Franc: l’art de déjouer les pronostics

Yves Hulmann

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Le premier tour de vis de la BCE, qui pourrait intervenir d’ici décembre, redistribue les cartes sur les marchés des devises.

«Inévitable», « seulement une question de temps». A la fin de l’automne 2021, nombre d’économistes et d’experts des marchés des devises semblaient être certains de leur pronostic: dans quelques mois, le franc suisse s’échangera à parité avec l’euro. Des prévisions basées au demeurant le plus souvent sur d’excellents arguments: en termes de parité de pouvoir d’achat, le franc n’est plus si surévalué par rapport à l’euro qu’il ne l’était au milieu de la dernière décennie. En outre, toute résurgence de la volatilité, qu’elle soit due à des facteurs inhérents aux marchés ou à l’évolution de la situation géopolitique devrait profiter au franc, compte tenu du traditionnel rôle de valeur refuge que joue la monnaie helvétique en temps de crise.

Les tensions en Ukraine n’ont pas renforcé le franc

Or, deux mois plus tard, rien de tel ne s’est produit. Après s’être apprécié d’abord aux environs de 1,03 franc par euro, la monnaie helvétique n’a cessé ensuite de perdre du terrain face la monnaie européenne. Jeudi, le franc s’échangeait même à plus de 1,06 franc par euro en fin d’après-midi, pour revenir aux environs de 1,055 franc par euro vendredi soir. Depuis début janvier, l’euro s’est ainsi apprécié de près de 2% par rapport au franc.

Par rapport à la situation qui prévalait encore l’automne dernier, plusieurs aspects ont entretemps passablement modifié la donne.

Pourtant, le début d’année a été pour le moins houleux sur les marchés, marqués par la sévère correction subie par les valeurs technologiques fin janvier, tandis que les tensions sont restées vives entre les Etats-Unis et la Russie sur la situation en Ukraine. Malgré tout, ces différents facteurs de tension n’ont provoqué de mouvement de repli vers la monnaie helvétique.

Attendre la BCE, un réflexe qui a fait son temps

Par rapport à la situation qui prévalait encore l’automne dernier, plusieurs aspects ont entretemps passablement modifié la donne. Tout d’abord, l’inflation en Suisse, qui a atteint 1,6% en janvier en comparaison annuelle, reste certes faible comparée à celle observée en Europe, au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, mais elle est suffisamment élevée pour balayer les craintes de déflation, un des arguments qui justifiait jusqu’ici la nécessité pour la BNS d’intervenir sur les marchés des changes. Ensuite, compte tenu de la très forte reprise de la croissance économique en Suisse, estimée à 2,6% par Swiss Life et à 3% par le consensus pour 2022, ne justifie plus non plus d’intervenir sur les marchés des devises afin de préserver l’économie helvétique tournée vers les exportations.

Enfin et surtout, les économistes sont toujours plus nombreux à anticiper un premier tour de vis du côté de la Banque centrale européenne dès la fin de 2022 - et non pas seulement à partir de 2023 comme cela était anticipée il y a quelques mois encore.

Vers la fin des taux négatifs? 

Avec quel effet sur la politique monétaire de la Banque nationale suisse (BNS)? La Banque cantonale de Zurich (ZKB), citée par AWP, indiquait vendredi s’attendre à ce que la BNS relève ses taux directeurs à hauteur d’un quart de point, une première fois en décembre de cette année, puis successivement en mars et juin 2023. Dans une note publiée vendredi, la banque J. Safra Sarasin s’attend même à ce qu’un tel premier pas intervienne encore plus tôt: «Nous ne voyons pas de raison pour la BNS de maintenir sa politique monétaire actuelle plus longtemps et nous prévoyons une première hausse de taux dès septembre – indépendamment du fait que la BCE ait resserré ou non ses taux d’ici là», soulignait son chef économiste Karsten Junius.

J. Safra Sarasin table sur la parité avec la devise européenne à fin 2023.

Qu’attendre du franc face à l’euro dans un tel contexte? Le moins que l’on puisse observer est que les économistes gardent des avis contrastés à ce sujet. Dans ses prévisions concernant les marchés des changes, J. Safra Sarasin anticipe une appréciation du franc à 1,02 franc contre l’euro au quatrième trimestre 2022, pour atteindre ensuite la parité avec la devise européenne à fin 2023. Début février, Swiss Life prévoyait même que «la paire EUR/CHF évoluera vers la parité ces prochaines semaines».

Affaiblissement du franc attendu par BAK Economics

Tout autre son de cloche du côté de BAK Economics: mercredi, l’institut de recherche économique bâlois a non seulement relevé sa prévision de croissance du PIB suisse à 3,1% pour 2022 mais il anticipe aussi un net affaiblissement du franc par rapport à devise européenne cette année et l’an prochain. La devise helvétique devrait s’échanger à 1,06 franc par euro en 2022, puis continuer de s’affaiblir à 1,10 franc par euro en 2023. Face à une telle divergence, la prudence reste de mise. Comme le mois de janvier l’a encore illustré cette année, l’expérience montre que les marchés des devises sont souvent ceux qui parviennent le mieux à déjouer les pronostics.

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