Economie suisse: investir ou dépérir, un choix si peu cornélien

René-Pierre Giavina, BCV

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Inflation, crise énergétique, confiance des acteurs économiques, les incertitudes ne refluent guère pour une économie helvétique qui fait pourtant de la résistance. Mais jusqu’à quand?

L’année 2022 aura marqué les esprits par la foultitude et la rapidité de changements brutaux de paradigmes. L’économie suisse n’y a pas échappé, mais a, une fois encore, fait preuve de résilience. Reste un nuage noir à l’horizon, le manque d’investissements.

Alors qu’apparaît 2023, certaines nouveautés de 2022 sont appelées à rester. L’inflation fait dorénavant partie du paysage. Les banques centrales, pompiers encensés lors des précédentes crises – économique ou financière – se retrouvent dans le rôle de pompiers décriés en relevant drastiquement les taux d’intervention au risque d’accélérer le ralentissement de l’activité. La guerre aux portes de l’Europe inquiète. Après l’abondance, c’est la crise énergétique qui nous accompagne. La Chine, moteur de la croissance de la dernière décennie, (di)gère péniblement la pandémie et est fragilisée par le dégonflement d’une bulle immobilière. Le relèvement de l’âge de la retraite n’est de loin plus un tabou en Occident. L’interventionnisme des Etats est applaudi. Et la liste peut encore s’allonger.

Si les consommateurs ont un moral presque dans les chaussettes, celui des industriels souffre aussi de quelques lézardes.

L’année dernière aura aussi marqué les esprits par la forte correction des marchés boursiers. Si son ampleur n’est pas si rare que cela sur les marchés des actions, même dans les phases haussières, cette correction a plongé le marché obligataire dans un bain de sang. Un krach bien pénible pour les portefeuilles diversifiés, mais qui ramène les rendements obligataires en territoire positif et redore ainsi l’attrait d’une classe d’actifs longtemps honnie.

Décélération marquée de la croissance

Ainsi, les ingrédients ne manquent pas pour insécuriser les Suisses et les Suissesses: ces nouveaux paradigmes se traduisent au quotidien par la hausse des taux courts, la forte progression des coûts du crédit, des marchés boursiers volatils, une crise énergétique lancinante, une collaboration brinquebalante avec nos voisins européens, une érosion du pouvoir d’achat qui sera encore accrue par les hausses de loyer et des primes des caisses maladie. Ceci alors même que le taux de chômage continue de flirter avec ses plus bas historiques et que des augmentations de salaire garnissent un peu l’escarcelle des ménages.

Si les consommateurs ont un moral presque dans les chaussettes, celui des industriels souffre aussi de quelques lézardes: difficultés à trouver des employés qualifiés, approvisionnement en composants électroniques – et produits intégrant plusieurs composants électroniques – encore délicat, hausse des coûts de production, récession chez notre principal partenaire commercial (la zone euro). Soit: rien de bien réjouissant pour les entrepreneurs, si ce n’est que les craintes de crise énergétique semblent s’estomper pour cet hiver, un hiver pour l’instant bien doux comparé à la norme.

Récession évitée

Si la croissance suisse était encore positive au troisième trimestre, son rythme s’est modéré en cours d’année. En attendant les chiffres du PIB pour le dernier trimestre et l’ensemble de 2022 (28 février), suivre les sondages conjoncturels permet de prendre le pouls de notre économie. Avant une entame de rebond en décembre (à 92,2 points), le baromètre conjoncturel du KOF a sensiblement reflué ces derniers mois et reste sensiblement en dessous de sa moyenne de long terme. Bien que toujours bien installé au-dessus des 50, le niveau séparant expansion de contraction de l’activité, l’indice des directeurs d’achat a aussi marqué le pas, tout comme l’indice d’activité hebdomadaire calculé par le KOF.

Les exportations ont battu des records en 2022, le commerce extérieur continuera de tirer parti du fort attrait des produits helvétiques, même si le ralentissement de l’activité économique mondiale laissera des traces. Les ventes à l’étranger devraient toutefois bénéficier d’un ralentissement économique moins marqué qu’anticipé dans la zone euro (les carnets de commandes commencent à se regarnir), de la résilience de l’économie américaine, du rebond graduel de la croissance chinoise une fois passé le choc de l’abandon de la politique zéro COVID et de l’essoufflement du franc.

Le franc devrait perdre graduellement de son aura quand bien même les fondamentaux de notre économie restent solides.

La fermeté de notre devise sur une majeure partie de 2022 traduisait son rôle de valeur refuge alors que les marchés boursiers plongeaient et que l’inflation s’envolait en Occident. Elle a cependant permis de calmer la hausse des prix dans notre pays. Le franc devrait perdre graduellement de son aura quand bien même les fondamentaux de notre économie restent solides. Il souffrira de la maigreur relative des hausses de taux orchestrées de la Banque nationale suisse (BNS) ces derniers mois (hausses moins fortes que celles de la BCE). Il sera aussi fragilisé par l’attrait grandissant des rendements obtenus sur les emprunts en euro, des surplus de rendements plus connus depuis près d’une décennie et qui ne manqueront pas d’attirer des investisseuses et des investisseurs en quête de rémunération.

Au vu de ces indicateurs, la Suisse devrait donc fortement ralentir, mais éviter la récession cette année. Un trimestre de contraction de l’activité pourra cependant difficilement être évité.

Inéluctables investissements

En 2022, malgré des coûts de financement encore bas, malgré une économie proche de la surchauffe (taux d’utilisation des capacités de production encore supérieur à la moyenne de long terme, taux de chômage au plus bas, difficultés de trouver des employés qualifiés ou des véhicules neufs dans des délais raisonnables…), les investissements peinaient toujours à décoller en Suisse.

Investir… Difficile d’en parler alors que le moral des ménages et des entrepreneurs est chancelant. C’est pourtant l’alternative inéluctable pour se départir de notre dépendance à certains approvisionnements, pour améliorer l’efficience énergétique de nos bâtiments, pour atténuer le risque d’une nouvelle crise énergétique dans douze mois, pour développer nos capacités de production, pour requinquer nos infrastructures, pour renforcer les compétences des employés, pour préparer les Suisses et les Suissesses aux métiers de demain, etc.

Les opportunités sont là, les coûts de financement restent relativement bas pour espérer passer de l’envie aux investissements. Des investissements qui contribueront à la persistance de la résilience de notre croissance.

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