Est-il temps que les investisseurs revoient leur position sur les marchés émergents?

Chris Iggo, AXA IM

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Ces derniers temps, les marchés émergents ont été boudés par les investisseurs. Or, il existe de timides signes indiquant une amélioration de leurs performances.
  • En raison de leurs avantages économiques et démographiques, les économies en développement continuent d’offrir des perspectives probantes sur le long terme.
  • Des risques subsistent, mais la croissance enregistrée dans des domaines tels que la décarbonation et l’intelligence artificielle pourrait représenter une aubaine pour les marchés des pays émergents.

Les marchés émergents, considérés habituellement comme un vivier d’opportunités, ont disparu des radars de nombreux investisseurs en raison de plusieurs facteurs, notamment la crise immobilière bien établie en Chine, ainsi que les inquiétudes portant sur le resserrement de la politique monétaire américaine, qui a accentué l’attrait des liquidités.

De meilleurs rendements obtenus par les marchés, un contexte économique de plus en plus favorable et la perspective d’une baisse des taux d’intérêt aux États-Unis donnent toutefois à penser que le moment est peut-être venu de réévaluer leur potentiel.

Il existe une multitude de raisons de considérer les marchés émergents dans une perspective axée sur long terme, notamment de nombreux avantages économiques et démographiques - ils sont les principaux moteurs de la croissance mondiale, représentant en effet 50,1% du PIB mondial en 2023, et 66,7% de sa progression au cours de la décennie précédente.

Ces pays connaissent également une industrialisation rapide, abritent la majeure partie de la population mondiale, disposent d’une main-d’œuvre jeune - plus de 40% de la population indienne est âgée de moins de 25 ans - et d’une classe moyenne en pleine expansion. Une analyse de McKinsey indique que d’ici 2030, la plupart des consommateurs des marchés émergents, représentant une part de 75% de la population, seront âgés de 15 à 34 ans, auront une attitude plus optimiste à l’égard de l’économie et seront par conséquent plus disposés à s’engager dans des dépenses.

Une politique monétaire plus stricte

Investir dans les économies en développement de la planète a toujours été synonyme de prise de risque importante et d’espoir de se voir largement récompensé.

Les problèmes auxquels on a coutume de les associer typiquement sont l’instabilité politique - et souvent géopolitique -, une réglementation laxiste et un manque de transparence dans l’information sur les entreprises, du moins en comparaison avec ce qui se pratique dans les marchés développés.

Plus récemment, les risques géopolitiques, et encore davantage la hausse agressive des taux d’intérêt américains, ont nui aux économies en développement - un billet vert plus fort a fait grimper les niveaux d’endettement et la terne croissance économique mondiale a également fait des dégâts.

Un tournant à prendre

Après des années de marasme, un signe évident d’un rebond potentiel des marchés émergents se manifeste dans le fait que les rendements des investissements se sont récemment rapprochés de ceux des marchés développés. L’indice JP Morgan Emerging Markets External Sovereign Bond est en hausse de 4% depuis le début de l’année, tandis que l’indice MSCI Emerging Markets a enregistré un rendement total de 9% pour la même période. Parallèlement, l’indice MSCI World a progressé de 12%, tandis que l’indice ICE BofA Global Government Bond est resté stable.

Dans une perspective plus large, certaines évolutions positives sont venues renforcer le succès récent des marchés émergents.
Ainsi, leur croissance économique a résisté à la faiblesse de la Chine. Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit que les marchés émergents et les économies en développement connaîtront désormais une croissance de 4,3% en 2024 et 2025, contre des estimations précédentes de 4,2%. Cette révision à la hausse est due à «une activité plus forte en Asie, notamment en Chine et en Inde».

Les entreprises de pays comme l’Inde, la Chine, l’Indonésie, le Mexique et l’Arabie saoudite ont tendance à réaliser de meilleurs résultats lorsque la croissance des marchés développés est forte. Cela a non seulement des effets positifs sur les économies nationales de ces pays, mais favorise également l’investissement direct dans leurs actions et obligations d’entreprise.

Le FMI a constaté qu’en 2023, les flux nets de capitaux vers les marchés émergents, Chine non comprise, se sont redressés après la pandémie de Covid pour atteindre 110 milliards de dollars US, soit 0,6% du PIB, en 2023 - donc le niveau le plus élevé depuis 2018.

Rejoindre une tendance de fond

Les mégatendances telles que la décarbonation, l’innovation technologique et la percée de l’intelligence artificielle (IA) contribuent également à stimuler la croissance.

C’est ainsi qu’en Chine, les ventes de véhicules électriques (VE) sont passées de 1,3 million à 6,8 millions d’unités entre 2021 et 2022, ce qui représente plus d’un tiers des ventes mondiales de VE en 2022.

Les métaux tels que le cuivre et le nickel, qui sont des composants essentiels de l’énergie propre et de la production de véhicules électriques, feront sans doute l’objet d’une demande croissante à mesure que le monde se rapprochera de l’objectif «zéro net». Or, plus d’un tiers de la production mondiale de cuivre provient du Chili et du Pérou, alors que l’Indonésie, les Philippines et la Russie assurent les deux tiers de la production globale de nickel.

De même, l’adoption de l’IA contribuera à accroître la productivité et à favoriser les processus de transition dans un grand nombre de secteurs industriels des marchés émergents.

Renforcement financier

Dans l’ensemble, les marchés de pays émergents ont bien résisté au resserrement monétaire mondial. Cela s’explique en grande partie par le fait que ces pays ont pris des mesures pour renforcer et réformer leurs institutions financières et qu’ils profitent par ailleurs d’un cadre politique et financier désormais plus solide, notamment en Argentine, en Égypte, au Ghana et au Pakistan.

Au cours des derniers mois, les révisions à la hausse effectuées par les agences de notation telles que S&P Global et Fitch ont été plus nombreuses que les révisions à la baisse. Cette évolution reflète l’amélioration de la situation macroéconomique mondiale ainsi que le succès des programmes de restructuration, souvent mis en œuvre sous l’égide du FMI.

Le cycle d’assouplissement entamé aux États-Unis devrait également profiter aux pays émergents: il devrait réduire la puissance du dollar, donnant ainsi une plus grande flexibilité aux banques centrales de ces régions pour mener à leur tour une politique plus souple, tandis que la baisse des taux d’intérêt américains augmentera l’attrait des rendements potentiels attendus dans les marchés des pays émergents.

Il convient de noter dans ce contexte que l’indice MSCI Emerging Market a une valorisation plus proche des indices européens, plus fidèles à la réalité économique, que des indices du marché américain, biaisés par une forte composante technologique. En outre, le consensus actuel des analystes financiers prévoit une croissance des bénéfices de 18% au cours des 12 prochains mois.

Les défis subsistent

Plusieurs pays émergents ont déjà tenu des élections cette année, notamment l’Inde, l’Afrique du Sud et le Mexique. Jusqu’à présent, elles n’ont pas débouché sur de nouvelles orientations politiques, mais l’élection américaine sera déterminante pour les marchés émergents, car une deuxième présidence de Donald Trump pourrait à nouveau favoriser une politique commerciale protectionniste. Il est probable que des mesures de cette nature seraient principalement dirigées contre la Chine, mais elles pourraient aussi avoir des retombées sur les chaînes d’approvisionnement d’autres pays asiatiques.

Les tensions géopolitiques pourraient alors fortement s’accentuer au vu du conflit entre la Chine et Taïwan, ainsi que de la situation au Proche-Orient.

La fragilité financière reste, elle aussi, une source d’inquiétude, en particulier en Afrique subsaharienne et en Amérique latine. Les risques liés au dérèglement climatique constituent également une menace à long terme, susceptible de perturber l’agriculture, le commerce et les communautés.

Cependant, les économies des pays émergents représentent une part bien plus importante de l’économie mondiale - une part qui ne cessera de s’accroître, notamment en profitant des développements à venir en matière de décarbonation et de révolution technologique.

À l’heure actuelle, il est possible d’y trouver une abondance de valeur et, compte tenu de la phase moins brillante traversée par le secteur ces derniers temps, les marchés émergents pourraient représenter une opportunité d’investissement au potentiel solide sur le long terme.

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