De la complaisance des investisseurs

Peter de Coensel, DPAM

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La déception est le pendant de l’excès de confiance. Mais d’où pourrait-elle bien venir?

©Keystone
Points clés à retenir

La complaisance des marchés comporte un risque, celui d’une baisse qui sera fonction des valorisations, des positionnements des acteurs, des flux, du momentum, de la volatilité et de la liquidité. La valorisation du marché de taux américain s'est nettement améliorée et intègre la perspective d’une inflation d’environ 2,5%, ce qui paraît réaliste. Au vu des attentes en matière de volatilité des taux, l’avenir paraît moins incertain. Sur les marchés de taux au sein de l’Union européenne (UE), les valorisations pourraient encore subir un ajustement, mais la plus grande partie des corrections semble déjà avoir été effectuée. 

En ce qui concerne le risque de crédit pour les entreprises, les risques concernant les valorisations, les positionnements des acteurs, le momentum et la liquidité sont supérieurs à la moyenne. Dès à présent, que les taux s’orientent à la hausse ou à la baisse, la modération est de rigueur.

Au vu du niveau actuel des taux américains,
les investisseurs sont en droit de rester confiants.

A chaque phase de complaisance des marchés succède une phase de baisse, dont les facteurs déterminants ne peuvent être identifiés qu’a posteriori. Ils sont d’autant plus difficiles à isoler que nous venons d’entrer dans la phase initiale de la reprise post-pandémie. Parmi les différents éléments déclencheurs d’une baisse, nous examinerons en particulier, les craintes concernant l’inflation, le recul des attentes en matière de croissance ou la publication de données inférieures aux prévisions qui sont susceptibles de peser sur l’optimisme des investisseurs ainsi que la cessation progressive des politiques accommodantes des banques centrales. 

Pour ce qui concerne les taux sur les emprunts à 10 ans, l’UE a finalement «succombé» à la pression à la hausse des taux américains. En février et mars dernier, l’ajustement à la hausse du rendement du 10 ans américain s’est accéléré, induisant une pentification de la courbe des taux. Mais depuis lors ce marché de taux s’est consolidé. Les rendements évoluent dans une fourchette de 1,50-1,75% malgré la présence de tensions inflationnistes, l’indice des prix à la consommation (IPC) approchant les 3%. Pour ce qui est de l’UE, le 10 ans qui avait bien résisté au premier trimestre 2021, est finalement parti à la hausse durant le deuxième trimestre. Ainsi, à mi-mai, le 10 ans allemand est allé toucher les -0,10%, avant de revenir à -0,20% en fin de mois. Dans la zone euro, l’inflation devrait s’accélérer pour atteindre 2,3% à 2,5% en glissement annuel, une évolution qui s’explique par les effets de base ainsi que par les hausses de prix imputables à l’existence de goulets d’étranglements au niveau de l’offre.

Le débat pour déterminer si l'inflation actuelle est de nature structurelle ou cyclique continuera de faire rage en 2021 et 2022. Cependant, le marché table actuellement sur une inflation moyenne à long terme de 2,40% aux Etats-Unis et de 1,60% dans l’Union européenne.

Au vu du niveau actuel des taux américains, les investisseurs sont en droit de rester confiants, car la probabilité d'une hausse des taux américains similaire à celle du premier trimestre 2021 et qui avait amené ces derniers aux alentours de 2,25%-2,50%, est faible. En effet, comparés aux rendements à long terme des actifs à risque, ceux des bons du Trésor peuvent être qualifiés de décents. La Fed a d’ailleurs accueilli favorablement la normalisation des taux intervenue durant ces six derniers mois.

Les prêts aux entreprises figurant aux bilans des banques pourraient perdre en qualité
ce qui se répercuterait négativement sur le coût de leur risque pour les banques.

Cependant, la persistance des politiques monétaires accommodantes a amené les investisseurs à prendre davantage de risques, que ce soit en direction des obligations d'entreprises de qualité (IG), des obligations à haut rendement (HY), des obligations convertibles ou des actions. De ce fait, l’excès de confiance touche dorénavant les produits de spreads. Contrairement à 2020 et au début de cette année, les bons du Trésor américain, les emprunts d’Etats émergents de qualité et certains emprunts d’Etat de l’Union monétaire européenne sont, du fait du niveau actuel de leur rémunération, en mesure de compenser partiellement une correction sur le front des actifs à risque. 

En revanche, si le 10 ans américain venait à augmenter brusquement de 60 à 90 points de base (pb) ou que son homologue européen connaissait un rebond de 40 à 45 pb, alors les produits de spreads pourraient se trouver dans une situation difficile. Une hausse de cette envergure serait susceptible de provoquer un ajustement très marqué sur le marché actions américain et, par conséquent, sur les spreads qui auraient alors tendance à s’écarter. La situation financière des entreprises, qu’elles soient actives ou non dans le secteur de la finance, serait également affectée. En effet, les prêts aux entreprises figurant aux bilans des banques perdraient en qualité ce qui se répercuterait négativement sur le coût de leur risque pour les banques. Par conséquent, les banques durciraient leurs critères d’octroi de prêts au plus mauvais moment possible. 

Le soutien apporté par les banques centrales au travers de leurs programmes
d’assouplissement quantitatif pourrait s’amenuiser dès 2022.

Du point de vue rendement ajusté au risque, les emprunts d’Etat pourraient représenter un moindre mal. Dans un contexte de taux qui se consolident aux niveaux actuels ou, mieux encore, qui baissent, la rémunération offerte par le portage et le «roll-down» ou plus généralement le rendement global de ces titres pourraient devenir intéressants. 

L’argument le plus sensé du consensus est celui qui consiste à dire que les taux directeurs resteront proches de leurs plus bas, négatifs ou nuls, pendant encore au moins deux ans. Par conséquent, dès le moment où le pic de l’optimisme sera dépassé et que les surprises concernant la croissance seront moins bonnes, les spreads de crédit pourraient faire l’objet de prises de bénéfices accrues. 

La complaisance actuelle du marché pourrait évoluer vers une approche plus active au niveau des stratégies de couverture ainsi que vers une rotation des positions en faveur des emprunts d’Etat des pays développés et émergents, et ce pour deux raisons. D’une part, compte tenu de la prudence des teneurs de marché, la liquidité serait médiocre, d’autre part, le soutien apporté par les banques centrales au travers de leurs programmes d’assouplissement quantitatif pourrait s’amenuiser dès 2022.

A mesure que l’hypothèse de banques centrales comme prêteurs de dernier ressort pour les entreprises gagnait en crédibilité, le positionnement sur le crédit n’a cessé de s’amplifier. Mais aux Etats-Unis, la Fed a mis un terme à ses différents programmes d’aide aux entreprises et aux banques entre le quatrième trimestre 2020 et le premier trimestre 2021. En Europe, le risque s’accroît également pour le segment du crédit IG et, par extension, pour le haut rendement. Ainsi, les investisseurs pourraient être en train de sortir (ou sont déjà sortis) du segment défensif des marchés de taux au moment le plus défavorable. 

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