Goulets d’étranglement en Europe

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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La zone euro paraît proche d’une reprise. Mais la fermeture de l’output gap et la normalisation de l’emploi sont encore loin.

© Keystone

A court terme, les fluctuations du cycle sont déterminées par des chocs sur les dépenses du secteur privé. Dans une récession, la stabilisation économique vise donc à soutenir la demande. La réponse de l’offre peut ne pas être instantanée. Dans la crise présente, les goulets d’étranglement sont plus serrés que d’ordinaire. La pénurie de certains matériaux limite l’offre, notamment dans l’industrie, surtout la branche automobile. Cela explique largement la faiblesse de l’activité en zone euro au premier trimestre 2021. A la différence des contraintes financières, qui peuvent durer des années, ces restrictions sont en général de courte durée. Il devrait en être de même pour les tensions de prix qui les accompagnent.

L’offre et la demande jouent à cache-cache

D’après les données de la Commission européenne, qui couvrent plus de trente années, les industriels de la zone euro ne sont jamais redevenus aussi optimistes en si peu de temps. La raison est simple: leurs carnets de commandes se sont regarnis ces derniers mois à un rythme sans précédent, si vif même que la production peine à suivre.

Le point bas du cycle économique a été atteint au deuxième trimestre 2020 lors du Grand Confinement. A ce moment-là, les obstacles à la production venaient avant tout des facteurs de demande, mais depuis lors, les industriels européens jugent que ces limitations sont en repli. A l’opposé, les limitations venant de facteurs d’offre s’intensifient, atteignant des niveaux historiques en ce qui concerne le manque de matériaux industriels ou d’équipement. Cette situation n’est pas propre à la zone euro, on observe un phénomène semblable aux Etats-Unis.

Les goulets d’étranglement traduisent la faiblesse des stocks en sortie de crise.

Chaque jour amène son lot d’anecdotes sur la pénurie de tel ou tel bien intermédiaire. L’attention des marchés financiers est obnubilée par le corollaire de ces pénuries, à savoir les hausses de prix de matières premières, mais sauf à supposer que les banquiers centraux décident d’y réagir par un resserrement monétaire précoce – ce qui est hautement improbable – ce sont les contraintes sur les volumes d’input (et non sur les prix) qui vont dicter l’évolution du cycle à court terme et les écarts entre pays. Une illustration évidente nous est donnée par le secteur automobile qui est actuellement soumis à d’importants goulets d’étranglement. En zone euro cette branche pèse 11% de la production manufacturière totale. Cette part se monte même à près de 20% en Allemagne contre seulement 9% en Espagne et 6% en Italie et France. Si l’économie allemande a dans l’ensemble moins souffert que le reste de la zone depuis le début de la pandémie, elle a sous-performé ses voisins au premier trimestre 2021, avec une baisse du PIB réel de 1,7% t/t vs -0,2% pour les autres pays. C’est la conséquence directe du manque de semi-conducteurs qui oblige à fermer des lignes de production. Au total, pour la zone euro, la production automobile est nettement en retrait des autres branches industrielles. Sa rechute récente et les effets induits sur les autres secteurs expliquent environ la moitié de la baisse du PIB européen au premier trimestre 2021.

Les goulets d’étranglement traduisent la faiblesse des stocks en sortie de crise. Dans le cas de la zone euro, on ne dispose pas comme aux Etats-Unis d’une mesure directe du niveau des stocks, mais les comptes nationaux estiment par différence entre production et demande finale leur contribution à la variation du PIB réel. Avec les données partielles du premier trimestre 2021, on estime que l’impact n’est pas très éloigné des niveaux marquant le retournement haussier du cycle après la Grande Récession de 2008 et après le double dip de 2012. Dans ces conditions, même si le moral des industriels européens se tasse dans les prochains mois et trimestres, cela ne présagerait pas nécessairement une rechute de l’activité manufacturière.

Les enquêtes auprès des entreprises signalent aussi des difficultés d’approvisionnement dans le bâtiment, mais à un degré moindre que dans l’industrie. Quant aux services, leur reprise est avant tout bridée par les facteurs extra-économiques que sont les restrictions sanitaires, qui sont en passe d’être progressivement levées.

En somme, l’économie de la zone euro paraît proche d’un point d’inflexion qui la ferait passer d’une phase de quasi-stagnation (quatrième trimestre 2020 – premier trimestre 2021) à une phase de véritable reprise. En tout état de cause, la fermeture de l’output gap n’est pas une perspective imminente, pas plus que la complète normalisation des conditions d’emploi. Ce sont là des arguments puissants en faveur du maintien d’une politique monétaire accommodante. Compte tenu du retard cyclique de la zone euro vis-à- vis des Etats-Unis, il est étonnant, pour le moins, que ces arguments soient moins souvent mis en avant à la BCE qu’à la Fed.

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