Les risques macroéconomiques liés à la trajectoire budgétaire américaine inquiètent de plus en plus les marchés. L’administration Trump a relancé une politique fiscale expansionniste via la loi «One Big Beautiful Bill Act» (OBBA), adoptée en mai. Ce texte associe baisses d’impôts massives et réductions de dépenses différées, pour un impact budgétaire estimé entre 2 et 3 trillions de dollars sur dix ans. Les déficits annuels pourraient ainsi dépasser 7% du PIB, alors que la dette publique s’élève déjà à plus de 36'000 milliards de dollars (soit 120% du PIB).
Cette dérive fragilise le marché des Treasuries. Les rendements à 10 ans dépassent 4,4%, et ceux à 20 ans franchissent les 5%. La hausse brutale des taux depuis 2022 a détruit de la valeur dans les portefeuilles obligataires, remettant en cause le statut «sans risque» du Trésor américain. Fin mai, une adjudication à 20 ans a peiné à trouver preneur malgré un taux élevé – un signal d’alerte sur la saturation du marché.
Le Trésor fait face à un mur de refinancement: 3000 milliards de dollars de dette arrivent à échéance en 2025, soit un tiers du stock total. Le taux moyen de financement actuel reste autour de 3,2%, mais toute nouvelle émission se fait entre 4 et 5%, amplifiant la charge d’intérêts, qui a déjà franchi les 1000 milliards de dollars par an – plus que les dépenses militaires. Cette dynamique alimente un cercle vicieux budgétaire.
Les agences de notation ont réagi: après Fitch en 2023, Moody’s a abaissé la note américaine en mai dernier, invoquant l’absence de cap crédible. Cette défiance s’étend aux investisseurs étrangers. Si les Treasuries restent détenus à hauteur de 9000 milliards de dollars par des non-résidents, la Chine a réduit ses avoirs à un plus bas depuis 2009 (environ 770 milliards). D’autres banques centrales renforcent leurs achats d’or, signe d’un besoin de diversification. Le Japon, premier détenteur, limite désormais ses achats pour des raisons internes de politique monétaire.
Le dollar reflète aussi cette défiance. Sa part dans les réserves mondiales est passée à 58% fin 2024, contre 65,5% une décennie plus tôt. Lors des dernières tensions budgétaires, il n’a pas réagi en valeur refuge. Plusieurs pays émergents réduisent leur exposition au billet vert. Un affaiblissement structurel du dollar rendrait plus coûteux le financement des déficits américains. Enfin, les taux durablement élevés resserrent les conditions financières pour l’ensemble de l’économie. Le budget fédéral perd en flexibilité: si un choc survenait, l’État aurait peu de marge de manœuvre. Le FMI partage cette inquiétude.
Le Trésor est désormais confronté à un double impératif: attirer suffisamment d’acheteurs dans un marché saturé tout en contenant le coût croissant de sa dette. Or, la Fed reste focalisée sur la lutte contre l’inflation et ne semble pas prête à réintervenir via des achats massifs. Face à une classe politique divisée, l’absence de plan de consolidation budgétaire crédible devient un facteur de risque systémique. À ce rythme, les États-Unis pourraient devoir financer leur dette à un coût structurellement plus élevé, affaiblissant le rôle du dollar.