Investir dans le nouvel ordre économique mondial

Emmanuel Ferry, Union Securities Switzerland

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Nous entrons dans un nouveau cycle post-moderne qui va structurer l’investissement thématique pour la prochaine décennie.

«La mondialisation est presque morte. Le libre-échange est presque mort». Les mots de Morris Chang, fondateur de Taiwan Semiconductor (TSMC), prononcés lors de l’inauguration d’une usine de production de semiconducteurs en Arizona en décembre dernier, illustre un changement profond de paradigme, dont les premiers signes remontent au lendemain de la grande crise financière. Depuis 2008, la globalisation stagne sur un plateau (Slowbalization), traduisant l’arrêt du super-cycle de libéralisation. Celui-ci avait été jalonné par le Consensus de Washington (1989), la chute de l’Union soviétique (1991), la «Fin de l’Histoire» (Fukuyama, 1992), et plus récemment l’entrée de la Chine dans l’OMC (2001). Le libre-échange, l’intégration économique, la réduction des tarifs douaniers, la libre circulation des biens, des services, et des capitaux, une économie globale interconnectée, les dividendes de la paix, l’essor démocratique et l’émergence d’une nouvelle classe moyenne ont participé de cette mondialisation heureuse. Cela a permis d’avoir une désinflation structurelle, une compression des primes de risques, et un rôle accru des banques centrales dans l’allocation du capital. L’élection de Donald Trump en 2016 a confirmé le retour à une fragmentation économique et géopolitique, avec notamment la guerre commerciale US/Chine. Les tensions commerciales ont été concomitantes avec des pressions populistes fortes (idem avec le Brexit). La multiplication des conflits locaux, la reprise des dépenses militaires et la fin du multilatéralisme confirment l’inversion du cycle de libéralisation.

On parle de cycle postmoderne dans la mesure où on doit s’attendre à un régime de croissance durablement plus inflationniste, avec des Etats plus interventionnistes.

Les événements récents que sont la pandémie du COVID-19, le blocage accidentel du Canal de Suez et l’invasion de l’Ukraine ont été des phénomènes d’accélération et de propagation de ce qui ressemble à un Nouvel ordre économique mondial, dominé par le retour de la souveraineté. La globalisation s’appuyait sur des ressources disponibles et bon marché, la désintégration verticale et des chaînes d’approvisionnement hyper efficientes en termes de coûts. La priorité est désormais à la sécurité, la diversification, la robustesse et la résilience des chaines d’approvisionnement. Cela implique des relocalisations sous plusieurs formes: reshoring, nearshoring, ou encore friendshoring. Les Etats jouent sans nul doute un rôle plus important dans l'allocation du capital. La souveraineté stratégique n'est pas qu’une question d'autosuffisance. Il s’agit aussi d'avoir les moyens et les outils pour réduire les dépendances extérieures dans des domaines jugés stratégiques - tels que la technologie, la sécurité, l'énergie ou l'alimentation. C’est donc un cycle plus tangible et plus physique qui s’annonce, avec la perspective d’une croissance économique plus riche en dépenses d’investissement et en infrastructures, donc plus redistributrice et plus riche en emplois.

On parle de cycle postmoderne dans la mesure où on doit s’attendre à un régime de croissance durablement plus inflationniste, avec des Etats plus interventionnistes (protectionnisme, subventions, réindustrialisation, transition et indépendance énergétique). Le FMI estime que le coût global de cette re-mondialisation pourrait représenter jusqu’à 7% du PIB. Ces nouvelles conditions macroéconomiques vont constituer la matrice de nouvelles mégatendances. Les récentes lois et régulations américaines (Inflation Reduction Act, CHIPS and Science Act) et leurs équivalents en Europe marquent les contours de ces nouvelles tendances structurelles. Si globalement c’est un jeu à somme négative au sens de la théorie des jeux, ce nouvel ordre mondial va toutefois faire émerger des pays et surtout des entreprises gagnantes. Les bénéficiaires de ce nouveau paradigme seront les entreprises qui vont faciliter ces mutations industrielles. Elles opèrent dans les secteurs considérés comme stratégiques par les Etats, et sont capables d’adresser de nouveaux relais de croissance structurelles (automatisation, électrification, ressources naturelles stratégiques, …). Ce sont des facilitateurs (enablers) et des innovateurs, présents dans les secteurs B2B: Industrie, Energie, Matériaux et Technologie. C’est donc une rotation du consommateur vers le producteur. Historiquement, ce type de sociétés surperforme en phase d’inflation élevée grâce à la résilience de leurs marges et un profil qualité/croissance raisonnablement valorisé en début de cycle.

Nos équipes de recherche et de gestion considèrent le retour de la souveraineté comme un thème d’investissement central et structurant pour la prochaine décennie. Les marchés Actions ont déjà pivoté vers cette thématique, avec un changement de leadership bottom/up qui se dessine très clairement. Les différentes stratégies que nous gérons dans cet univers valident ce tournant structurel. Le nouvel ordre mondial constitue donc un gisement d’opportunités pour les investisseurs, loin des leaders de la décennie passée.