La liquidité est chère, mais elle est là

Pauline Quirin, TwentyFour Asset Management

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Les turbulences macroéconomiques ont fini par déborder sur les marchés européens des ABS et des CLO.

Les spreads se sont significativement élargis, mais cela tient à la dégradation du climat général sur le marché plutôt qu’à des inquiétudes liées au crédit chez les investisseurs. Bien sûr, les taux variables inhérents aux ABS et aux CLO européens signifient qu’ils ne souffrent pas directement des fluctuations de taux; de fait, ils bénéficient du resserrement de la politique monétaire des banques centrales avec des coupons obligataires qui augmentent dans le sillage des hausses de taux.

La liquidité n’a pas été bon marché.

Cette situation n’a toutefois pas empêché des ventes massives d’investisseurs faisant face à des rachats, ce qui a encore ajouté à la volatilité avec des négociants qui n’étaient pas en position de recourir au bilan pour fournir la liquidité nécessaire. Seule note positive dans le négoce des ABS et des CLO au T2: un volume substantiel de titres a changé de mains, bien que cette liquidité n’ait pas été bon marché.

Les ventes s’expliquent notamment par le fait que les ABS font souvent partie de fonds obligataires mondiaux, ce qui contraint les gérants d’actifs à repositionner leurs portefeuilles en raison des sorties de capitaux de leurs stratégies mondiales. Les fonds de pension britanniques ont également procédé à des ventes importantes, car leur approche basée sur des formules les oblige à acheter des Gilts et à réduire leurs positions de crédit. Lorsque nous avons abordé cette période de volatilité élevée, le levier dans le secteur des hedge funds était plus faible qu’au début de la crise du COVID-19 et nous avons assisté à une baisse des ventes chez les hedge funds avec des appels de marge à la clé.  Les hedge funds (et le private equity) sont d’ailleurs apparus comme les principaux acheteurs d’obligations CLO mezzanine ces dernières semaines.

Le volume total sur les listes «bids wanted in competition» (BWIC), une procédure d’enchères gérée par des investisseurs pour vendre des obligations, a atteint 6,8 milliards de dollars au T2, bien au-dessus de la moyenne trimestrielle de 5,2 milliards en 2021. La majeure partie de cette activité s’est concentrée sur le mois de mai et a été dominée par les CLO (55% du volume) et les RMBS AAA, ce qui reflète bien la composition du marché européen des ABS.

Les grands acheteurs sont les compagnies d’assurance et les départements de trésorerie des banques.

Une fois de plus, les banques d’investissement montrent actuellement un appétit pour le risque limité s’agissant de mettre leurs bilans à contribution dans la détention d’obligations pour le négoce, et si certaines ont répondu aux demandes d’offres sur les listes BWIC, les vendeurs comptent fortement sur d’autres participants au marché pour fournir de la liquidité. Cet objectif est généralement atteint par le biais des procédures BWIC: en offrant de la liquidité de client à client en contournant les banques, elles ont le plus souvent généré la liquidité la meilleure et la plus transparente depuis le début de l’année. A titre d’exemple, nous avons assisté à un regain dans les rachats de RMBS AAA britanniques autres que de première qualité par les départements de trésorerie des banques.

Les grands acheteurs de CLO AAA sur le marché primaire sont typiquement les compagnies d’assurance et les départements de trésorerie des banque; les deux privilégient la garantie d’exécution sur le niveau des spreads et ne sont pas actifs sur le marché secondaire pour de petits volumes. Cela laisse les vendeurs davantage exposés aux offres des négociants qui ont rapidement chuté en ligne avec l’augmentation du volume BWIC. Par conséquent, nous voyons actuellement une dislocation entre les titres CLO AAA dont le prix est fixé au pair avec un coupon de 3mE+160 pb sur le marché primaire, et des spreads sur le marché secondaire à 3mE+195-215 pb avec des prix au comptant qui avoisinent 94-96. Il est difficile de comprendre pourquoi quiconque voudrait acheter des AAA à ce niveau sur le marché primaire alors qu’un rendement proche de 4% (en euros) et ce degré de convexité sont disponibles sur le marché secondaire.

Un volume d’obligations robuste à l’achat comme à la vente.

Nous avons été favorablement surpris par la profondeur du marché des CLO BB en particulier, qui a été bien soutenu par les investisseurs américains, les hedge funds et les acheteurs en private equity dans la mesure où les CLO BB européens offrent en ce moment une valeur relative meilleure que celle de leurs équivalents américains (avec un levier plus faible), qui se négocient historiquement de manière plus large. Mais la liquidité est chère car ces investisseurs n’achètent pas à un rendement de 7%, et en conséquence, les titres notés BB se négocient actuellement à un rendement de 12-13% en euros pour des prix au comptant de 70-80, avec une bonne visibilité sur la structure des performances et la sensibilité aux variations des spreads. Dans le même temps, le volume d’obligations mezzanine dans les RMBS et les ABS adossés à des prêts autos ou à la consommation est plus limité, mais les offres d’achat ont là aussi reculé de manière significative.

La liquidité est chère sur l’ensemble du marché des ABS et des CLO européens, les négociants ayant retiré leurs offres et les investisseurs s’étant montrés opportunistes, avec comme résultat un élargissement des spreads acheteur-vendeur à au moins 1 pt sur les obligations AAA et 2-4 pts sur les titres notés BBB à B. S’il y a un point positif ici, c’est que malgré l’élargissement des spreads et le coût de transaction accru, nous avons assisté à un volume d’obligations robuste à l’achat comme à la vente, ce qui n’était pas le cas au plus fort de la crise du COVID-19 début 2020.

Le recours aux BWIC sur les marchés des ABS et des CLO renseigne non seulement très bien les investisseurs sur la profondeur du marché et l’évolution des prix, mais crée également une excellente opportunité de profiter d’obligations à des rendements et des prix inédits depuis la crise de la dette souveraine en Europe.

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