Dette émergente: dangers, incertitudes et opportunités

Omotunde Lawal, Barings

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Les nombreux vents contraires ne devraient pas empêcher l’émergence d’opportunités de création de valeur.

Le quatrième trimestre 2021 a vu une augmentation significative des risques pour les investisseurs en dette émergente. En Chine, deux promoteurs immobiliers majeurs ont fait défaut. L’amassement de troupes russes le long de la frontière ukrainienne a renforcé les tensions géopolitiques. La hausse des taux s’est accélérée en Europe centrale et orientale et a été absolument spectaculaire au Brésil. La Fed, elle, a annoncé réduire son programme d’achat d’actifs et pourrait relever ses taux. Des conditions qui ont entraîné des rendements négatifs sur la dette souveraine (-0,44%), d’entreprise (-0,61%) et locale (-2,53%) et ont provoqué un élargissement généralisé des spreads.

Les risques abondent sur tous les fronts

La Chine constitue la principale préoccupation pour les investisseurs sur l’ensemble des marchés émergents. Certains signes indiquent en effet que sa croissance économique pourrait se détériorer et, plus grave encore, il devient toujours plus difficile d’anticiper la trajectoire du pays. Ce dernier a renforcé la règlementation de secteurs comme la technologie, l’éducation privée et l’immobilier, ce qui commence à affecter d’autres industries. La production lourde, par exemple, a déjà connu un ralentissement. Ces évolutions sont d’autant plus inquiétantes que la Chine a un impact considérable sur la demande des marchés émergents et développés.

L’engagement de la Fed à combattre agressivement l’inflation a suscité des interrogations en matière de hausses de taux et de retrait des liquidités. Une politique plus ferme représenterait un défi pour les devises émergentes et entrainerait probablement une dépréciation de la monnaie dans certains pays. Ceux d’entre eux avec des taux de change flexibles comme le Brésil, le Pérou et l’Indonésie pourraient, à cet égard, être mieux positionnés que d’autres. La baisse du point mort de l’inflation, ou la différence entre le rendement nominal d’un bon du Trésor américain et celui d’une obligation indexée sur l’inflation, pourrait cependant ouvrir la voie vers un resserrement monétaire moins agressif que celui désormais attendu.  

Avec la possibilité de l’arrivée de nouveaux variants vient également la possibilité de chocs supplémentaires dans les pays émergents.

Le nombre de troupes russes massées le long de la frontière ukrainienne en poussent beaucoup à craindre une invasion. Compte tenu du fait que la Russie n’a jusqu’ici pas agi dans ce sens, la probabilité qu’une invasion ait effectivement lieu dans les 12 prochains mois paraît faible, ce qui suggère une surévaluation de ce risque de la part des marchés. Plus récemment, c’est le mécontentement social de la population kazakhe qui s’est exprimé à travers des manifestations et la réponse militaire à ces dernières. En Turquie, l’approche peu orthodoxe de la banque centrale en matière de politique monétaire est difficile à comprendre: les taux d’intérêts ont, par exemple, été abaissés afin de stimuler la croissance malgré un taux d’inflation supérieur à 20%, ce qui a provoqué une forte volatilité de la lire turque. Le risque géopolitique en Amérique latine a, en revanche, diminué suite aux élections au Pérou, à la dégradation des notes souveraines de la dette colombienne, au vote référendaire au Chili et aux inquiétudes liées à un programme de bons Covid au Brésil. Mais certaines incertitudes demeurent, notamment en lien avec les prochaines élections au Brésil et en Colombie.

Le variant Omicron a, quant à lui, certainement exacerbé l’élargissement des spreads au cours du dernier trimestre 2021. Et avec la possibilité de l’arrivée de nouveaux variants vient également la possibilité de chocs supplémentaires dans les pays émergents. Un certain nombre de facteurs suggèrent cependant que l’impact économique d’Omicron sera plus modéré que celui des vagues précédentes et l’étendue de la vaccination, y compris de la dose de rappel, dans les pays émergents y rend moins probable l’instauration de confinements généralisés. La seule exception à cet état de fait reste la Chine, qui maintient sa politique «Zéro-Covid». Si Omicron devait continuer à freiner la demande en services en ce début d’année, l’atténuation des goulets d’étranglement de l’offre devrait contribuer à réduire encore les pressions inflationnistes.

Dettes et devises: savoir où trouver l’opportunité

Au vu des risques de ralentissement en Chine et de l’évolution de la politique de la Fed, l’environnement «top-down» devrait être moins accueillant pour les devises. Dans le domaine de la dette locale, cependant, des opportunités existent dans les taux locaux. Les pays avec des marchés intérieurs profonds et des taux d’intérêt plus bas, comme Israël, la Corée du Sud, la Thaïlande et la Malaisie, semblent particulièrement intéressants à cet égard.

Les sociétés émettrices devraient conserver leur capacité à répercuter les augmentations de leurs coûts, ou à mettre en œuvre des mesures de réduction, ce qui contribuera à absorber l’inflation des intrants.

Les valorisations des devises souveraines fortes semblent être beaucoup plus justes avec des spreads qui suffisent largement à compenser les risques dans de nombreux pays. C’est particulièrement vrai pour les pays notés BB. Le Brésil, le Chili et le Pérou, par exemple, bien que liés à la Chine, semblent suffisamment solides et flexibles du point de vue du risque de défaut pour résister à un ralentissement économique majeur. Certaines opportunités émergent également dans les pays notés B. Cela dit, étant donné la diversité et la dispersion des performances dans ces espaces, la sélection des pays est absolument fondamentale. Ceux où les conditions de financement sont en cours de détérioration sont à éviter.

Quant aux entreprises émergentes, leurs fondamentaux restent solides et les revenus de nombreux émetteurs ont retrouvé leurs niveaux pré-pandémiques. La situation devrait continuer de s’améliorer en parallèle de la reprise économique mondiale.  Les perspectives pour les prix des matières premières sont également positives, les niveaux de prix de la plupart des métaux étant toujours historiquement élevés. Les sociétés émettrices devraient aussi conserver leur capacité à répercuter les augmentations de leurs coûts, ou à mettre en œuvre des mesures de réduction de ces mêmes coûts, ce qui contribuera à absorber l’inflation des intrants.

Dans le même temps, le taux de défaut pour la dette d’entreprise émergente High Yield reste bas, à l’exception de la Chine, aux alentours des 1,2%. Avec des niveaux de financement brut record de 530 milliards de dollars en 2021, de nombreux émetteurs ont également refinancé une partie importante de leur dette en dollars à des coûts inférieurs, en prévision de la hausse potentielle des taux américains. Du point de vue de la valorisation, la dette des entreprises émergentes reste attrayante, les spreads demeurant importants par rapport aux marchés développés mais aussi par rapport à leurs niveaux historiques. Dans cet environnement, les opportunités se trouvent dans les entreprises émergentes diversifiées et à échelle mondiale où les spreads sont plus importants que les fondamentaux ne le suggèrent. En outre, compte tenu des prévisions de hausse des taux aux Etats-Unis, le segment High Yield est particulièrement attrayant en raison de sa duration plus courte par rapport à l’Investment Grade et de sa faible corrélation avec les mouvements de taux.

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