L’hypothèse d’une forte remontée des taux de défaut

Emmanuel Ferry, Union Securities Switzerland SA

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Le risque central des scénarios d’investissement réside désormais dans une remontée significative et durable des taux de défaut des entreprises.

La priorité en matière d’allocation d’actifs pour les prochains trimestres porte sur un risque de remontée des taux de défaut des entreprises. Ce phénomène est d’ordre conjoncturel, mais sa dimension structurelle pourrait conduire à connaitre des taux de défaut particulièrement élevés, similaires aux précédents records, proches de 12% pour la dette High Yield US (1991, 2002, 2009) contre une moyenne de long terme de 3,5% (seulement 1% en 2022).

Sur le plan conjoncturel, l’ampleur et la durée du cycle de défaut des entreprises est à relier avec la sévérité du resserrement monétaire de la Fed (+500 pb), le pic du taux d’endettement des entreprises (au niveau de 2008 pour le segment High Yield), et les pressions sur les marges. Les banques commerciales ont déjà une action procyclique, en resserrant leurs conditions de crédit à un niveau compatible avec une situation de récession. Le contrechoc de la gestion de la pandémie de COVID-19, les excès dans les leveraged loans et le mur de refinancement sont autant de facteurs aggravants.

Le cycle de la dette des entreprises en matière d’allocation d’actifs suit une dynamique bien connue. En fin de cycle, la croissance économique soutenue associée à une inflation élevée force les banques centrales à relever leurs taux directeurs, ce qui conduit à une inflexion de l’activité et du cycle de crédit. Les épisodes de soft landing étant plus l’exception que la règle, l’entrée en récession vient révéler les excès accumulés en matière de mauvaise allocation du capital, favorisés par les innovations financières et des conditions monétaires accommodantes.

L’épisode à venir de repricing du risque émetteur pourrait être plus durable car il intervient dans un moment structurellement plus inflationniste.

La fuite des investisseurs vers la liquidité et la qualité occasionne des dislocations sur les prix. La baisse de l’appétit pour le risque de la part des investisseurs, la contraction de l’offre de crédit de la part des banques, la remontée de la volatilité et l’effet de ciseaux entre la baisse des revenus et la hausse du coût du capital entrainent un écartement significatif des spreads de crédit. A ce stade, le facteur de la probabilité de défaut (basée sur le modèle de Merton de distance au défaut) devient dominant et discriminant. Cette phase de sélectivité sur la qualité des bilans est un préalable à l’épisode suivant de corrélation à la baisse des deux classes d’actifs actions et crédit.

L’épisode à venir de repricing du risque émetteur pourrait être plus durable car il intervient dans un moment structurellement plus inflationniste. Cela a plusieurs conséquences. Les banques centrales seront moins réactives en cas de retournement de cycle du crédit. Le seuil d’intervention pour un nouveau QE sera plus élevé. La remontée de taux d’intérêt réels, le renchérissement des primes de risque (term premium, liquidité, volatilité de l’inflation) vont durablement augmenter le coût de financement des entreprises. La récession attendue en 2022 par les marchés financiers ne s’est pas matérialisée en 2023. Cette menace pourrait réapparaitre sous la pression du marché du crédit. Un tel scénario verrait une détérioration significative de la dette High Yield en tant que classe d’actifs, à l’image des épisodes de 1991 et 2022. Durant ces épisodes, la correction du marché du crédit était allée bien au-delà de l’inflexion du cycle économique.

Le risque central des scénarios d’investissement réside dans la probable remontée significative et durable des taux de défaut des entreprises les plus risquées. La correction de la valeur du segment High Yield serait au moins égale aux dommages occasionnés en 2022 par le choc de duration (c’est-à-dire un ajustement de prix supérieur à 20%). Quant aux entreprises qualifiées de zombies, leur valeur pourrait tomber à zéro. Elles représentent près de 15% des entreprises cotées aux Etats-Unis. Cette menace doit être adressée dès maintenant dans les portefeuilles, surtout après une décennie de complaisance vis-à-vis du risque de crédit.

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