Dure année pour la Chine

Christopher Smart, Barings

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Restructurer son modèle de croissance est d’autant plus difficile lorsqu’on est au centre de l’attention.

© Keystone

Tous les regards sont de nouveau tournés vers la Chine. Une attention qui ne devrait pas se relâcher entre la cérémonie d’ouverture des XXIVe Jeux olympiques d’hiver, la semaine prochaine, et la séance de clôture du Congrès national du Parti communiste chinois, qui aura lieu cet automne. Les géostratèges s’interrogeront sur les conséquences d’une politique étrangère chinoise plus ambitieuse, les politologues tenteront de mesurer l’évolution des pressions sociales dans le pays et les économistes se focaliseront exclusivement sur ses perspectives de croissance durable.

Après quatre décennies d’expansion économique fulgurante, qui a atteint une moyenne annuelle de 10% et a sorti quelques 800 millions de personnes de la pauvreté, Beijing doit désormais trouver le nouveau rythme de croisière nécessaire pour un vol sans heurts. La tâche n’est pas aussi facile qu’elle n’y paraît et une telle transition aura des conséquences sur la population chinoise, ainsi que sur ses voisins et sur les marchés financiers mondiaux.

Des ambitions à la hauteur des défis

La complexité du défi et les risques liés à la transition vers une croissance plus équilibrée ont été rendus d’autant plus apparents depuis l’apparition de la pandémie. Les autorités ont d’abord réagi avec zèle à cette dernière, par le biais de dépenses abondantes et d’un crédit bon marché. L’économie chinoise a ainsi pu être la seule grande économie mondiale à rester en expansion en 2020 avec une croissance de 2,3%. Grâce à la forte dynamique de l’année dernière, la croissance pour 2021 est montée à un étonnant 8,1% et a entraîné l’adoption d’une série de mesures strictes pour limiter les excès dans le secteur immobilier. Mais lorsque certains promoteurs ont commencé, l’automne dernier, à faire défaut sur le paiement de leurs intérêts et à menacer la viabilité d’un secteur représentant le quart de l’économie chinoise, les autorités sont revenues à une politique de financement social accru et de taux bas.

Si la croissance annuelle chinoise de 2021 pouvait paraître bonne, elle cachait en réalité une décélération bien plus inquiétante.

En fait, les ambitions des autorités chinoises vont au-delà de la simple gestion du rythme de leur économie. Ces dernières ont en effet pris conscience d’un certain nombre de défis plus profonds qui ont accompagné leur succès. Si la Banque Mondiale considère la Chine comme un «pays à revenu moyen supérieur», elle prévient aussi que le pays ne peut plus dépendre d’une industrie manufacturière à forte intensité de ressources, d’exportations à faible valeur ajoutée et d’une main-d’œuvre bon marché. Avec le ralentissement de la productivité, la baisse des retours sur investissement et la diminution de la croissance de la main-d’œuvre, les résultats économiques suivront nécessairement une trajectoire baissière.

Le vieillissement des travailleurs chinois constitue peut-être, à cet égard, la principale turbulence à laquelle les autorités doivent faire face. Cette dernière se révèle même plus intense que prévu, les derniers recensements révélant que la croissance démographique est tombée l’année dernière à son plus bas niveau depuis 1960. Une politique «des trois enfants» et un relèvement de l’âge de la retraite pourraient contribuer à atténuer cette tendance, mais inverser les courbes démographiques est une tâche extrêmement ardue.

Actions et réactions

Le gouvernement chinois s’est engagé à mener des réformes ambitieuses, notamment pour réduire les inégalités, pour limiter les émissions de gaz à effet de serre et pour réorienter les moteurs de sa croissance vers une demande intérieure accrue. Mais cela nécessite une refonte et un rééquilibrage importants en plein vol, ce alors que la machine est en pleine perte de vitesse. La situation est rendue d’autant plus inconfortable par les nombreuses turbulences à l’échelle mondiale.     

Si la croissance annuelle chinoise de 2021 pouvait paraître bonne, elle cachait en réalité une décélération bien plus inquiétante: d’un impressionnant 18,3% au premier trimestre à seulement 4% au quatrième trimestre. S’engager dans une restructuration trop importante alors que la croissance faiblit, que les marchés financiers paraissent volatils et qu’un nouveau variant du Covid-19 risque de bousculer la politique «Zéro-Covid» de Beijing n’est pas nécessairement une bonne idée. Les observateurs s’attendent à ce que les autorités chinoises se fixent un objectif de croissance de 5% pour 2022, mais certaines prévisions vont même plus bas.

La manière dont les défauts dans le secteur immobilier ont contaminé d’autres pans de l’économie chinoise constitue, en soi, une indication de l’urgence d’en poursuivre le rééquilibrage.

En parlant de son engagement en faveur d’une politique de «prospérité commune» à l’occasion du Forum Economique mondial, qui a eu lieu la semaine dernière, le président Xi Jinping a déclaré vouloir «d’abord agrandir le gâteau, puis le diviser correctement». Pendant ce temps, les mesures strictes mises en œuvre pour réduire les émissions de carbone ont contribué à générer une grave pénurie énergétique l’automne dernier, poussant la Conférence centrale sur le travail économique à alléger certains objectifs climatiques. Le resserrement règlementaire sur le secteur de la tech visant à atteindre un certain nombre d’objectifs politiques, lui, se fait discret. Peu étonnant, au vu du froid qu’il a jeté sur les marchés financiers.

Triple impact

L’introduction de mesures visant à stabiliser la croissance peut sembler une bonne nouvelle pour la population chinoise, mais renvoyer des réformes au lendemain ne signifie pas que ces dernières ne sont pas essentielles. La manière dont les défauts dans le secteur immobilier ont contaminé d’autres pans de l’économie chinoise constitue, en soi, une indication de l’urgence d’en poursuivre le rééquilibrage.   

Les partenaires commerciaux régionaux de la Chine pourraient également, pour le moment du moins, se réjouir de cet accent mis sur la croissance. L’Australie, la Malaisie, la Corée et la Thaïlande font partie de ceux dont les exportations vers la Chine représentent plus de 5% de leurs propres économies. Mais ce sont des pays qui devront inévitablement ajuster leurs exportations au fur et à mesure de la restructuration de leur voisin. Un rééquilibrage stimulant la consommation intérieure pourrait même être une bonne nouvelle, mais il faudra savoir faire preuve d’agilité.

Les conséquences de la trajectoire économique actuelle de la Chine pour l’économie mondiale sont, en revanche, plus difficiles à cerner. Une bonne croissance serait certainement bienvenue cette année, mais les déséquilibres, les fragilités et les vents contraires ne disparaîtront pas d’eux-mêmes. Les dirigeants chinois seront sous le feu des projecteurs pendant ces prochains mois et ne sont certainement pas prêt de relâcher leurs efforts. Mais une fois que tous les athlètes et grandes figures du parti seront rentrés chez eux, les économistes seront d’autant plus attentifs à une véritable reprise des réformes.

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