Climat et biodiversité: l’entre-soi n’est pas une solution durable

Anne Barrat

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Des fonds d’impact composés seulement de sociétés vertueuses? Une facilité qui n’incitera pas tous les secteurs économiques à se transformer. Avec Adrien Bommelaer, LFDE.

A mesure que la mesure de l’impact, de plus en plus précise, prend le pas sur une approche ESG parfois trop vague, l’élitisme des premières années de la transformation vers des écosystèmes pérennes, marquées par une exclusion de tout ce qui n’était pas «best in class», tend à céder le pas à une approche holistique. L’objectif de cette dernière: embarquer le plus grand nombre d’acteurs, issus de tous les secteurs, des sociétés pétrolières à celle du luxe en passant par les bancaires dans une transition juste (sans casse sociale) vers des modèles d’affaires, des chaînes d’approvisionnement, qui préservent l’environnement et la biodiversité. Eclairage avec Adrien Bommelaer, gérant d’Echiquier Climate & Biodiversity Impact Europe La Financière de l’Echiquier (LFDE).

«Notre objectif est de créer de l’impact, c’est-à-dire  d’accompagner concrètement des entreprises dans la réduction de leur empreinte carbone et la remise en question d’activités destructrices de la biodiversité. Cela paraît simple mais suppose un processus de migration vers des modèles d’affaires parfois complètement différents de leur cœur de métier. Nous considérons qu’il est crucial d’embarquer tous les secteurs de l’économie dans cette transformation.» Le message d Adrien Bommelaer ne laisse planer aucun doute: tous les secteurs d’activités, des moins aux plus polluants, doivent participer à la transition climatique. Ce mouvement collectif doit également inclure la protection de la biodiversité, ce qui pourrait devenir conflictuel dans un avenir incertain, le cas le plus parlant recensé à ce jour ayant trait aux parcs d’éoliennes offshore qui seraient néfastes à la richesse des espèces marines.

Distinguer le bon grain de l’ivraie ne suffit pas

Aux méthodes les plus couramment pour accompagner cette transition, qui ne retiennent dans l’univers d’investissement que les entreprises compatibles avec les objectifs de développement durable, la Financière de l’Echiquier préfère une approche qui combine diversité, maturité et marge de progression.  « Il serait facile, explique Adrien Bommelaer, de construire un fonds ISR article 9, comme l’est l’Échiquier Climate & Biodiversity Impact Europe lancé aujourd’hui en Suisse, en surpondérant certains secteurs, les Techs par exemple, à coup de Microsoft, de Google, d’Alphabet, et en excluant les pétrolières. Il représenterait alors un univers économique essentiellement virtuel, déconnecté de la dynamique économique.»

Il est crucial d’embarquer tous les secteurs de l’économie dans cette transformation.

Trois niveaux de maturité président à la sélection des valeurs éligibles, selon que les entreprises proposent des solutions, c’est-à-dire des produits et services contribuant à réduire les émissions de CO2 de leurs clients, ou bien sont des pionnières aux engagements ambitieux et dont l’impact sur leur écosystème est systémique, ou encore amorcent leur transition énergétique. Le niveau de maturité est déterminé par un score qui dépend de trois facteurs: la gouvernance et l’engagement en faveur de la transition climatique, la qualité de la feuille de route de transition climatique, enfin l’impact sur l’emploi de la transition. «La transition doit être juste, insiste Adrien Bommelaer: il ne s’agit pas de sacrifier toutes les ressources humaines impliquées dans une activité controversée, mais de garantir sa reconversion vers les activités durables. Autrement dit, une entreprise utilisant des puits de charbon pour produire de l’électricité et qui voudrait s’orienter vers les énergies renouvelables doit former son personnel existant dans la mesure du possible. Reproduire ce qui s’est passé en Angleterre dans les années 1980 n’est pas une option.»

Tous les secteurs, tous les niveaux de maturité

La première poche, celle des sociétés les plus matures, dont plus de 20% du chiffre d’affaires est directement lié à un des 4 ODD (7 et 11 sur le climat, 14 et 15 sur la biodiversité), contient des sociétés comme le suédois SCA, un des leaders européens dans la production du papier et du bois, à la tête d’un immense domaine forestier, ou encore Schneider Electric, dont 63% du chiffre d’affaires net contribue aux ODD 7 et 11.

L’accompagnement à travers un dialogue continu et une révision annuelle du score d’impact encourage les sociétés à respecter leur feuille de route.

Dans la 2e poche, celle des pionnières, on trouve aussi bien Kering, la holding du groupe français propriétaire de Gucci, Yves Saint Laurent, Boucheron, Alexander McQueen, etc., dans un secteur, le luxe, qui n'est ni évident ni intuitif lorsque l’on parle de transition climatique et de biodiversité, que le néerlandais DSM, qui a vendu son pôle chimique à l’allemand Covestro pour se reconvertir dans la production d’ingrédients alimentaires pour animaux et humains – notamment des additifs dédiés au cheptel bovin permettant de réduire les émissions de méthane. Le point commun de ces entreprise fort différentes? Une feuille de route claire, un engagement du management, une véritable expertise en durabilité au niveau du conseil d’administration. Le 3e groupe, celui des entreprises en transition, compte notamment la société pétrolière Nesté, engagée dans une reconversion vers des énergies renouvelables et le bio pétrole. Le danois Ørsted, autrefois sous le nom de DONG Energy, un producteur d’énergies fossiles, a connu un parcours similaire, devenant en quelques années le leader mondial des éoliennes offshore. Aujourd’hui dans la poche des Solutions, il aurait commencé dans celles des sociétés en transition. L’accompagnement à travers un dialogue continu et une révision annuelle du score d’impact encourage les sociétés à respecter leur feuille de route. Avec, à la clé, une accélération de la croissance, des résultats et une réévaluation du cours de bourse. «Si nous avons bien fait notre travail, les entreprises de la catégorie «transition» passeront dans la catégorie «solutions» voire «pionnières»: autrement dit, le dialogue que nous entretenons avec chacun de nos supports d’investissements les aura conduits à renoncer progressivement à leurs activités non-durables et à se réinventer, conclut Adrien Bommelaer.»

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