Cryptos: Mars, ou la Lune et retour

Yves Longchamp, SEBA Bank

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Chronique blockchain. Reviendrons-nous sur Terre après l’ivresse des hauteurs comme Richard Branson ou comme Elon Musk?

La blockchain est multi-usage. Elle permet de transférer toutes sortes de valeurs numériques directement entre deux parties sans passer par un intermédiaire centralisé. La multiplication des applications qui en résulte (principalement sous la forme de smart contracts) explique pourquoi les blockchains de type plateformes – comme Ethereum, Polkadot, Cardano, Solana – connaissent un grand succès et rattrapent le Bitcoin.

Toutefois, le succès des blockchains a mis en évidence leurs limites. Il y en a principalement deux: leur lenteur et leur incapacité à communiquer entre elles et avec le reste de l’internet. Des améliorations sont en cours d’implémentations, elles s’appellent respectivement et en anglais dans le texte: scalability (gains d’échelle) et interoperabilty (intégration).

Ces améliorations devraient être complètement opérationnelles dans les 18 mois à venir et donner une nouvelle envergure aux blockchains et aux cryptomonnaies. Pour s’en convaincre, revenons sur une des dernières innovations, il y a environ 18 mois de cela, qui a propulsé les cryptos proche de l’orbite lunaire avant que le crash de mai ne les ramène dans l’atmosphère terrestre. Cette innovation s’appelle composability en anglais ou compatibilité en français.

Avec l’explosion des combinaisons possibles, chaque brique lego prend de la valeur car son usage est multiplié.
Compatibilité

La compatibilité est à la blockchain ce que les legos sont au jeu de construction: un concept simple et efficace. Avec les legos, chaque pièce est une brique élémentaire qui ne demande qu’à être combinée pour créer un nouvel objet, plus complexe, dont la limite est bien souvent l’imagination.

La compatibilité de la blockchain est possible grâce à la standardisation des smart contracts et l’uniformité des jetons. Le standard ERC-20 définit les caractéristiques de smart contacts élaborés sur la blockchain Ethereum, créant une uniformité des jetons qui peuvent ainsi être combinés à loisir.

Avec l’explosion des combinaisons possibles, chaque brique lego prend de la valeur car son usage est multiplié. De manière similaire, la finance décentralisée consiste en un arrangement particulier de jetons  afin qu’ils puissent être échangés, prêtés, empruntés et combinés pour créer de nouveaux produits financiers.

Le résultat est sans appel, la finance décentralisée a connu un succès énorme. Uniswap, une bourse décentralisée est ainsi entrée cette année dans le top 10 des plus grandes capitalisations cryptos. Elle a aussi contribué à accroitre la notoriété d’Ethereum sur laquelle elle est construite. De janvier 2020 à aujourd’hui, la valeur de marché d’Ethereum a été multipliée par 12 contre moins de 4 pour Bitcoin, montrant ainsi l’attrait des plateformes.

Gains d’échelle

Victime de son succès, les limites d’Ethereum ont été mises en lumière. Avec environ 20 transactions par seconde, Ethereum n’est pas en mesure d’absorber l’augmentation des transactions induite par la finance décentralisée sans que le coût de chaque transaction augmente fortement. Résultat, le système est congestionné et le prix des transactions explose, limitant ainsi son utilisation, son attrait et son développement futur. En avril, juste avant la correction, l’utilisation de la plateforme Ethereum mesurée par le taux de remplissage des blocs était telle que le coût des transactions a grimpé à plus de 40 dollars comme l’illustre le graphique.

Ethereum: Utilisation et coût moyen de transaction

Source: Coinmetrics, SEBA Bank

Notez que ce constat n’est pas spécifique à Ethereum, il est applicable à toutes les blockchains de première et de deuxième génération, celles qui sont aujourd’hui opérationnelles.

Ethereum a entamé une mue pour devenir une chaine de troisième génération (Ethereum 2.0) et rivaliser, entre autres, avec l’étoile montante Polkadot. Si tout se passe comme prévu, Ethereum devrait gérer 100'000 transactions par seconde l’année prochaine.

Avec l’augmentation de la bande passante, une forte réduction du coût des transactions est au programme. Nul doute que de nouvelles applications non viables actuellement verront le jour. Une de ces applications est l’identité numérique. Elle permet de signer e-mails et autres documents numériques ainsi que de s’identifier en toute sécurité aux réseaux sociaux. L’identité numérique n’est viable que si son utilisation est bon marché. Peu de gens sont enclins à signer numériquement un e-mail si chaque signature coûte 10 francs. Lorsque le coût aura diminué pour atteindre un centime ou moins, l’identité numérique devrait connaître un grand succès.

La blockchain pourrait bientôt faire partie de notre quotidien, au même titre que l’internet.

Les solutions de gains d’échelle augmenteront la vitesse des transactions et diminueront leurs coûts. Des blockchains plus rapides et moins coûteuses à utiliser devraient propulser les cryptomonnaies vers de nouveaux horizons.

Intégration

Finalement, la dernière amélioration en date se nomme intégration. Dans l’idée, cette amélioration est similaire à la compatibilité, mais à une échelle supérieure. Au lieu de connecter les éléments d’un écosystème donné (par exemple Ethereum) comme le fait la compatibilité, l’intégration est plus large, car elle connecte les écosystèmes entre eux (par exemple Ethereum et Bitcoin) et avec l’internet.

Il existe en effet deux types d’intégration. L’intégration horizontale, celle qui permet aux différentes blockchains et à leurs écosystèmes de communiquer entre eux et l’intégration verticale qui relie les différentes blockchains avec l’internet. La résolution de ces problèmes devrait permettre d’augmenter les possibilités de combinaisons tout en facilitant grandement leur utilisation.

Conclusion

Si le succès de la compatibilité est extrapolable à l’intégration, on peut imaginer la finance décentralisée se généraliser. Si l’on ajoute encore la diminution des coûts d’utilisation grâce aux gains d’échelle à venir, la blockchain pourrait bientôt faire partie de notre quotidien, au même titre que l’internet.
Avec un tel scénario, les cryptomonnaies devraient poursuivre leur conquête spatiale, elles pourraient dépasser la Lune et se diriger vers la prochaine planète.

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