La pandémie a donné un formidable élan aux données statistiques en temps réel. Au risque d’agir sans réfléchir?
Dès le déclenchement de la pandémie, l’urgence économique a conduit de nombreux instituts statistiques à rechercher et intégrer les données dites à haute fréquence, afin de capter au plus vite et au plus près, l’ampleur de l’arrêt de l’activité. De la fréquentation des parcs aux achats par carte de crédit, en passant par le suivi du trafic aérien ou maritime, ces données immédiatement et facilement disponibles ont constitué une mine d’informations permettant également aux politiques de réagir au plus près de la crise. Comme le résumait récemment le magazine The Economist1, tous les progrès accomplis en matière de collecte de données statistiques, du fait de leurs insuffisances ou de leurs publications tardives, ont encore trop souvent laissé les économistes dans le noir, ne permettant pas aux politiques d’agir en connaissance de cause ni à bon escient.
La pandémie vient de donner un sens nouveau au Big Data. Au travers des applications et services de paiement en lignes et autres données de localisation disponibles via les réseaux sociaux, le monde est submergé d’informations. Si le secteur privé avait déjà pris la mesure de l’intérêt de telles données en temps réel pour la gestion de leurs stocks, l’orientation de leurs offres etc. les autorités publiques (instituts statistiques, banques centrales, gouvernements), restaient plutôt éloignés de ces mines de données. Non sans raison d’ailleurs, au regard des biais qui entachent la collecte de ces données abondantes certes, mais non filtrées. Pour s’en convaincre, il n’y avait qu’à lire les «mises en garde» qui accompagnaient les statistiques de mobilité publiée par Google.
Réconcilier le big data et la rigueur de l’analyse statistique et scientifique reste un défi que relève désormais une nouvelle générations d’économistes et des laboratoires universitaires de plus en plus nombreux.
La révolution 3.0 est en marche en économie. Pour les gouvernants également, qui semblent désormais capables de façonner leur politique avec plus de pertinence. Fini les «gros sabots», vive les «frappes ciblées» et au bon moment de surcroît ! Mais jusqu’à quel point?
Trois types de risques au moins devraient conduire à plus de circonspection. Tout d’abord, celui d’une interprétation incorrecte des données reçues. Lorsque les ventes de voitures neuves reculent, s’agit-il d’une baisse de la demande ou d’un manque de pièces détachées pour la production? Qui avait prévu que le rebond de la demande entraînerait cette fois-ci un regain d’inflation et à si courte échéance? L’extrapolation reste un art difficile. La crise de la pandémie ne saurait s’analyser à l’aune de celle de 2008. Aujourd’hui, l’heure est à l’économie expérimentale, établir les causalités pertinentes est au cœur de cette recherche. Mais la théorie fondamentale ne mériterait-elle pas également d’être revisitée?
En outre, les Etats disposant de tels outils ne risquent-ils pas de tomber dans un interventionnisme tous azimuts, donnant de surcroît des coups de barre intempestifs à chaque remontée d’informations contradictoires?
Enfin, et peut-être surtout au regard des enjeux climatiques et mondiaux qui nous préoccupent, nos gouvernants ne risquent-ils de pas perdre la boussole des objectifs de long terme qui doivent animer leurs engagements et leurs politiques?
Gouverner c’est prévoir dit l’adage, c’est aussi savoir tenir solidement la barre et faire fi des embruns.