Aux États-Unis, les événements se précipitent, et les sondages donnent à penser que l’ancien président Donald Trump est en passe de devenir le 47e président du pays. Les investisseurs doivent évaluer si son programme politique est inflationniste, s’il menace de faire grimper les taux d’intérêt et/ou s’il aggravera les risques géopolitiques et les menaces qui pèsent sur les échanges commerciaux à l’échelon international. Évidemment, nous connaissons son style et sa rhétorique depuis la période de 2017-2020. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y aura pas de volatilité. Pour l’heure, l’économie mondiale semble solide et les marchés financiers sont guidés par cette réalité. Les rendements des portefeuilles seront stimulés par la perspective de taux d’intérêt plus bas et par la progression continue des bénéfices des entreprises. Alors, profitez-en, ne vous laissez pas impressionner par le vacarme et installez-vous pour assister au drame.
‘American psycho’
Potentiellement impacté par les événements américains de la semaine dernière, il semble que Trump soit en tête dans la course à la présidence des États-Unis. Les sondages d’opinion, par exemple ceux cités par le site web 586.com, placent Trump à environ deux points de pourcentage devant le président Joe Biden. Toutefois, il reste incertain de quelle manière se poursuivra le processus électoral. Il n’est même pas établi que M. Biden sera le candidat démocrate en novembre, car il a contracté le COVID-19, ce qui ajoute une nouvelle couche d’incertitude et renforce l’idée qu’il faudra le convaincre de se retirer de la course à la Maison-Blanche. Pour l’instant, toutefois, l’hypothèse d’une victoire de Trump, privilégiée par les marchés, se dessine plus clairement, avec toutes les conséquences qui en découlent pour les investisseurs.
Trump en tête, programme publié
Le programme politique des Républicains est intéressant à lire. Les propositions qu’il contient constituent un mélange de protectionnisme commercial, de déréglementation, de largesses fiscales, de lutte contre l’énergie verte et de conservatisme social. On y trouve plusieurs propositions dirigées contre la Chine, notamment la suppression du statut de nation la plus favorisée et l’interdiction d’importer des véhicules fabriqués en Chine. Dans son projet, le parti républicain prétend protéger les entreprises et les emplois américains en contrôlant l’immigration et en recherchant à obtenir ce qui est décrit comme des accords commerciaux équitables. Il y demande que l’on s’attaque aux dépenses fédérales «inutiles» et aux efforts qui visent à contrecarrer la déréglementation. Les baisses d’impôts initiées par le président Trump doivent être poursuivies, et le programme promet de ne pas taxer les pourboires - la preuve que l’on ne délaisse nullement l’importante cohorte d’électeurs que forme le personnel assurant le service dans la restauration!
Inflation
L’un des engagements pris est de «vaincre l’inflation et de rendre l’Amérique à nouveau abordable». Cette promesse semble principalement concerner l’énergie et reposer sur la thèse selon laquelle le fait d’obliger l’Amérique à extraire davantage de pétrole et de gaz domestiques permettra d’éviter une répétition du choc énergétique de 2021-2022. Il n’y est pas fait mention d’un nouveau retrait de l’Accord de Paris, mais on y constate un net retour à l’industrie traditionnelle des énergies fossiles, accompagné de la promesse de détricoter le Green New Deal. Il reste à voir si les subventions accordées aux énergies vertes et aux activités à faible teneur en carbone, selon la Loi sur la réduction de l’inflation, seront supprimées, mais les propositions de Trump pourraient donner un coup de frein important à la croissance du secteur des énergies renouvelables. En effet, dans les années à venir, l’investissement environnemental, social et de gouvernance (ESG) sera sans doute plus difficile à mettre en œuvre aux États-Unis. L’agressivité à l’égard des principes ESG, déjà affichée par plusieurs États américains, pourrait bientôt être amplifiée depuis Washington.
La présence et l’essor des énergies renouvelables n’ont pas été à l’origine du choc inflationniste de 2021-2022, mais le point de vue populiste stipule que les États-Unis ont besoin d’une plus grande sécurité énergétique, assurée par une production renforcée de pétrole et de gaz. La base électorale de Trump reste totalement sourde aux arguments portant sur les questions environnementales, le dérèglement climatique et la tarification marginale de l’énergie au niveau mondial. Il est néanmoins intéressant de noter que le secteur de l’énergie du S&P 500 a surperformé au cours des deux dernières semaines. En outre, la plupart des autres propositions seraient de nature à alimenter l’inflation - droits de douane sur les importations, restrictions à l’immigration et préférence pour des impôts moins élevés. Par ailleurs, on n’y décèle guère de signes indiquant une quelconque intention de chercher à réduire le déficit fédéral.
En ce qui concerne l’inflation dans un sens plus général, le programme prévoit de restreindre l’immigration (et d’expulser les immigrés clandestins), ainsi que de mettre en œuvre une politique commerciale plus protectionniste, notamment en augmentant les droits de douane sur les importations. Il s’agit de restreindre l’offre en appliquant des mesures inflationnistes. Il a été suggéré que Donald Trump était également favorable à un dollar plus faible, afin de réduire le déficit commercial. Il n’y a rien de nouveau dans tout cela. C’est le programme politique de Trump 1.0, mais il n’en devrait pas moins susciter des inquiétudes si le candidat républicain est réélu en novembre. Depuis 2020, le point mort d’inflation de l’US Treasury Inflation Protected Securities à 10 ans s’est négocié entre 0,50% et 3,0%. Je parie que la limite supérieure serait la plus susceptible d’être titillée si ces risques inflationnistes potentiels devenaient plus importants sous la prochaine administration.
Les échanges commerciaux selon Trump
Pour dire les choses simplement : au vu de son programme, on peut conclure qu’une présidence Trump serait positive pour les industries pétrolières et gazières, les crypto-monnaies (ce qui ne manque pas d’ironie, car l’un des récits employés pour soutenir l’utilisation prolongée des crypto-monnaies et des actifs numériques se base sur la peur de l’inflation et le manque de confiance dans les institutions gouvernementales), l’intelligence artificielle (IA) - il paraît que J.D. Vance est un «tech-bro» - et les industries qui bénéficieront du protectionnisme (secteur automobile) et de la déréglementation (secteur pharmaceutique). En revanche, les largesses budgétaires prévues et un ensemble de mesures inflationnistes faussant le marché pourraient résulter en une augmentation des rendements des obligations d’État et des coûts d’emprunt des entreprises. À courte échéance, la Réserve fédérale (Fed) maintiendra un plafond sur ses taux directeurs, et ira même jusqu’à les abaisser, mais la pentification de la courbe des taux est une opération qui fonctionne aussi bien avec une Fed plus conciliante qu’avec la politique fiscale de Trump. Des progrès considérables ont été accomplis en matière de décarbonation et de croissance des actifs solaires et éoliens, mais pour l’énergie verte, le programme républicain comporte plus d’obstacles que d’éléments stimulants. Comme le plus souvent quand il s’agit des déclarations politiques de Trump, il reste à voir ce qui sera réellement mis en œuvre et ce qui restera un simple effet rhétorique. Dans son discours d’acceptation au Congrès national républicain, il a promis de «mettre fin à l’obligation d’achat de véhicules électriques». Or, ces dernières semaines, Elon Musk a été l’un de ses plus fervents défenseurs (et potentiellement, l’un de ses plus puissants soutiens financiers). Alors, faut-il acheter ou vendre des titres de Tesla?
Consensus sur un scénario «Boucles d’Or»
Comme dans tous les manifestes politiques, ce qui est annoncé et ce qui est finalement réalisé n’est pas forcément la même chose. Entre-temps, l’économie mondiale continuera à déterminer les performances des marchés au cours des prochains mois. Cette semaine, le Fonds monétaire international (FMI) a publié ses dernières perspectives, prévoyant que la croissance mondiale restera solide - à 3,2% pour cette année et à 3,3% en 2025. Bien qu’il mette en garde contre le renchérissement du secteur des services, qui restera un frein à la désinflation globale, le FMI prévoit que l’inflation mondiale des prix à la consommation sera de 2,7% cette année et de 2,1% en 2025. Les prévisions de base sont positives quant aux perspectives des marchés : poursuite de l’expansion, modération de l’inflation et suffisamment de marge de manœuvre pour un assouplissement monétaire. Dans les perspectives du FMI, les principaux risques proviennent de l’incertitude politique et des tensions commerciales qui empêchent l’inflation de baisser davantage, ce qui signifie que les taux d’intérêt resteront «plus élevés, pour encore plus longtemps». Il s’agit d’une articulation commune des risques liés à l’incertitude politique dans un contexte de déficits élevés et de trajectoires budgétaires potentiellement instables. Le décodage de tout ceci signifie probablement que les rendements obligataires réels resteront relativement élevés (en raison de primes de terme correspondantes). Or, ils se situent à un niveau plus élevé qu’ils ne l’ont été durant la dernière décennie, de sorte qu’il n’est pas aisé de savoir dans quel sens vont les échanges.
Les taux et les bénéfices sont plus importants actuellement
Il reste 16 semaines et une convention nationale démocrate avant les élections américaines. Compte tenu des développements de la semaine passée, on peut s’attendre à tout. En gardant cette incertitude à l’esprit, nous sommes néanmoins plus fermement convaincus que la Fed procédera bientôt à un abaissement de ses taux directeurs. Quant à lui, le marché est sûr à 100% d’un premier palier d’abaissement arrivant en septembre et d’un autre après les élections. Cela soutiendra le marché obligataire et renforcera la tendance générale à la normalisation de la courbe des taux. Pour ce qui est des actions, la saison des bénéfices du deuxième trimestre semble positive jusqu’à présent. Les bénéfices déclarés se sont accrus de 7 - 8%, avec les secteurs de la technologie, de la consommation discrétionnaire et des services financiers qui affichent des chiffres substantiels. Jusqu’ici, nous n’avons pas enregistré de surprises négatives de taille, ce qui laisse supposer que l’essor général des marchés boursiers peut se poursuivre.
L’exceptionnalisme n’est pas terminé
Pour les investisseurs en actions, la question centrale est de savoir si l’exceptionnalisme américain est appelé à s’effacer. Bien entendu, les trumpiens diront que non alors qu’ils s’efforcent de réaliser les ambitions du MAGA. Selon les prévisions du FMI, le différentiel de croissance entre les États-Unis et le reste du monde se réduit légèrement, mais il est peu probable de voir entièrement disparaître les tendances ayant conduit à la surperformance des États-Unis au cours des dernières années. Les bons résultats réalisés par TSMC au deuxième trimestre montrent que l’IA reste un puissant moteur des dépenses d’investissement. Bien que j’aie affirmé que les actions à petite capitalisation n’avaient pas été très performantes cette année, l’indice Russell 2000 a enregistré l’une de ses meilleures progressions hebdomadaires depuis longtemps, et d’autres signes indiquent que les performances du marché boursier s’élargissent. Le secteur technologique a certes vacillé quelque peu ces deux dernières semaines, mais dans une large vision des choses, c’est à peine perceptible. Les baisses de taux d’intérêt que le marché a intégrées par anticipation suggèrent qu’une récession peut être largement écartée, ce que donnent aussi à penser la plupart des données économiques. Pour toutes ces raisons, et d’autres encore, il est difficile d’annoncer la fin de la surperformance des États-Unis. Un véritable marché baissier supposerait que les perspectives soient nettement plus préjudiciables à la croissance économique et, en dépit des incohérences économiques du programme politique républicain, celui-ci ne représente pas un billet d’entrée en récession.