Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve…

Julien Serbit, Prime Partners

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Le sentiment de marché semble être en train de tourner et l’on pourrait bien passer de «fuir le marché avant qu’il ne s’effondre» à «fuir la peur avant de rater toute la hausse».

Après un premier semestre de hausse des actifs risqués, le sentiment de marché semble désormais plus optimiste vis-à-vis de l’arrivée d’une récession marquée aux Etats Unis. L’économie américaine, portée par ses secteurs de service, est bien plus robuste qu’escomptée.

«Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve», cette magnifique chanson de la désormais regrettée Jane Birkin est sortie en 1983. Les somptueuses paroles, du non moins regretté Serge Gainsbourg, parlent de peur et semblent indiquer que finalement c’est parfois quand tout va bien qu’il vaut peut-être mieux tout arrêter.

Cette œuvre n’a évidemment rien à voir avec les marchés financiers. Mais les marchés financiers ont eux beaucoup à voir avec nos ressentis. La peur en est parmi les plus courants quand il s‘agit d’investir et cette année offre un bel exemple de la puissance du «sentiment» de marché et de son impact sur la performance des indices boursiers.

Nul besoin de longuement répéter ce que nous lisons déjà partout depuis des semaines. Les marchés actions sont onéreux, le ralentissement économique est bien présent dans les secteurs industriels, l’inflation, qui certes diminue, restera probablement élevée plus longtemps que prévu et les banquiers centraux pourraient ne pas vraiment se détendre de sitôt.

Il est facile de noircir encore un peu plus le tableau en rappelant la guerre en Ukraine, les diverses tensions géopolitiques ou même les manifestations désastreuses et de plus en plus régulières du réchauffement climatique.
Enfin, cerise sur le gâteau, coté marché, la hausse des actions en 2023 est principalement due au fort momentum de l’intelligence artificielle ayant porté une dizaine de grandes valeurs technologiques américaines. La concentration est donc énorme et il est réaliste de nous représenter en train de marcher à côté du vide, de plus en plus haut et sur un chemin de plus en plus étroit.

Nous pourrions donc nous arrêter là, tout vendre et rideau.

Mais revenons à la chanson de Jane Birkin…Les paroles commencent par évoquer la peur de souffrir et d’être déçu mais au fil des rimes du génial Serge, on sent bien qu’en parallèle de ces craintes il y a l’espérance que tout va finalement aller et le besoin de croire en l’avenir.

Comme dans la chanson, l’année boursière 2023 se caractérise par plusieurs mois de craintes initiales dont la matérialisation n’a pas eu lieu jusqu’à présent. Au fur et à mesure du processus et des performances positives des marchés, notamment des actions américaines, l’espoir qui gagne du terrain.

La récession tant annoncée tarde à se matérialiser et la résilience de l’économie américaine est telle qu’on en vient à se dire que finalement de récession…il n’y aura peut-être pas. Outre atlantique, le consommateur subit certes l’inflation mais il a gardé son emploi et son salaire a été augmenté ces derniers trimestres. Les secteurs des services tournent à plein régime et sont les garants de la bonne santé économique actuelle du pays.

Il est tentant de se dire que nous avons peut-être été un peu trop pessimiste concernant le scénario d’une violente récession ou du moins trop en avance.

Les opérateurs émotionnés négligent régulièrement la capacité d’adaptation dont nos économies font preuve et cette année l’illustre une fois de plus. Malgré des taux élevés, un environnement géopolitique chaotique et de bien nombreuses raisons de voir le verre à moitié vide, le risque principal encouru par les investisseurs au premier semestre était bien celui d’être sous investi en actifs risqués! La bérézina des résultats d’entreprises annoncée trimestre après trimestre ne se produit toujours pas en 2023 et il convient de reconnaitre que c’est même régulièrement l’inverse. C’est bien souvent la seule prudence de certaines guidances qui vient tempérer l’enthousiasme croissant.  

Le sentiment de marché semble être en train de tourner et l’on pourrait bien passer dans les prochaines semaines de «fuir le marché avant qu’il ne s’effondre» à «fuir la peur avant de rater toute la hausse».

Bon nombre d’entreprises démontrent qu’elles ont été capables de s’adapter à des taux d’intérêts durablement plus élevés tout comme les consommateurs qui eux ont été en mesure de modifier leurs habitudes de consommation et sont prêts à payer plus chers certains services qu’ils ne le faisaient pré Covid.

De là à penser que la croissance des services américains va empêcher la désinflation de se poursuivre au pays de l’Oncle Sam, il n’y a qu’un pas. Si cela venait à se produire, alors la crainte d’une récession ne devrait plus vraiment nous préoccuper et le focus reviendrait rapidement sur la réaction des banquiers centraux et une éventuelle poursuite de la hausse des taux.

Après bientôt sept mois en 2023 et les performances positives des marchés actions, il parait aujourd’hui raisonnable d’être plus constructif pour la deuxième partie d’année sans céder à une potentielle euphorie à venir ni à une concentration sectorielle excessive, notamment sur la technologie

Jane, elle aussi, finissait sa chanson de manière plus optimiste

Fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve
Se dire qu'il y a over the rainbow
Toujours plus haut le soleil above
Radieux

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