des banques centrales sur la distribution du crédit bancaire afin de suivre l’évolution des conditions de prêt, mais l’expérience de l’équipe ABS nous paraît tout aussi importante car ses membres sont en contact régulier avec des prêteurs à l’échelle du continent. Depuis la crise du COVID-19, nous n’avons vu qu’un durcissement modeste des conditions de crédit et une période temporaire de limitation du financement, ce qui est sans commune mesure avec l’après-2008.

L’assouplissement des conditions de crédit fait moins peur

Pour donner quelques exemples, les banques ont généralement réagi en abaissant le plafond du ratio prêt-valeur («loan-to-value» ou LTV) octroyé aux emprunteurs hypothécaires, et ce bien que les taux nominaux n’aient pas réellement augmenté (la baisse des taux de swap a aidé les banques à conserver leur marge d’intérêt nette). Les grands prêteurs britanniques ont abaissé leur LTV à 75% de façon temporaire, alors que les Néerlandais ne se sont pas vraiment écartés de leurs principes strictement réglementés en matière d’octroi de crédit. Entre-temps, les prêteurs non bancaires ont eu davantage de fil à retordre car ils n’ont pu accéder aux lignes de crédit entrepôt durant une certaine période, mais la situation s’est détendue en mai avec l’afflux de liquidité sur les marchés obligataires.

Nous pensons également que les prêteurs européens sont aujourd’hui davantage disposés à accorder des prêts: ils ont en effet moins peur que l’assouplissement des conditions de crédit ne déclenche de nombreuses bombes à retardement dans leurs bilans, surtout que le durcissement des réglementations fait également baisser le nombre d’emprunteurs piégés par des produits obsolètes ou carrément bannis.

Avec un taux de remboursement anticipé de 20%, la protection contre les pertes
augmentera à un niveau plus caractéristique des obligations AAA.
Matelas anticyclique

Pour les ABS, un marché du crédit ordonné dans ce nouveau cycle économique est important car on peut s’attendre à des niveaux de remboursement anticipé beaucoup plus normaux par rapport à la crise financière de 2008. Les remboursements anticipés réduisent la taille du pool d’actifs couvrant les ABS, ce qui entraîne le deleveraging des obligations et accroît en conséquence la protection de leurs détenteurs contre les pertes. Cette protection structurelle est souvent négligée lorsqu’on pense aux ABS, alors qu’elle constitue bien notre «matelas anticyclique». Elle représente aussi un soutien important pour les notations et tend à renforcer la dynamique d’évaluation positive au fil du temps par rapport à d'autres classes d'actifs.  

A titre d’exemple, l’obligation BBB d’un RMBS «buy-to-let» néerlandais récent, DPF 2020-2, a été émise avec une protection contre les pertes de 6,5%. D’ici son échéance prévue en 2025, un taux de remboursement anticipé de 5% ou 20% augmenterait cette protection à respectivement 8,8% et 18,3%. En d’autres termes, avec un taux de remboursement anticipé de 20%, la protection contre les pertes augmentera à un niveau plus caractéristique des obligations AAA et nous nous attendrons à voir l’évaluation de l’obligation BBB suivre la même tendance (avec peut-être un léger décalage).

Cette protection organique est l’une des raisons pour lesquelles les causes à l’origine des remboursements anticipés sont importantes pour les investisseurs en ABS. A l’approche de 2021, alors que nous anticipons une dégradation des fondamentaux de la performance du crédit, pouvoir recourir à des prêteurs opérationnels est non seulement bon pour la reprise économique, mais aussi pour la solvabilité des ABS.

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