Soldes (finales?) dans la tech

Yves Hulmann

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Le décrochage a été spectaculaire pour les valeurs technologiques les plus spéculatives. Les actions, dans leur ensemble, redeviennent abordables.

La dernière semaine de janvier s’est terminée vendredi sur une note un peu plus rassurante qu’elle n’avait commencé. Après leur décrochage spectaculaire lundi et mardi, les principaux indices boursiers outre-Atlantique évoluaient même en légère hausse vendredi en début de soirée. L’occasion de dresser un premier bilan pour les quatre premières semaines de l’année. Sans surprise, ce sont les actions technologiques, tant célébrées au cours des deux dernières années, qui ont le plus fortement corrigé depuis début janvier. Malgré son rebond vendredi, l’indice Nasdaq termine le mois de janvier sur un recul de 13%, ce qui l’a ramené à son niveau de fin mai 2021. En comparaison, l’indice élargi de la bourse américaine, le S&P 500, n’a lui abandonné que 8% au cours des quatre premières semaines de janvier. Hormis la tech américaine, le début d’année 2022 a aussi été dévastateur pour les crypto-monnaies. Le Bitcoin, en dollar, a perdu 22% de sa valeur depuis début janvier et même 39% au cours des trois derniers mois.

L’Europe moins affectée

En comparaison, les principaux indices européens se sont, jusqu’ici, bien sortis d’affaires. En Suisse, l’indice SMI, soutenu par les valeurs défensives que sont Nestlé et les deux géants de la pharma bâloise, a limité son repli à 6% depuis début janvier. En Europe, le DAX allemand a terminé vendredi les quatre premières semaines de l’année sur un recul de 3,6%, tandis qu’à Paris le CAC 40 a finalement cédé moins de 2% depuis début janvier. Malgré tout, le mois de janvier 2022 restera comme l’un des pires de ces deux dernières décennies pour les bourses, à l’exception de celui de 2008, en pleine crise financière.

Grantham, Shiller: le retour des oiseaux de mauvais augure. 

Contrairement à l’éclatement de la pandémie de COVID-19 qui avait pris par surprise les marchés en février 2020, les intervenants sur les marchés ne pouvaient pas dire qu’ils ont été pris entièrement au dépourvu. Depuis décembre, les voix qui avertissaient des risques de survenance d’une correction, en particulier dans les valeurs technologiques, se sont multipliées. Les minutes de la Fed, publiées le 5 janvier, annonçaient aussi clairement que la Réserve fédérale n’allait pas changer de cap si facilement et qu’elle allait poursuivre sur la voie d’une politique monétaire moins accommodante.

Plusieurs oiseaux de mauvais augure – qui avaient été un peu oubliée en 2021 - ont à nouveau parler d’eux en janvier. Ainsi, Jeremy Grantham, le fondateur de GMO, avertissait dans sa lettre aux investisseurs publiée le 20 janvier de l’éclatement imminent de la quatrième plus grande bulle de ces cent dernières années – souhaitant par la même occasion «bonne chance» aux investisseurs. Selon l’investisseur britannique octogénaire, toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour que l’on assiste à l’éclatement d’une quatrième «super bulle», comparable aux trois précédentes survenues aux Etats-Unis au cours des cent dernières années. A savoir celle de 1929, la bulle technologique de 2000 et la bulle immobilière de 2006.

En début de semaine dernière, l’économiste américain Robert Shiller, auteur de «L’exubérance irrationnelle», estimait, lui, que les marchés boursiers pouvaient encore chuter de 50%. Certes peu moins pessimiste, Greg Jensen, co-directeur des investissements du fonds américain Bridgewater Associates, estimait en milieu de semaine qu’il fallait s’attendre à un repli de l’ordre de 15 à 20% de la bourse américaine, ce qui pourrait potentiellement ramener l’indice S&P 500 jusqu’aux environs de 3500 points (contre un peu plus de 4360 points vendredi). Selon lui, la Fed ne voit désormais plus d’un mauvais œil un recul de la valeur des actifs et elle va se contenter de laisser faire les choses.

Les héros de la pandémie n’ont plus la cote.

Les investisseurs n’ont-ils alors plus d’autre choix que de prendre leurs jambes à leur coup et de se débarrasser au plus vite des actions, surtout technologiques, qui restent encore dans leur portefeuille? C’est ici que l’analyse mérite d’être plus nuancée. Si en milieu de semaine dernière, certaines valeurs de la Tech avaient déjà perdu en 40 et 80% par rapport à leurs plus hauts niveaux atteints au cours des douze derniers mois, la correction a surtout affecté des sociétés souvent très médiatisées en lien avec quelques développements spécifiques.

C’est le cas par exemple du courtier en ligne gratuit Robinhood, dont le titre, porté par la hype autour de Gamestop au début de 2021, a perdu plus de 80% de sa valeur par rapport à son plus haut. S’y ajoutent aussi plusieurs actions d’entreprises en lien avec la mobilité électrique, à l’exemple du constructeur de véhicules à propulsion alternative Nikola qui a perdu les trois quarts de sa valeur par rapport à son plus haut atteint en 2020. Ou encore de Rivian, un constructeur de véhicules électriques dont l’action a reculé de plus de 60% par rapport à ses sommets. Il en va de même de Zoom, la plateforme de vidéoconférence qui avait un boom spectaculaire au début de la pandémie, dont le titre s’est dégonflé des deux tiers. De manière plus surprenante, les titres des producteurs de vaccins Moderna et BionTech ont aussi perdu les deux tiers de leur valeur comparé aux cours les plus élevés que ces sociétés avaient atteint. De même, le titre de Netflix, dont les perspectives de croissance n’enthousiasment plus autant les analystes, valait 40% de moins que son plus haut de novembre 2021. L’action de la plateforme de streaming a perdu 37% de sa valeur durant le seul mois de janvier.

La «vieille» tech résiste mieux 

En comparaison, les valeurs déjà établies de la tech américaine, dont l’origine remonte à la fin des années 1990 ou avant, n’ont de loin pas connu le même sort. Depuis début janvier, les actions de Microsoft et d’Alphabet limitent leurs pertes à quelque 9%, tandis que le titre d’Apple n’a reculé, lui, que de 5,5% depuis début janvier. Le fabricant de l’iPhone a même rebondi de plus de 5% vendredi en milieu de séance après avoir publié des ventes supérieures aux attentes durant le mois de décembre. Enfin, le phénomène de rotation sectorielle, s’il pénalise la Tech, profite désormais à d’autres secteurs comme les assurances, les banques, qui tirent généralement parti d’un environnement de taux d’intérêt plus élevés.

Assiste-t-on pour autant aux derniers jours de soldes sur les marchés, à l’image des multiples pancartes «sales» placées actuellement devant les entrées des magasins? Certains analystes restent circonspects, estimant que la correction actuelle pourrait être de plus longue durée que ce à quoi les intervenants ont été habitués durant les dix dernières années. «Nous continuons à voir des risques à la baisse et ne vous attendez pas à un retour rapide à des marchés des actions en hausse persistante», écrivait vendredi la banque J.Safra Sarasin dans une note au sujet des actions américaines.

Davantage de clarté du côté de la Fed

En fin de compte, la semaine écoulée a surtout eu le mérite d’apporter de la clarté quant à l’attitude à attendre de la part de la Réserve fédérale américaine ces prochains mois. Au lieu des trois ou quatre hausses de taux qui étaient encore attendues l’automne dernier pour les deux prochaines années, ce sont désormais six à sept tours de vis qui sont attendus de la part de la Banque centrale outre-Atlantique jusqu’à début 2024. C’est ce que soulignait BMO dans une note vendredi: «Il est certain que le ton adopté par la Fed est bien moins conciliant qu’avant. Mais un grand nombre de sociétés pourraient bien dépasser les estimations des analystes financiers. L’économie mondiale, elle, continue de se remettre des effets de la pandémie et les bénéfices devraient augmenter de concert», mettait en balance Steven Bell, chef économiste de BMO GAM. 

A cet égard, on peut se souvenir de la remarque faite au début des années 2010 par un commentateur de marché américain lorsque la Fed avait entamé son cycle de resserrement de ses taux: tant que le chemin est clairement balisé, peu importe si la pente à gravir est plus ou moins raide.

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