«La technologie de l’information a changé la façon dont les gens créent de la valeur économique». Cette fameuse citation d’Alan Greenspan semble aujourd’hui également s’étendre à la blockchain. Suscitant un intérêt renouvelé depuis le début d’année, la technologie derrière le Bitcoin ou l’Ethereum est devenue médiatiquement incontournable. Cette dernière s’enracine dans le milieu financier, dépassant le simple cadre des cryptomonnaies. La compréhension de son potentiel, de ses limites et des grandes lignes directrices définissant ses caractéristiques est désormais un atout indéniable dans la palette de compétences et de services des gérants de fortune. 

Les définitions souffrent bien souvent de leur complexité. L’explication précède en général l’exemple. Or rien n’est plus parlant que les exemples d’utilisation pour aider à conceptualiser le potentiel de la blockchain. En soit, la définition de cette dernière peut se limiter à une vulgarisation succincte:

La blockchain est une technologie digitale qui permet d’enregistrer des informations qui peuvent être très variées: identité du propriétaire d’un bien, historique d’une transaction, valeur d’un actif, horodatage d’une action, statut d’une opération,...

Ces informations sont cryptées et ensuite stockées dans un registre distribué (Distributed Ledger Technology) de manière immutable. Ce registre, a l’instar d’un livre de comptabilité, permet de conserver un historique complet et inaltérable des mouvements de données et donc d’offrir à ceux qui peuvent le lire une traçabilité totale.

Dépendamment de la technologie sous-jacente choisie, ce registre peut être complètement décentralisé. La décentralisation permet à plusieurs acteurs de se partager la possession du registre en en maintenant chacun une copie au travers de ce que l’on nomme un nœud. Ces nœuds communiquent constamment entre eux et, au travers d’un processus de consensus, synchronisent leurs copies internes et les informations nouvelles afin de converger le tout vers une unique version qui fera foi.

Lorsqu’une donnée est donc enregistrée, cryptée et validée dans la blockchain, elle ne peut être modifiée. La donnée relative à la valeur d’un Bitcoin le 3 mars 2018 est, par exemple, immuablement enregistrée dans la blockchain Bitcoin. Chaque nœud peut ainsi vérifier cryptographiquement que ce qu’il voit dans sa copie interne correspond à ce que les autres nœuds voient également dans leur copie, et ceci sans intermédiaire ou tierce partie. 

 
¹ Bear & Rauchs, Invesco

Plusieurs industries ont sensiblement accéléré leur implémentation de solutions et d’infrastructures blockchain ces 18 derniers mois. C’est le cas de A.P. Møller Maersk avec sa solution TradeLens co-développée avec IBM qui s’impose comme la référence dans le fret et dans le commerce maritime. Les concurrents de l’armateur danois comme MSC et CMA CGM ont récemment annoncé rejoindre sa plateforme blockchain de partage d’informations de transport conteneurisé². Fort de ce constat, Al-Hamd International Container Terminal (AICT), l’un des terminaux de conteneurs les plus importants de Karachi, est devenu le premier exploitant de dépôt au Pakistan a rejoindre TradeLens afin de gérer la logistique digitale de ses conteneurs³.

Les solutions basées sur la blockchain se commercialisent également de plus en plus dans les secteurs bancaires et de la titrisation des actifs. Le 26 Juillet 2021, J.P. Morgan aurait à cet effet ouvert l'accès à des fonds crypto à tous ses clients en gestion de fortune. Selon un rapport de Business Insider⁴ citant un mémo interne, les Wealth clients de la banque auraient obtenu un accès à cinq produits crypto depuis le 19 juillet, quatre de Grayscale Investments et le dernier des fonds Osprey.

Cette annonce intervient une semaine à peine après un article du Financial Times⁵ évoquant l’adhésion de BNY Mellon à un consortium crypto regroupant State Street ainsi que six autres banques. Ce consortium regroupant deux des plus grandes banques dépositaires au monde aurait pour objectif de soutenir la plateforme londonienne de négociation de cryptomonnaies Pure Digital. Cette inclusion dans le monde blockchain suppose une demande directe de la part de leurs clients, dont une grande partie sont de grands gestionnaires d’actifs. 

Mais l’intérêt du monde bancaire pour la technologie blockchain dépasse celui de la simple cryptomonnaie. Le récent partenariat⁶ entre Oracle Financial Services Software et le fournisseur de technologies financières Everest en est une preuve. Les clients bancaires (retail et corporate) d’Oracle seront en mesure, à la suite de ce partenariat, de vérifier des informations d’identification d’un client lors de la création de compte, ceci grâce à une architecture blockchain.

Fort de cet intérêt, Mastercard a de son côté lancé plusieurs projets et initiatives reliées à la blockchain. La plus récente datant du début août 2021 concerne l’ouverture de son programme Start Path aux entreprises actives dans la blockchain. Cette annonce de Mastercard fait écho également à celle réalisée une semaine plus tôt. Le géant américain a en effet annoncé une alliance⁷ avec Circle, Paxos, Bitpay et Uphold, toutes actives dans la blockchain, afin d’intégrer davantage de fonctionnalités dans son programme de carte.

Une étude de Goldman Sachs reprise par Bloomberg⁸ mené auprès de 150 Family Offices à travers le monde démontre également l’intérêt croissant des UHNWI pour les investissements blockchain. 15% d’entre eux confirment avoir déjà investi dans les cryptomonnaie, et 45% affirment quant à eux leur intérêt de faire de même pour se protéger contre «une inflation plus élevée, des taux bas prolongés et d'autres évolutions macroéconomiques après une année de mesures de relance monétaire et budgétaire mondiales sans précédent.»

L’investissement dans les startups et projets blockchain devient ainsi de plus en plus courant. Selon un rapport de Bloomberg compilant les données de CB Insights et repris par Cointelegraph⁹ 129 start-up blockchain ont reçu environ 2,6 milliards de dollars de financement au premier trimestre 2021. Ce chiffre surpasse déjà de 300 millions de dollars le financement total sur l'ensemble de l'année 2020 pour l'ensemble de startups blockchain. 

Avec l’arrivée sur les marchés de la finance alternative d’une nouvelle génération d’investisseurs sortant des sentiers battus, ces chiffres ont une bonne propension à s'accroître dans les années à venir également.

Face à cet engouement des institutions et acteurs d’industries variés, la blockchain se heurte encore à quelques limites. L’utilisation énergétique, talon d’Achille de bien des blockchain à l'instar du Bitcoin, ou encore les frais de transactions parfois trop élevés dans le cas d’une utilisation grand public lors de fortes périodes d’affluence (ex: Ethereum) limitent l’implémentation des solutions. Le manque de régulations appropriées sont également des épées de Damoclès bien pesantes au-dessus des promesses de certains projets. 

Plusieurs acteurs tentent une percée avec leurs propres réponses. C’est le cas d’Ethereum avec sa nouvelle mise à jour EIP-1559 plus connue sous le nom de Hard Fork London promettant une réduction massive des coûts de transactions, et qui suscite controverses et attentes depuis quelques jours. Mais les réponses manquent encore de recul, et les problèmes bien connus de la consommation énergétique ou des frais de transactions ne sont pour l’instant pas encore résolus. 

Le potentiel de la blockchain est donc croissant, les projets qui prennent en compte les limites actuelles et se concentrent sur des solutions concrètes et réellement opérationnelles sont ceux qui attirent désormais les regards. Plusieurs startups fondées sur le pragmatisme de la réalité du terrain plutôt que sur les rêves et visions souvent irréalistes mènent leur bout de chemin, attirant investissements, clients et talents avec leurs produits opérationnels basés sur la blockchain. 

C’est le cas de FireBlocks, plateforme permettant aux banques de stocker des cryptomonnaies et qui vient de lever 310 millions de dollars, portant sa valorisation à 2 milliards. Autre exemple mais suisse cette fois-ci avec la banque Sygnum qui a tokenisé une peinture de Picasso avec l’entreprise Artemundi, ou encore Wecan Group avec sa solution de compliance Wecan Comply qui a récemment annoncé Julius Baer ou encore la Banque Syz comme nouveaux utilisateurs. 

S’il est en effet bien une chose qui soit sûre, c’est que la citation d'Alan Greenspan n’a jamais été autant d’actualité.