De quel or parle-t-on?

Patrick Dugué, BCV

3 minutes de lecture

Une décision judiciaire récente garantit le secret commercial des raffineries suisses d’or. Point de la situation sur l’offre en or labellisé et traçable.

Début mars, l’once d’or a dépassé 2'000 dollars pour la deuxième fois de l’histoire après août 2020. Une hausse des cours qui traduit notamment un certain besoin de sécurité des investisseuses et des investisseurs, mais aussi la hausse globale des cours des matières premières, mouvement accentué par la guerre en Ukraine. Alors que la plupart des investisseurs utilise de l’or scriptural, soit sous forme de produits dérivés, l’or physique est notamment indispensable à l’industrie. Ce même or physique semble aussi connaître un regain d’intérêt auprès des investisseurs, en particulier en Suisse. L’or n’échappe par ailleurs pas aux questions liées à la durabilité. Alors, de quel or parle-t-on?

Il est loin le temps de la conquête de l’Ouest américain, de la ruée vers l’or et des orpailleurs agitant leur batée en quête de pépites dans une rivière californienne. Aujourd’hui, le métal jaune se trouve majoritairement sous la forme de petites particules noyées dans des tonnes de roches extraites de mines artisanales ou industrielles. Les méthodes d’extraction varient. Le minerai peut être détaché de la roche par un processus chimique comprenant l’utilisation du cyanure. Les minéraux précieux extraits – or et argent notamment – sont ensuite isolés et fondus. Ce premier lingot est ensuite raffiné pour obtenir un or d’une pureté d’au moins 99%.

Malgré les modifications apportées par les ONG et les participants de l’industrie, les impacts environnementaux et sociaux de la filière de l’or persistent.

L’or provient pour l’heure principalement de Chine, de Russie et d’Australie. A eux trois, ces producteurs pèsent plus de 1’100 tonnes, soit un tiers de la production globale qui, en 2021, se montait à 3’560 tonnes. Quelque 20% de la production minière mondiale est issue de mines artisanales qui emploient entre 15 millions et 20 millions de travailleurs dans le monde*. Le reste provient d’exploitations minières à grande échelle employant proportionnellement moins de main d’œuvre, car souvent fortement industrialisées. Au bout de la chaîne de production, plus des deux tiers de l’or mondial extrait sont raffinés et transformés en Suisse où quatre des six plus grosses raffineries mondiales ont leur siège*.

Côté demande, la joaillerie et l’industrie sont d’importantes consommatrices d’or. L’an dernier, elles couvraient 70% du marché, alors que les investissements en utilisaient 30%. Cette proportion peut varier en fonction notamment des prix de l’once d’or sur le marché ou des risques de crise. En mars 2022, les flux d’or dans les ETF ont bondi par rapport à l’an dernier, mais restaient inférieurs au mouvement consécutif à l’éclatement de la crise sanitaire.

Malgré les modifications apportées par les ONG et les participants de l’industrie, les impacts environnementaux et sociaux de la filière de l’or persistent. Il est souvent question de déforestation, de pollution de l’eau et du sol due à l’utilisation du mercure et du cyanure, de déplacements de populations, du non-respect des droits humains, de travail des enfants, de financement de conflits, de blanchiment d’argent, etc.*/**.

La notion de transparence au sein de la filière fait aussi l’objet de controverses. Notamment en Suisse. Ainsi, fin mars, une décision du Tribunal administratif fédéral a tranché en faveur des raffineries d’or ayant leur siège dans le pays. L’instance judiciaire donne raison aux raffineries qui s’opposaient à la divulgation des données concernant la provenance de l’or traité en Suisse, comme l’avait demandé la Société pour les peuples menacés à l’Administration fédérale des douanes. Une décision qui peut encore faire l’objet d’un recours au Tribunal fédéral.

Or standard

La plus importante association mondiale de l’or, la London Bullion Market Association (LBMA), a mis en place un standard Good Delivery, qui mesure la pureté, le poids et l’aspect d’un lingot. Elle a aussi décidé d’un standard de responsabilité qui couvre les aspects de transparence et de provenance de l’or par des audits officiels et indépendants de ses membres. Ce standard est néanmoins critiqué par nombre d’ONG, dont Swissaid**, en raison d’un manque de transparence des audits, de contrôles peu fréquents et de l’absence de mesures punitives. Le rapport du Conseil fédéral reconnaît que «les activités des entreprises au sein de la chaîne de valeur de l’or sont susceptibles d’avoir des impacts sur un large éventail de droits de l’homme», comme les «mauvais traitements des employés, atteintes à l’environnement et à l’Etat de droit»*.

Des démarches comme la Better Gold Initiative promeuvent, entre autres objectifs, l’achat d’or produit de manière responsable.
Naissance de labels

Afin de pallier ces manques, un certain nombre de labels ont vu le jour depuis une dizaine d’années à l’image de Fairminded, Fairtrade et PX Impact®. Ces labels certifient que les mines membres sont soumises à des restrictions plus sévères que le standard global par le biais de mesures locales, sociales et environnementales. En parallèle, des démarches comme la Better Gold Initiative (BGI) née du partenariat public privé entre la Swiss Better Gold Association et le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) promeuvent, entre autres objectifs, l’achat d’or produit de manière responsable.

Or artisanal labellisé

L’acheteur d’or labellisé paie une prime sur le prix de l’or standard, dont le montant va être redistribué aux membres du label pour payer les employés équitablement et financer des projets qui ont pour but d’améliorer le travail et les processus d’extraction. Ces labels se concentrent sur des mines artisanales, touchant ainsi un grand nombre de travailleurs.

Or industriel traçable

Outre cet or artisanal labellisé, il existe aussi de l’or industriel traçable. L’objectif est de pouvoir identifier tous les intervenants de la chaîne de valeur, de la mine à la raffinerie, et donc de retracer la source de l’or et de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. Si ce type d’or se veut transparent sur son origine, sa traçabilité n’assure pas pour autant ses qualités d’extraction d’un point de vue social ou environnemental.

La vision d’ensemble de l’investisseur peut encore être agrémentée d’une analyse extrafinancière de la société minière afin de déterminer son profil environnemental, social et de gouvernance (ESG) dans sa globalité. Une approche du type Best in class est alors possible: elle permet d’acheter uniquement l’or des producteurs avec les meilleures notations ESG.

Production limitée

Les primes associées à ces ors labellisés ou traçables peuvent être importantes. Elles varient de 200 dollars à 6’000 dollars par kilo d’or. Ce qui signifie à l’aune des cours actuels, une majoration de 0,3% à 10% du prix d’achat. Par ailleurs, les volumes de production sont faibles pour les ors labellisés. Ces démarches se concentrent en effet sur une partie des mines artisanales dont le volume est déjà restreint. La production de la plupart de ces labels est inférieure à 1‰, ne pouvant satisfaire qu’une toute petite partie de la demande.

L’or est un métal inaltérable, malléable, mais persistant. Il peut être fondu et refondu maintes et maintes fois, ce qui rend l’or recyclé pour l’instant difficilement traçable et encore moins labellisable. Alors, physique, labellisé, traçable ou dérivé, et vous, quel or êtes-vous?

Evolution historique des prix de l’or (USD/once)

Source: Refinitiv Datastream

 

 

* Rapport du Conseil fédéral, «Commerce de l’or produit en violation des droits humains», Berne, 14 novembre 2019.
** Swissaid, «Concerns that LBMA’s Responsible Sourcing Programme fails to curtail human rights abuse and illicit gold in the supply-chain», 9 mars 2021.

A lire aussi...