Ce que nous apprend l’effondrement du géant FTX

Alexandre Stachtchenko & Flavio Restelli, Blockchain Partner by KPMG

3 minutes de lecture

Chronique blockchain. Une tragédie pour les utilisateurs de la plateforme, qui ne remet pas en cause pour autant les fondements de la crypto.

Quiconque s’intéresse aux cryptos a sûrement déjà eu des échos de la tempête que traverse cette industrie depuis début novembre, à la suite de l’effondrement de la plateforme d’échange FTX.
Avant de rappeler brièvement les faits, deux précisions:

  1. S’agit-il d’une remise en cause de la proposition de valeur des cryptos? Non. On a affaire plutôt à un scandale financier qui n’a peu voire rien à voir avec la valeur ajoutée qu’apportent les cryptos dans plusieurs domaines.
  2. Est-ce que ce scandale majeur plongera le secteur dans une crise irréversible? Non. Le marché crypto est jeune et turbulent. Mais il a déjà fait preuve de résilience par le passé. Et surtout, ses piliers Bitcoin et Ethereum, eux, ne sont pas directement touchés par l’affaire en question.

Faisons maintenant un pas en arrière avant de tenter une analyse de la situation, encore en évolution rapide, ainsi que de ses conséquences1.

Le 2 novembre le média spécialisé Coindesk2 affirme avoir accès à des documents comptables du fonds d’investissement crypto Alameda Research. Il révèle ainsi un état financier inquiétant au 30/06/2022: environ un tiers des actifs recensés d’Alameda Research (~14,6 milliards de dollars en tout) consistent en des FTT, à savoir des jetons créés par FTX à l’utilité très limitée (fonctions de fidélité liées au trading, remises, etc.). Ces jetons sont très illiquides de surcroît, car hors de la circulation, bloqués comme collatéral pour des emprunts ou pas encore émis, leur déblocage étant fractionné dans le temps.

Comment Alameda Research, un des plus importants investisseurs crypto au monde, peut en arriver là? Simple: ayant souffert des pertes avant l’été, son propriétaire Sam Bankman-Fried – dit «SBF» – tente de renflouer les caisses avec des jetons FTT et non des dollars. SBF est aussi le propriétaire et patron de la plateforme FTX, dont Alameda est un client majeur, ce qui rend la chose pratique...

La règlementation des acteurs centralisés est nécessaire. Mais le cadre doit être précis et adapté aux véritables problématiques.

Alameda et FTX vacillent suite à ces révélations. Mais le coup de grâce arrive avec l’entrée en jeu de Changpeng Zhao – dit «CZ» – à savoir le propriétaire de Binance, la plus grande plateforme d’échange crypto au monde. Binance, qui détient l’équivalent de 500 millions de dollars en jetons FTT, vend ses réserves à l’aune des informations publiées par Coindesk et provoque l’écroulement irréversible du cours du FTT. S’ensuit une course aux «guichets», un «bankrun», des clients de FTX, qui bloque les retraits: il n’y a pas assez de fonds pour rembourser tout le monde. Ironiquement, SBF propose un rachat d’urgence de FTX à CZ, qui accepte de faire une proposition d’achat non-engageante. Mais quelques heures après, Binance se retire de l’affaire, évoquant des erreurs et fautes de gestion irrattrapables. Les masques tombent et révèlent un trou entre 6 et 8 milliards de dollars.

Que peut-on apprendre de cette histoire?

D’abord, que la règlementation des acteurs centralisés est nécessaire. Mais aussi, que le cadre doit être précis et adapté aux véritables problématiques, pour éviter que les champions cryptos fuient3 aux Bahamas, où se trouve le siège de FTX. A ce sujet, les normes imposées par le règlement européen MiCA aux Virtual Assets Service Providers (VASP), notamment concernant la gestion des fonds propres ainsi que ceux des clients, vont dans le bon sens. Cependant, l’Union Européenne ne doit pas se tromper de cible. La méfiance des autorités envers la Finance Décentralisée (DeFi) paraît, à l’aune des faits récents, d’autant plus disproportionnée. En effet, le scandale FTX naît des crimes financiers présumés, passés sous les radars, et perpétrés par quelques acteurs à la puissance économique démesurée. A l’inverse, la DeFi offre un modèle alternatif où tous les mouvements et toutes les balances sont publics, grâce à la blockchain. Dans un écosystème financier transparent, SBF n’aurait jamais pu tisser sa toile entre FTX et Alameda de la même manière. La DeFi est peut-être une partie de la solution et non du problème.

Par ailleurs, lorsque le choc sera passé, des nouveaux standards s’imposeront en complément des obligations règlementaires. Par exemple, jusque-là, Kraken était la seule plateforme majeure à fournir des proofs of reserve, à savoir des preuves cryptographiques de l’existence de cryptos derrières les chiffres affichés sur les comptes, grâce à des audits réguliers. Or, au lendemain de la chute de FTX, Binance a également annoncé une initiative en ce sens4. Loin d’être une panacée, cette mesure prouve que l’écosystème crypto mûrit jour après jour, même dans les circonstances les plus difficiles.

Les cours des actifs numériques ont forcément été impactés par l’actualité. De plus, des nombreuses entreprises, clients de FTX ou bénéficiaires des investissements de la plateforme ainsi que d’Alameda Research, se retrouvent fragilisées et devront démontrer leur valeur ajoutée pour survivre. Cependant, si l’on prend du recul, ces scandales financiers, très proches de ce qu’on a pu connaître (et que l’on continue de voir parfois) dans la finance traditionnelle, n’affaiblissent pas la promesse profonde des cryptos. Pour rappel, en parallèle de la tragédie FTX-Alameda, Bitcoin et Ethereum continuent de tourner comme si de rien n’était, en écrivant une histoire parallèle, bien plus grande, qui ne se mesure pas en jours ou en semaines, mais en années voire décennies.

 

1 Sources principales: Exclusive: Behind FTX's fall, battling billionaires and a failed bid to save crypto | Reuters et The Shocking Collapse of the FTX Empire - by Donovan Choy (banklesshq.com)
2 Divisions in Sam Bankman-Fried’s Crypto Empire Blur on His Trading Titan Alameda’s Balance Sheet (coindesk.com)
3 Brian Armstrong on Twitter: "@SenWarren @SECGov https://t.co/0HxlRiI6Sy was an offshore exchange not regulated by the SEC. The problem is that the SEC failed to create regulatory clarity here in the US, so many American investors (and 95% of trading activity) went offshore. Punishing US companies for this makes no sense." / Twitter
4 Binance to Provide Proof-of-Reserves Following FTX Bust – Other Exchanges to Follow Suit? (cryptonews.com)

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