Politique et marchés

Chris Iggo, AXA IM

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Sur le plan local, une redéfinition des priorités politiques aura des répercussions, mais pas nécessairement des effets importants ou durables sur les marchés.

Les grands changements politiques s’accompagnent d’incertitude et de perturbations. Dans les cas extrêmes, cela peut affecter les prix et le commerce - ce qui peut avoir des retentissements notables à l’échelle mondiale. Sur le plan local, une redéfinition des priorités politiques aura également des répercussions, mais pas nécessairement des effets importants ou durables sur les marchés. À l’heure où le Royaume-Uni s’apprête à entamer un tournant avec un nouveau gouvernement, les rendements des marchés se présentent sous de bons augures. Mais de l’autre côté de la Manche règne encore l’incertitude. Les actions britanniques, en sous-performance depuis le vote du Brexit en 2016, pourraient néanmoins poursuivre leur remontée.

Un résultat électoral clair: le marchés sont en hausse 

Un changement majeur dans la composition politique du gouvernement et/ou l’obtention d’une majorité importante au parlement constituent généralement les conditions nécessaires à une réaction positive des marchés financiers britanniques. Les résultats des récentes élections remplissent l’une et l’autre de ces conditions. Par conséquent, je m’attends à ce que les marchés boursiers britanniques enregistrent de bonnes performances et à ce que celui des gilts se redresse, en raison d’une prime de risque politique plus faible et de la perspective d’un abaissement des taux d’intérêt de la Banque d’Angleterre. La dernière fois que le parti travailliste avait pris les commandes du pays après une longue période passée dans l’opposition, en obtenant une nette majorité des sièges, c’était en 1997. Un mois après les élections d’alors, le FTSE 100 était en hausse de 4% et les rendements des obligations d’État affichaient une baisse de 22 points de base (pb). Un an plus tard, le FTSE 100 avait progressé de plus de 35% et les rendements des obligations d’État avaient baissé de 160 pb.

Bilan positif 

Bien entendu, il n’existe aucune garantie que les rendements des actifs financiers britanniques seront meilleurs, cette fois-ci aussi, mais les vents sont favorables. L’élection permet de démettre de ses fonctions un gouvernement entaché par les turbulences du Brexit et les multiples changements de dirigeants, ainsi que par une image négative quant au comportement personnel de ces derniers. Le monde politique sous-estime l’impact que ces aspects peuvent avoir sur un pays, de l’avis des investisseurs internationaux. De plus, le marché britannique des actions est avantageux par rapport à ses équivalents internationaux. Il en va de même de la monnaie. Par conséquent, il est prêt à accueillir les acheteurs du monde entier. Sur le plan macroéconomique, la croissance devrait évoluer du taux de 0,3% en glissement annuel, enregistré au premier trimestre, vers une valeur comprise entre 1,0% et 1,5% en 2025. Il existe toutefois des risques de renchérissement, surtout en cas d’assouplissement monétaire. Sur le plan budgétaire, les perspectives ne sont pas brillantes, mais la situation du Royaume-Uni n’est pas pire que celle de nombreux autres pays européens et des États-Unis. Il n’y a aucune raison pour que les gilts se montrent moins performants que les autres obligations souveraines des pays développés.

Détails 

Le programme du parti travailliste se distingue par son manque actuel de détails. Il y est dit que la priorité reviendra à la croissance et que tous les objectifs budgétaires affichés trouveront un financement adéquat. Il contient également des promesses de réforme du secteur de l’énergie et d’amélioration des infrastructures, réalisées en augmentant la participation de l’État dans les chemins de fer, en modernisant les installations portuaires et en accordant la priorité à la construction de nouvelles routes. Il se peut par ailleurs que les travaillistes se soient inspirés de l’exemple des États-Unis, en projetant de mettre l’accent sur l’énergie verte dans le cadre d’une politique industrielle plus étendue. Toutes ces mesures visent à relancer vigoureusement la croissance, comme le prévoit le programme travailliste. Celui-ci promet en outre d’établir de meilleures relations avec l’Europe, tout en écartant les éventuelles velléités de réintégrer le marché unique ou l’union douanière.

Adaptation 

L’économie britannique, dans son ensemble, ainsi que la City de Londres, ont dû s’adapter au monde post-Brexit. Il a fallu délocaliser de nombreuses activités d’échanges commerciaux et d’investissement libellés en euros vers des centres situés dans l’Union européenne, ce qui a vu Londres perdre un grand nombre de professionnels européens de la finance. Durant un certain temps, Paris a dépassé Londres comme principal centre d’échanges d’actions. Il sera intéressant de voir comment les choses évolueront à l’avenir et, si dans un secteur vital pour l’économie britannique, les avantages compétitifs traditionnels de Londres pourront à nouveau servir d’appui à une croissance robuste. Les activités bancaires, la gestion d’actifs et les assurances resteront des secteurs importants, mais les sociétés de type Fintech et de crypto-monnaies pourront également prospérer dans un environnement politique désormais plus stable.

Risques à l’étranger 

Ainsi, pour les actifs britanniques, les résultats du scrutin d’hier pourraient avoir réduit les risques politiques localisés. Mais en dehors du Royaume-Uni, tel n’est pas le cas. J’écris ce billet juste avant que les électeurs français ne se rendent aux urnes pour la deuxième fois, afin de déterminer à quoi ressemblera l’Assemblée nationale suite à sa dissolution décidée il y a quelques semaines par le président Emmanuel Macron. Aux États-Unis, il n’est pas certain que le président Joe Biden soit encore le candidat démocrate en novembre, compte tenu des inquiétudes concernant sa santé. Sur le plan géopolitique mondial, il existe un risque important d’escalade des conflits en Ukraine et au Proche-Orient. Structurellement, la polarisation des cultures et des ambitions politiques occidentales et non occidentales façonnera notre histoire dans les décennies à venir, avec des implications pour les dépenses militaires, la sécurité physique et cybernétique, la gestion de l’immigration et, bien entendu, les risques liés au changement climatique.

Évaluation des risques politiques 

Les investisseurs se verront constamment rappelés de prêter attention aux risques géopolitiques. Il est facile de les évoquer, mais pas si simple de les définir et d’être précis quant à leur impact sur les portefeuilles. Il existe cependant quelques mécanismes évidents. Le premier se rapporte à l’incertitude. Les bouleversements politiques tels que des résultats électoraux inattendus ou, dans des cas plus extrêmes, un changement soudain de gouvernement, créent de l’incertitude quant aux perspectives politiques et économiques. Cela concerne plusieurs domaines: Qu’adviendra-t-il de la croissance et de l’inflation ? Comment sera conduite la politique monétaire ? Assisterons-nous à une augmentation des emprunts publics ? Les relations étrangères changeront-elles de telle manière à avoir un impact sur les flux de commerce et d’investissement ? Les marchés peuvent y réagir de plusieurs façons, généralement en fonction de l’évolution des taux d’intérêt et de la monnaie du pays en question. Pour les économies des pays émergents, une telle incertitude politique peut entraîner une diminution des flux de capitaux, ce qui peut susciter des inquiétudes en termes de financement externe si les réserves de change s’amenuisent. La France craint actuellement que le scrutin électoral de dimanche ne produise des résultats peu probants, l’empêchant par la suite de procéder aux ajustements budgétaires nécessaires pour stabiliser son ratio dette/PIB. L’augmentation des revenus obligataires français, par rapport aux rendements allemands, devrait donc se poursuivre.

La France est un exemple éloquent des préoccupations des pays développés, axées généralement sur la politique budgétaire et la viabilité de la dette souveraine. Compte tenu de l’augmentation constante de la dette publique enregistrée ces dernières années par rapport au PIB des pays concernés, les gouvernements ne disposent que d’une marge de manœuvre limitée s’ils veulent éviter de provoquer des réactions négatives du marché (augmentation des rendements obligataires). D’autres préoccupations portent sur la crédibilité des plans de croissance, des mesures de politique industrielle et commerciale, ainsi que de la réglementation. L’incertitude politique engendre des questionnements sur la politique à attendre du gouvernement. Pour les investisseurs, il est alors difficile d’avoir confiance dans les rendements de leurs placements. Cela peut conduire à une allocation de capital plus défensive et à des primes de risque plus élevées.

La France et les États-Unis connaissent actuellement ce type d’incertitude parce que nous ne savons pas encore à quoi ressembleront leurs gouvernements respectifs après les prochaines élections. Le Royaume-Uni est désormais mieux placé à cet égard, même si le programme du parti travailliste présente des lacunes.

Perturbations 

En raison des conséquences qu’ils peuvent avoir pour les canaux de l’offre et de la demande, les risques géopolitiques mondiaux ont un impact sur les marchés. Des événements tels que des attaques terroristes (ou la menace de telles attaques), des tensions militaires accrues ou un conflit armé effectif ont des répercussions sur les dépenses des consommateurs et des entreprises dans les régions concernées. Les déplacements de populations, les échanges de marchandises et les flux de capitaux peuvent en être affectés négativement. En termes d’importations et d’exportations, l’accès au marché en pâtit également. Il devient ainsi plus risqué d’investir dans des sociétés ayant des activités directement ou indirectement liées à des pays et des régions en proie à des conflits géopolitiques. Comme nous l’avons vu en 2022/2023, un événement géopolitique peut créer un choc de l’offre et conduire à l’inflation, ce qui se traduit par des taux d’intérêt plus élevés et des répercussions négatives sur la croissance et l’investissement. Si la Russie n’avait pas envahi l’Ukraine, le monde n’aurait pas été confronté à un tel choc des prix de l’énergie, les taux d’intérêt n’auraient peut-être pas connu une telle envolée, les rendements obligataires auraient été moins négatifs et l’Europe aurait peut-être enregistré une croissance plus forte.

Impact macroéconomique 

Cet événement géopolitique a eu un impact sur les dépenses et les décisions de placement, car il a amené les entreprises et les consommateurs à prendre moins de risques. Le risque macroéconomique s’est concrétisé. Il a affecté la croissance et a entraîné une augmentation des primes de risque (à savoir une baisse des prix) pour les actions et le crédit. Les investisseurs peuvent cependant se consoler en se rappelant que les marchés réagissent souvent de manière excessive aux événements géopolitiques. Dans un tel processus, les premières réactions créent d’ailleurs des opportunités d’achat et la perturbation est souvent d’une moindre ampleur que ce que l’on pouvait craindre. Comme le dit le vieil adage, il n’y a rien à craindre hormis la peur même.

Aujourd’hui, la crainte principale est celle d’un nouveau conflit mondial entre l’Occident et une alliance comprenant la Chine, la Russie, l’Inde et d’autres pays de l’hémisphère sud. Il s’agit là d’un risque extrême qui pourrait avoir un impact sur l’allocation mondiale des capitaux (démondialisation) et sur l’aménagement des chaînes d’approvisionnement. Les tensions existent et sont devenues plus réelles ces dernières années. Or, la réélection de Donald Trump pourrait les accroître. Mais nous voilà actuellement face à des actions qui atteignent des sommets et à des rendements obligataires réels stables, voire en baisse. À court terme, il faut donc s’intéresser à l’économie plutôt qu’à la politique.

Deuxième tour 

Nous aurons encore le temps d’évaluer ce qui se passera aux États-Unis, plus tard dans l’année, suivant que les démocrates auront remplacé Biden ou non. Dans ce contexte, il est de plus en plus question de transactions axées sur le credo « Trump l’emporte »: elles sont légèrement baissières pour les bons du Trésor américain (expansion budgétaire et inflation), haussières pour le dollar et plutôt réticentes à alimenter la bulle technologique. Pour l’instant, elles n’ont toutefois pas de répercussion directe sur les prix. En effet, le marché obligataire se focalise davantage sur le calendrier d’un possible assouplissement de la Réserve fédérale alors que les données indiquent des chiffres plus faibles (un abaissement des taux intervenant en juillet pourrait constituer une surprise ?), et les marchés boursiers restent portés par l’immense vague d’engouement pour l’intelligence artificielle. Jusqu’ici, la volatilité est restée assez faible (le VIX est à 12), et tout le monde s’accorde à dire que dans une perspective historique, le mois de juillet est un moment favorable pour les rendements des obligations et des actions. Mais la deuxième moitié de 2024 pourrait s’avérer moins calme.

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