La prochaine crise financière en formation

Emmanuel Ferry, Union Securities Switzerland

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Le retournement du cycle de crédit sera le prochain risque majeur. Le pivot de la Fed n’interviendra pas avant une détérioration significative des conditions de financement des entreprises.

Le récent flux de nouvelles a été interprété comme les signaux avancés d’un retournement du cycle de crédit. Les banques ont considérablement durci leurs conditions de crédit aux Etats-Unis, mais aussi en Europe. Les banques commerciales américaines ont connu un flux cumulé de 900 milliards de dollars de sortie de dépôts depuis mars 2022, date du début du cycle de relèvement des taux directeurs de la Fed. Les volumes de prêts bancaires ont chuté de 105 milliards au cours des deux dernières semaines de mars, soit la plus forte baisse historique.

L’épisode de stress dans le secteur bancaire en mars nous rappelle les effets que peut entraîner une phase prononcée de resserrement monétaire, en niveau mais surtout en vitesse (de 0,25% à 5,0% en seulement 12 mois pour les taux des Fed Funds). L’événement sur la Silicon Valley Bank a été une nouvelle manifestation du choc de duration, après la crise des fonds de pension britanniques en octobre 2022 et la correction des marchés financiers l’année passée. La matérialisation de risques «non linéaires» pourrait entrainer un changement de régime de risque pour les investisseurs, d’un risque de récession à un risque de credit crunch. Cette évolution est notable, car si la récession est un sujet cyclique et ponctuel, associé en général à un profile en V pour les marchés, le credit crunch est un choc structurel bien plus profond. Le credit crunch correspond à un rationnement de l’offre de crédit des banques, phénomène plus critique qu’une simple hausse des taux d’intérêt, même accompagnée d’un resserrement des conditions du crédit. La situation de credit crunch est donc très problématique dans la mesure où la raréfaction de l’offre disponible de crédit bancaire est délibérée, et ce par d’autres moyens que les prix.

La sous-performance du High Yield par rapport à l’Investment Grade indique un début de discrimination du risque.

Avant d’envisager ce scenario extrême, un retournement classique du cycle de crédit est un épisode intermédiaire qui est déjà en phase de formation. C’est sans doute le principal risque macro-financier pour les prochains mois à adresser au sein d’un portefeuille. Les principes de rotation des classes d’actifs sont connus et tout donne à penser que nous entrons dans la phase où la dette des entreprises (notamment High Yield) décroche par rapport aux autres classes d’actifs. Le resserrement monétaire en fin de cycle sanctionne la mauvaise allocation du capital qui s’est accumulée durant la période de conditions monétaires accommodantes (prêts toxiques, dette illiquide de mauvaise qualité). La dislocation est inévitable car la liquidité disparait, la solvabilité des emprunteurs se dégrade brutalement (baisse du taux de profit, baisse des revenus), les intermédiaires financiers dé-risquent leurs bilans et l’appétit pour le risque des investisseurs diminue. La volatilité remonte au moment où le taux d’endettement atteint son maximum et le cycle conjoncturel se retourne. La probabilité de défaut se dégrade brutalement. L’écartement des spreads de crédit peut dans un premier temps coexister avec un marché actions en hausse, mais avec plus de volatilité. C’est seulement en phase de récession que tous les actifs risqués (crédit, actions, matières premières) se corrèlent à la baisse.

Factuellement, le marché du crédit demeure encore très complaisant. Les spreads High Yield sont en-dessous de leur moyenne de long terme, reflétant l’absence d’inquiétude. Le spread de la dette Investment Grade par rapport au cash est en dessous du point bas de 2007, illustrant un couple rendement/risque très médiocre. Toutefois, la sous-performance du High Yield par rapport à l’Investment Grade indique un début de discrimination du risque, signal logique mais encore très en retard par rapport au message de récession donné par l’inversion de la courbe des taux. Les défaillances d’entreprises aux Etats-Unis sont déjà à un plus haut niveau depuis la crise financière et les banques commerciales resserrent le crédit comme si la récession était déjà là. Le scenario de marché contre lequel il convient de se couvrir est donc un repricing du High Yield plus en ligne avec les fondamentaux et paramètres de marché (courbe des taux d’intérêt, volatilité sur les taux). L’augmentation des probabilités de défaut va impacter directement le marché du crédit et indirectement le marché actions. Les sociétés zombies (définies comme incapables de couvrir la charge de leur dette) représentent près de 15% des sociétés cotées aux Etats-Unis. Leur disparition signifierait un reset du cycle de crédit, précondition à un nouveau cycle de détente monétaire de la Fed.

La réorganisation des portefeuilles face à la menace du crédit (stress bancaire, credit crunch, hausse du défaut des entreprises) sera essentielle pour cristalliser les gains provenant du retracement de toutes les classes d’actifs depuis le mois d’octobre 2022.

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