Inflation et prix relatifs: de faux jumeaux

Peter de Coensel, DPAM

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La hausse du prix d’une voiture d’occasion ne fait pas le printemps de l’inflation et les marchés le savent.

Points clés à retenir

Sur les douze derniers mois, l’inflation a progressé de 2,7%. Or, selon nos modèles, le seuil à partir duquel la situation peut devenir inquiétante se situe à 4%. Nous en sommes donc encore très loin. Cependant, si nous approchions de cette limite, les autorités monétaires activeraient le frein en durcissant leur politique. Pour les fonds de placement équilibrés, un tel scénario serait catastrophique, puisque la corrélation entre actions et titres à taux fixes deviendrait positive.

Je reste dans le camp de ceux qui estiment que la hausse des prix résulte d’une pression généralisée et forte des prix relatifs et non pas d’un problème d’inflation. Les principales différences entre ces deux facteurs, prix relatifs et inflation, sont explicités dans l’article qui suit. Le débat peut se poursuivre, mais espérons que la sagesse des foules prévaudra.

Le redémarrage déstabilise les indicateurs

La publication de l’indice américain des prix à la consommation le 11 mai dernier, indice qui a progressé de 4,2% sur 12 mois, a encore attisé le débat sur l’inflation. Pour revenir au calme et à l’objectivité, il convient d’examiner la différence importante qui existe entre évolution des prix relatifs et inflation véritable.

La remise en route des économies est à l’origine d’une hausse de la volatilité
des indicateurs économiques, y compris de ceux afférents à l’inflation.

Comme en 2008, la rumeur selon laquelle la banque centrale américaine se serait laissé dépasser gagne du terrain. Et en effet, l’un des objectifs premiers de la Fed est le maintien de la stabilité des prix. En mars 2020, la Fed a laissé les taux plonger jusqu’à zéro et elle s’est lancée dans une entreprise d’achats massifs d’actifs de manière à parer au choc déflationniste. 

Si ce dernier s’était produit, cela aurait conduit à une baisse des prix des biens et des services ainsi qu’à un recul des revenus et des salaires. Par conséquent, la réaction initiale de la Fed était bien nécessaire et mesurée dans son ampleur, car les économies ont littéralement cessé de fonctionner. Quelque 15 mois plus tard, tout le monde espère que les campagnes de vaccination massives permettront de venir à bout de la pandémie. Cependant, la remise en route des économies est à l’origine d’une hausse de la volatilité des indicateurs économiques, y compris de ceux afférents à l’inflation.

Trop de monnaie, c’est l’inflation

Les banques centrales se trouvent totalement démunies face à la lutte contre les variations des prix relatifs. Par contre, elles peuvent contrôler l’inflation, une inflation définie comme une perte de pouvoir d’achat qui résulte du fait qu’une banque centrale créée plus de monnaie que le public n’en désire. Cette inflation se manifeste par une hausse concomitante de l’ensemble des prix et des salaires et elle commence à croître dès le moment où une banque centrale augmente la masse monétaire durablement et excessivement de sorte que cette dernière croît plus rapidement que le PNB nominal. C’est l’adverbe «durablement» qui est au cœur cette définition, car l’assouplissement quantitatif ne peut et ne doit pas être utilisé dans toutes les situations.  Comme on le constate aujourd’hui, la croissance de la masse monétaire vient de passer un cap. 

Vouloir considérer isolément les hausses de prix des voyages,
du pétrole, des salaires ou du logement est une erreur.

La semaine dernière, les automobiles d’occasion et de seconde main qui représentent 0,35% de l’indice ont vu leurs prix grimper de 10,1% et ont ainsi été le principal contributeur à la hausse mensuelle de 0,8% de l’inflation. D’autres postes tels que l’hôtellerie (+7,6%) et les tarifs aériens (+10,2%) ont également concouru à la flambée de prix. Cependant, et il est important de le souligner, vouloir considérer isolément les hausses de prix des voyages, du pétrole, des salaires ou du logement est une erreur.

En dépit de cela, les agents économiques sont inquiets. Il convient de centrer notre attention sur la vitesse à laquelle l’impulsion donnée par la reflation monétaire se répercute sur les salaires et les prix. La proportion de capacités inutilisées et les attentes des individus sont deux éléments de transmission importants. Vendredi dernier, nous apprenions que le taux d’utilisation des capacités de production aux Etats-Unis était tombé à 74,9%. Il y a deux semaines, alors que le taux d’activité était stable, le taux de chômage grimpait et les données mensuelles concernant le nombre de personnes en activité s’avéraient décevantes. 

Les dernières enquêtes de l’Université du Michigan concernant les attentes inflationnistes font état d’une certaine inquiétude du public qui table sur une hausse de 4,6% de l’inflation à l’horizon un an et de 3,1% sur la période 5 à 10 ans. Ces attentes découlent probablement d’une confusion entre hausses des prix relatifs et inflation. Or, l’évolution des prix relatifs ne dépend pas des politiques monétaires. Elle résulte d’un ajustement des prix qui découle de l’inadéquation entre offre et demande. Elle témoigne donc de la rareté de certains biens ou services. Cette information est essentielle puisque, dans un système d’économie de marché, elle permet d’arriver à une allocation optimale des ressources.  

En revanche, l’inflation en tant que telle ne donne aucune information utile pour ce qui concerne la consommation, la production ou encore la situation sur le marché du travail. En outre, si l’on en arrive à fonder ses décisions sur une mécompréhension de la différence entre inflation et prix relatifs, ces dernières ont toutes les chances d’aboutir à des surprises négatives. 

De la culpabilité du dollar

La dépréciation du dollar est également en partie responsable de la hausse des prix relatifs de nombreux biens et services. Dès que le billet vert perd de sa valeur, le prix en dollar des biens importés aux Etats-Unis tend à augmenter. Par ailleurs, tous les biens dont le prix est exprimé en dollars voient diminuer leur valeur en monnaie étrangère, qu’ils soient ou non produits aux Etats-Unis. Une dépréciation du dollar réduit le pouvoir d’achat en devises autres que le dollar des exportateurs de matières premières. Dès lors qu’ils disposent d’un certain pouvoir de fixation des prix (comme les membres de l’Opep par exemple), l’affaiblissement du dollar pourrait les amener à accroître leurs marges et par conséquent à aggraver la pression sur les prix en dollars des matières premières échangées sur le marché mondial. 

Les attentes d’inflation à 5 et 2 ans stagnent
et s’établissent à respectivement 1,35% et 1,02%.

C’est précisément ce qui arrive aujourd’hui, mais cela n’est pas une raison suffisante pour tabler sur une hausse structurelle de l’inflation. Faut-il le répéter? Un affaiblissement du dollar serait le signe d’une hausse de l’inflation aux Etats-Unis si la Fed en venait à créer de la monnaie de manière excessive en comparaison avec d’autres banques centrales. Cela n’est nullement le cas aujourd’hui. La BCE, la banque d’Angleterre, la banque du Japon, la BNS, ou encore la banque du Canada, toutes gardent la pédale de l’accélérateur au plancher et les ajustements des programmes d’assouplissement quantitatif des banques du Canada, du Japon et d’Angleterre ne sont guère significatifs. 

Vers une japonisation de la zone euro?

Nous sommes tout à fait conscients du fait que les marchés financiers américains se préparent une fois encore à entrer dans une phase d’inflation supérieure à la normale. Cependant, ils ne font pas l’erreur de confondre prix relatifs et inflation. Les attentes d’inflation à 10 ans mesurées à l’aune des obligations indexées sur l’inflation (TIPS) tablent sur une moyenne annuelle de hausse de 2,54% de l’indice des prix à la consommation. Pour les cinq ans à venir, le marché anticipe une progression annualisée de l’inflation de 2,71%. Et, dernier venu, le nouvel instrument de la Fed dit de «ciblage de l’inflation moyenne» a également été valorisé: quand nous regardons le taux d'inflation sur les deux dernières années, annualisé, pour lisser les effets de base dus au choc déflationniste de 2020, on arrive grosso modo à une inflation de 2,2%. Elle se trouve donc parfaitement dans la cible. Cette détermination du prix s’effectue aux dépens de taux réels fortement négatifs et de taux nominaux en phase de consolidation.

Cependant, de ce côté de l’Atlantique, les raisons de se réjouir sont moins nombreuses. En Allemagne, les attentes d’inflations se sont normalisées et se situent à 1,44% sur un horizon de 10 ans. Elles restent donc encore bien inférieures à 2%. Mais, constat beaucoup plus préoccupant, les attentes d’inflation à 5 et 2 ans stagnent et s’établissent à respectivement 1,35% et 1,02%. Le scénario d’une évolution à la Japonaise gagne du terrain dans l’Union européenne. Et comme si cela ne suffisait pas, l’appréciation de l’euro est de mauvais augure. Dès lors que les effets de base s’estomperont et que la BCE se trouvera dans l’incapacité de procéder à un véritable ajustement de sa trajectoire d’inflation pour se diriger vers les 2% prévus sur son horizon de prévision, alors les marchés risquent fort de malmener les détenteurs d’obligations européennes indexées sur l’inflation.

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