L’inflation est-elle partie pour durer?

François-Xavier Chauchat, Dorval Asset Management

2 minutes de lecture

La publication d’un indice US des prix à la consommation au-dessus des attentes du consensus a alimenté le narratif des goulets d’étranglement.

Le fonctionnement particulier de l’économie depuis plus d’un an rend l’interprétation des statistiques macro-économiques encore plus difficile que d’habitude. Par exemple, comment estimer les coefficients de correction des variations saisonnières après la volatilité des données mensuelles des mois de mars à septembre 2020 ou l’impact de la déformation des paniers de consommation quand une fraction importante de cette dernière est interdite?

Mettons de côté ces difficultés et regardons le détail de la publication. On peut distinguer trois grandes catégories de hausse de prix (voir le graphique ci-dessous). D’abord les hausses de prix exceptionnelles et difficilement répétables. On trouve dans cette catégorie les véhicules d’occasion dont les prix augmentent de 10% sur le mois, sans doute à cause des délais de production de véhicules neufs liés à la pénurie de semi-conducteurs entre autres. Ensuite, des hausses qui sont des normalisations après la chute de l’année dernière: les billets d’avion (+10% sur le mois), l’hôtellerie (+8.8%) et les tickets pour des évènements sportifs (+10%). Les prix dans cette catégorie n’ont pas encore rattrapé leur niveau d’avant crise et devraient donc continuer d’accélérer avec la réouverture. En dernier lieu, on trouve tout le reste, où il ne se passe pour le moment pas grand-chose comme en témoigne la hausse beaucoup moins exceptionnelle de l’inflation médiane.

Plusieurs sources d’incertitude

Pour le moment, le discours officiel de la Fed se veut rassurant. L’accélération de l’inflation est transitoire. Alors? Circulez, il n’y a rien à voir? Pas si simple. Il faut distinguer plusieurs phénomènes.

L’effet sur les prix des différents goulets d’étranglement va durer encore quelques mois (jusqu’à la fin de l’année) et devrait s’estomper avec le retour à un fonctionnement plus normal de l’économie. Certaines difficultés de recrutement proviennent de l’absence d’une partie de la main d’œuvre (souvent féminine) pour cause de fermeture des écoles. Les capacités de production vont augmenter progressivement dans les secteurs concernés. Par exemple, dans les semi-conducteurs, TSMC a annoncé 28 milliards de dollars d’investissement en capacités supplémentaires cette année et 100 milliards de dollars sur les trois prochaines, Intel 20 milliards de dollars et Samsung une hausse de 30% de ses investissements. Le scénario de hausse de l’inflation et de ralentissement de l’activité à cause des goulets d’étranglement ne fera pas réagir la Fed.

En revanche, l’arrivée du stimulus budgétaire massif décidé par le Président Biden en début d’année sur une économie qui est déjà en train de «boomer» grâce à la réouverture pose question. C’est le scénario d’excès décrit par Larry Summers depuis quelques mois. Il est encore trop tôt pour trancher sur l’occurrence de ce scénario de risque. En effet, il passe nécessairement par une amélioration très rapide du marché du travail (à la fois une baisse du taux de chômage, une hausse du taux de participation et un marché du travail plus inclusif). Il reste encore pas mal d’étapes à franchir pour basculer dans ce scénario comme l’illustre les derniers chiffres décevants de créations d’emplois, mais il n’est pas impossible.

Reste enfin, la question de l’ancrage des anticipations d’inflation à long terme. Prenons un peu de recul. L’histoire des dernières années, c’est plutôt une inflation trop faible que trop forte. Ce régime d’inflation faible n’est pas sans poser des problèmes puisqu’il prive la politique monétaire des marges de manœuvre nécessaires pour lisser les cycles économiques. Le risque de voir les anticipations d’inflation s’ancrer à un niveau trop faible a même plusieurs fois été évoqué et combattu par les Banques centrales. C’est une des raisons du changement de cadre monétaire décidé par la Fed l’année dernière, avec un ciblage de la moyenne de l’inflation (Average Inflation Targeting). Autrement dit, les périodes d’inflation inférieure à la cible doivent être suivies de périodes d’inflation supérieure à la cible. Or, l’expérience du Japon des deux dernières décennies ou celles des Etats-Unis des années 70-80 montre combien il est difficile de modifier les anticipations d’inflation une fois qu’elles sont solidement ancrées. La hausse des anticipations d’inflation à long terme n’est donc pas un inconvénient pour la Fed mais bien le but recherché, jusqu’à un certain point.

Sur les marchés, la prime de risque inflationniste dans les obligations augmente rapidement, particulièrement à court terme. Les anticipations d’inflation à long terme (généralement mesurée par le breakeven forward cinq ans dans cinq ans) dérivées du marché des TIPS augmentent fortement depuis un an mais sont encore inférieures au régime qui prévalait avant 2014. Pour le moment, rien n’indique que ces anticipations d’inflation de long terme sont en train de s’installer durablement à un niveau excessif pour le confort de la Fed.

A lire aussi...