L’alternative du diable

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Alors que le virus se répand, l’activité se fige et la liquidité s’assèche. L’économie mondiale est-elle désormais en état de guerre?

Agir c’est sortir du dilemme de l’attente. Mais pas forcément de l’angoisse. Fallait-il le faire plus tôt? Plus massivement? Le temps de faire les comptes n’est pas venu. Celui de l’urgence absolue est certainement là. L’un après l’autre, les pays s’y résolvent.

Agir donc, mais comment? S’en remettre à la science quand celle-ci s’interroge et ne peut à ce stade fournir d’informations suffisamment certaines sur le virus, sa létalité, ou sur les délais de fabrication d’un vaccin efficace? Mettre en œuvre des mesures de plus en plus strictes de confinement, sans pour autant porter une atteinte excessive aux libertés individuelles et publiques? Lancer des plans de soutien économique et financier tous azimuts, sans arriver à endiguer l’affolement des marchés?

Rien n’y fait, la panique financière comme la contagion virale, gagnent. La décision de la Réserve Fédérale, tombée un dimanche soir, suivie par d’autres banques centrales, n’a pas vraiment permis de stopper la dégringolade. Les marchés prennent conscience que rien n’arrêtera la récession économique qui s’annonce. Ce constat ne présage pas pour autant de sa sévérité, seulement de l’effondrement de certains châteaux de sable financiers. La pandémie est désormais mondiale, son épicentre s’est déplacé en Europe et menace les Etats-Unis. Sa durée probable, au long du printemps, son ampleur, quand bien même la Chine se remettrait en marche, ne permettent plus de compter sur un rebond immédiat et massif de l’activité.

Que faudrait-il donc faire? L’urgence sanitaire commande d’y consacrer tous les moyens nécessaires, mais aussi de s’inspirer des meilleures pratiques. Les experts énoncent quatre grands axes d’intervention: tester, traquer, isoler, informer. La Corée du Sud est le seul pays à tester sa population en masse. De cette mesure, fortement recommandée par l’OMS, découlent les autres, et cela permet aussi de comprendre le virus, de suivre son évolution, et donc d’y trouver une parade. Rendre les tests et les soins gratuits – comme en Thaïlande – c’est permettre aux personnes touchées de se déclarer sans crainte. Les mises en quarantaine et autres mesures dites de «distanciations sociales» au début de l’épidémie ont largement fait leur preuve par le passé. Il semble que la mise en quarantaine durant deux mois de la ville de Wuhan, ait permis de ralentir la progression du virus. Hong Kong a fermé ses écoles dès janvier.

Les séquelles de la guerre commerciale, les désaccords transatlantiques,
la guerre des prix pétroliers, laissent un sentiment de méfiance généralisée.

Le bon usage de la technologie montre ses vertus: une information largement diffusée, en temps réel peut contrer les fausses rumeurs. Elle peut s’avérer plus efficace qu’une fermeture de frontières: Taiwan et Singapour ont croisé les fichiers des douanes et de santé pour tracer au plus tôt les personnes atteintes. Cela demande des garanties sur le respect de la vie privée. Il reste que l’accroissement des moyens à disposition du système hospitalier et des personnels de santé, est la première urgence (c’est la leçon de l’expérience italienne), afin de décongestionner les services et assurer les soins de tous (la Chine avait fait appel à l’armée à Wuhan, la France vient de l’annoncer pour la région du Grand Est).

Le retour d’expérience peut-il également servir nos dirigeants en matière économique et financière? Certainement. Mais là encore le diagnostic est essentiel. Comme nous l’avions déjà signalé, cette crise se distingue de celle de 2008, par sa source (un choc d’offre exogène majeur) et sa nature (un choc de demande et une paralysie générale de l’activité provoquée par les autorités). La crise de liquidité et le risque de solvabilité ne sont que les corollaires de cette situation. Ils n’en sont pas moins dangereux. L’Etat d’urgence économique, et pour de nombreuses semaines, commande de laisser tomber les plans d’envergure pour prendre des mesures ciblées en direction des entreprises et des ménages, qui les soulagent à court terme: reports de charges, indemnisations des arrêts maladies, prise en charge du chômage technique (jusqu’au règlement de certaines factures), mise en place de fonds de solidarité, allant jusqu’à la compensation des pertes de chiffre d’affaires.

«Whatever it takes» donc, car il n’est plus temps de compter, mais il faut bien cibler. En demandant toujours plus, les drogués de l’intervention budgétaire et financière s’égarent.  De leur côté, les Banques Centrales peuvent soutenir le système financier national et international en fournissant la liquidité nécessaire, mais là encore ciblée. Dans ce contexte, la baisse des taux d’intérêt – aux conséquences mal anticipées sur les marchés de dettes – les achats de bons de Trésor ou de dettes hypothécaires, ne sont pas les outils les mieux adaptés à ces actions, d’autant qu’ils n’ont plus la force d’antan, pour avoir été trop utilisés.

A circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles. Que faut-il donc faire de plus pour arrêter la panique? Une impulsion et une coordination internationale peut-être? Bien sûr, l’un après l’autre, les Etats prennent des mesures semblables. L’une après l’autre, les Banques Centrales interviennent. Pourtant, cela semble se faire dans un climat de suspicion et de chacun pour soi. Les séquelles de la guerre commerciale, les désaccords transatlantiques, la guerre des prix pétroliers, laissent un sentiment de méfiance généralisée, voire même d’accusations réciproques. Disons-le, on a connu des G7 plus unanimes et plus déterminés. Il n’est pas sûr qu’à la visio-conférence du 16 mars, les «jeunes turcs» Trudeau et Macron aient su entraîner leurs ainés.  

«Damned if you do, dammed if you don’t», ajouterai-je … Damned if you don’t cooperate!

 

* Le titre de cette chronique est inspiré de celui d’un roman de Frederick Forsyth (ed Albin Michel)

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