Le remède pire que le mal?

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Entre Knock et Diafoirus, quelle médecine économique face à la pandémie, pour éviter la «loi de Murphy».

A mesure que la pandémie s’étend, les mesures de soutiens monétaires et budgétaires se multiplient. Le FMI et la Banque Mondiale ont débloqué des fonds d’urgence à destination des pays les plus fragiles. Qui le leur reprocherait? Les Etats, à commencer par la Chine, multiplient les bonnes intentions. Plus spectaculaire et même plus surprenante encore, la décision de la Réserve Fédérale d’abaisser son taux directeur de 50 points de base sans même attendre la réunion habituelle du FOMC le 18 mars. Au vu de la réaction des marchés, cette précipitation a été perçue comme une réaction de panique plus qu’un signal de soutien et de confiance. Le déclenchement d’une nouvelle «guerre des prix» pétroliers n’est pas fait pour rassurer les investisseurs. Serions-nous une nouvelle fois tombés sous le coup de la loi de Murphy, celle de «l’emmerdement maximum»? Il ne fait guère de doute que la récession est à nos portes en ce début d’année. Elle correspond au point bas d’un cycle particulièrement long. D’autant plus qu’il aurait été prolongé artificiellement par un activisme économique et monétaire bien mal à propos. 

Les autorités monétaires ont déjà brûlé trop de cartouches, en vain.

Beaucoup ont ainsi le sentiment que les autorités monétaires ont déjà brûlé trop de cartouches, en vain. Trop d’actions préventives nous laissent démunis quand le besoin s’en fait vraiment sentir. De plus, la baisse des taux d’intérêt n’a fait qu’inciter à un endettement devenu excessif, qui laisse la plupart des Etats et des entreprises sans marges de manœuvres. Quant aux «fourmis» budgétaires, elles semblent peu enclines à ouvrir les cordons de leurs bourses. 

Car déjà, la lassitude et la défiance gagnent. Nos gouvernants en font-ils trop ou pas assez? La situation est propice au soupçon. En matière de pandémie comme de politiques contracycliques, comment assurer dans ces conditions une réponse «mesurée, cohérente et proportionnée1» et surtout bien ciblée, au regard des moyens à mobiliser et des ressources dont on dispose? Sur le plan médical, l’ignorance sur la nature et l’évolution du virus, (va-t-il disparaître au printemps … Ressurgira-t-il à l’automne… Aura-t-il muté entre-temps?) comme l’absence de vaccin, rendent la situation très difficile à appréhender. Les mesures de prévention mises en œuvre sont-elles excessives ou seulement de bonne précaution? Les uns se demandent s’il est bien raisonnable de provoquer une telle angoisse pour une épidémie qui compte moins de victimes que la grippe saisonnière. A contrario, le faible nombre de décès ne découle-t-il pas justement de ces importantes mesures de prévention? Durant l’épidémie de grippe espagnole de 1918, les villes américaines qui ont le plus tôt et le plus systématiquement mis en œuvre des mesures de confinement et de quarantaine, ont connu des mortalités moindres.

Le risque de crédit est une conséquence
et non la cause première de la crise actuelle.

En va-t-il de même du côté de la médecine économique? A mesure que la crise sanitaire dure et s’étend, l’activité se fige et ses conséquences se dispersent dans un processus cumulatif. L’arrêt de la production et l’interruption des déplacements provoquent un choc d’offre. Le chômage forcé, les fermetures d’écoles, les pénuries, impactent les revenus des ménages. Même en «état d’urgence», ce qui limite leurs obligations, les entreprises ont besoin de liquidités pour faire face à leurs engagements. De leur côté, privés de ressources, les ménages puisent dans leur épargne de précaution, tout en réduisant drastiquement leur consommation. La perte de confiance des agents économiques dans les moyens de maîtrise de l’épidémie et de soutien à leurs difficultés, aggrave les comportements de repli.

En matière sanitaire et économique, face au risque de panique, une communication claire, transparente et constante est essentielle face à la rumeur. Les démocraties sont plutôt mieux armées pour agir en ce sens. Sur le plan économique, les Etats et les autorités monétaires vont devoir faire de même. Plus que des mesures d’ordre général, des actions concrètes et ciblées seront mieux perçues. Comme nous l’avons écrit précédemment, le risque de crédit est une conséquence et non la cause première de la crise actuelle. L’élargissement de mesures telles que les TLTRO2 permettent de maintenir les lignes de crédit bancaires ouvertes en faveur des entreprises en difficulté. De même, les Etats cibleront les mesures de report de prélèvements obligatoires tandis que les mécanismes de soutien contracycliques (relai par les assurances chômage, soutien aux plus fragiles). 

L’Europe pourrait bien fournir le meilleur étalon
d’une action publique ouverte et disciplinée.  

La situation actuelle met d’abord à l’épreuve les systèmes de protection et de santé. Ce qui n’a pas été prévu en amont, demandera d’autant plus d’efforts qu’il faut agir dans l’urgence. Cette épreuve peut permettre de renforcer la coordination et de la coopération internationales mises à mal ces derniers temps par la «guerre commerciale». L’Europe, aujourd’hui durement touchée mais bien mieux équipée sur le plan sanitaire que les autres grands blocs, pourrait bien fournir le meilleur étalon d’une action publique ouverte, disciplinée. 

1 Selon les termes même de l’OMS
2 TLTRO: Targeted Long Term Refinancing Operations

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