«Ma part du gâteau»

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Inflation provisoire ou structurelle: est-ce le retour de la spirale prix/salaires?

On avait presque oublié le terme: la grève (ou sa menace) est de retour. Aux Etats-Unis le constructeur d’engins agricoles John Deere, des personnels hospitaliers à New York et ailleurs, et les 60 000 techniciens à Hollywood ont lancé des mots d’ordre et demandent des hausses de salaires immédiates de 5% à 6% - que certains ont déjà obtenues. En Allemagne également, pays de la modération syndicale, les appétits se réveillent et les négociations salariales s’annoncent plus tendues pour la première fois depuis de nombreuses années. Suite à la pénurie de camionneurs au Royaume Uni, le Premier Ministre Boris Johnson promet hausses des salaires, de la productivité et des qualifications. Dans le sillage de la reprise de l’activité, le marché du travail est un peu partout sous tension. Au point de voir s’enclencher une nouvelle spirale salaires/prix?

Aux Etats-Unis, plus de 10 millions d’offres d’emplois ne seraient pas pourvues. Certains secteurs, tels la restauration ou encore la santé manquent de personnel. Les fermetures de frontières dues à la pandémie ont réduit les mobilités professionnelles. Dans ce contexte, les revendications salariales reflètent un net changement dans les rapports de force économiques. Ira-t-on au-delà du simple rattrapage conjoncturel? La réponse dépend d’au moins deux autres paramètres que sont l’évolution de la productivité et le partage de la valeur ajoutée.

Face aux exigences salariales, certaines entreprises seront en capacité de transférer les hausses dans leurs prix de vente. D’autres rogneront sur leurs marges. Auquel cas elles risquent de se voir pénalisées en bourse.  Les «price makers» pourront amortir l’impact des hausses de coûts dans leurs comptes ; l’ampleur de ces mouvements risque en revanche d’enclencher une spirale inflationniste plus marquée.

Le manque de main d’œuvre devrait jouer en faveur des hausses de salaires, ajoutant au dilemme des Banques Centrales face au risque de voir les hausses de prix accélérer et perdurer.

La pandémie avait temporairement accéléré la productivité du travail. La reprise de l’activité tend à la ralentir. Aux Etats-Unis depuis 2016, la productivité a fortement accéléré, passant de 0,7% à près de 3% l’an. En Europe, la progression a été moins marquée, mais en hausse néanmoins. Les enquêtes récentes semblent signaler une amélioration de la productivité liée au recours au télétravail (moins de transport, plus de temps effectif productif). Les manques de capacités industrielles, les besoins de relocalisation pourraient accélérer la robotisation, désormais aussi nécessaire qu’abordable.

Toujours aux Etats-Unis depuis 2016, les salaires horaires moyens progressent à nouveau de plus de 2,5% l’an (jusqu’à plus de 4% l’an ces derniers mois) ; cependant la part des salaires dans la valeur ajoutée est restée plutôt stable. En Europe, la part des salaires dans la valeur ajoutée a fortement baissé à partir de 2015 à moins de 60% dans l’industrie (contre 71%). Elle pourrait recommencer à progresser sans pour autant nuire à la profitabilité des entreprises.

Alors que le taux de participation à l’emploi reste inférieur aux niveaux d’avant-crise, le manque de main d’œuvre devrait jouer en faveur des hausses de salaires, ajoutant au dilemme des Banques Centrales face au risque de voir les hausses de prix accélérer et perdurer.

Pour le moment, les autorités monétaires tablent sur le caractère temporaire et limité de ces rattrapages – comme dans le cas des hausses des prix de l’énergie – ceux-ci attirant plus de candidats vers l’emploi, d’autant que les mesures de soutien exceptionnelles au chômage vont progressivement s’arrêter. Ainsi en France, la décision du gouvernement de mettre en œuvre la réforme du chômage participera-t-elle de cette modération à moyen terme?

En attendant, la courbe de Philips pourrait bien signer son grand retour dans nos études.

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