Un retournement des marchés est inévitable

Anne Barrat

3 minutes de lecture

«L’inflation est bel et bien installée, qui ne peut que conduire à une correction sur les marchés» prévient David Ross, La Financière de l’Echiquier.

La Financière de l’Echiquier (LFDE) vient de fêter son 30e anniversaire. L’essor de cette société de gestion qui affiche aujourd’hui près de 14 milliards d’euros d’encours s’est donc fait dans un environnement peu voire pas inflationniste. Une époque révolue: l’inflation est de retour et pour longtemps, le nier serait perdre un temps précieux. Parole de David Ross, Global Equity Fund Manager chez LFDE. 

Qu’est-ce qui vous fait dire que l’inflation n’est pas temporaire?

Les raisons pour lesquelles l’inflation a repris de la vigueur après de longues années d’atonie liée aux politiques monétaires accommodantes des banques centrales, à l’argent gratuit, sont structurelles: la déglobalisation, la relocalisation. Ce n’est pas le moindre effet de la pandémie que d’avoir fait prendre conscience aux économies occidentales qu’elles dépendaient étroitement de la Chine et d’autres pays asiatiques. A présent  alors qu’elles ont décidé de revenir sur une histoire de trente ans, de reprendre le contrôle des chaînes d’approvisionnement et de rapatrier les sites de production, elles vont faire face à des coûts importants pour reconstruire leurs capacités logistiques et de stockage. Les prix des matières premières ne peuvent qu’augmenter dès lors que la Chine cesse d’être le principal acheteur, ce qui présentait l’avantage de maintenir les cours à un niveau bas. Autre avantage, la  multiplication des acheteurs donne aux producteurs un pouvoir bien plus important de fixation des prix.

«Le contexte post-COVID ressemble à celui des années 1980 au cours desquelles les banques centrales multipliaient leurs gesticulations pour mettre fin à l’inflation.»

Cette nouvelle donne, inflationniste dans son essence, n’en est qu’à son début. Elle a d’autant moins de probabilité de s’estomper que les tensions géopolitiques s’accentuent. Non seulement les Etats-Unis et la Chine poursuivent leur guerre commerciale sur fonds de course au leadership mondial, mais des luttes pour le contrôle des matières premières stratégiques s’intensifient.

Le contexte post-COVID ressemble à celui des années 1980 au cours desquelles les banques centrales multipliaient leurs initiatives pour mettre fin à l’inflation. En vain. C’est l’effondrement du bloc communiste et l’avènement de millions de nouveaux consommateurs qui, en provoquant un mouvement massif de délocalisation de la production vers l’Asie et l’Europe de l’Est pour profiter de «paradis» de travail bon marché, a mis fin à une inflation à deux chiffres.

Pourquoi anticiper un retournement des marchés?

Dans cet environnement inflationniste, le moindre «faux pas» des banques centrales et autre annonce maladroite ou non anticipée par les marchés pourrait déclencher un mouvement allant de la simple correction à la panique. Une correction de 10% ne serait de toute façon pas aberrante, voire saine selon moi: la valorisation de certains secteurs, les techs notamment, me paraît insensée. Est-il raisonnable d’acheter des actions 80 fois leurs résultats alors qu’elles ne sont pas profitables – autrement dit, pour lesquelles un investisseur devra attendre 80 ans pour retrouver sa mise?

Est-ce un bon moment pour investir ou faut-il attendre? Quelle stratégie adopter dans ce nouvel environnement?

Avoir passé plus de 30 ans sur les marchés m’a appris une règle d’or: l’espoir n’est pas une stratégie. Il n’y a jamais de bon moment pour investir, si l’on regarde en arrière, le pire moment est toujours aujourd’hui ! Décider ne peut attendre. Mais avec quelle stratégie? S’agissant des actions, une consolidation sur les marchés américains s’impose, l’Europe et le Japon complétant une allocation où les émergents occuperont une place modeste.

«La décennie qui s’annonce profitera aux entreprises qui combinent un pouvoir élevé de fixation des prix et un contrôle des chaînes d’approvisionnement et logistiques.»
A quel profil d’entreprises le contexte inflationniste bénéficiera-t-il?

Aux entreprises sensibles à l’augmentation inévitable des PIB – qui passeront de l’ordre de 2 ou 3% à 5 ou 6% par an –, celles dont la croissance nominale (hors inflation) profitera de l’environnement inflationniste, donc cycliques. Si l’on reprend les perspectives historiques, la décennie que l’on vient de vivre a profité aux entreprises qui ne juraient que par des économies d’échelle, par le «just in time manufacturing» – zéro stock –, donc aux techs, comme l’a fait celle des années 1990 – marquée par les introductions en bourse d’Apple et Microsoft. Celle qui s’annonce profitera, comme dans les années 1980, aux entreprises qui combinent un pouvoir élevé de fixation des prix (pricing power) et un contrôle des chaînes d’approvisionnement et logistiques. Celles dont la structure de coûts intègre déjà des infrastructures locales (hangards et capacités de stockage notamment). Procter & Gamble, Disney, Coca Cola avaient été les grandes gagnantes des années 1980, les technologiques les grandes perdantes. De la même façon, tout laisse penser que les secteurs de la consommation, de l’e-commerce, les banques et les financières prospèreront dans les prochaines années.

Votre top 3?

Disney occupe le haut de mon palmarès: la valeur affiche une performance post-COVID meilleure que pré-COVID. Ses structures sont déjà en place, son pricing power est, comme sa capacité à générer des cash flow, immense, son potentiel de croissance unique. Contrairement à Netflix dont le modèle ne repose pas sur la publicité, plus Disney engrange de téléspectateurs sur ses réseaux de diffusion, plus leurs recettes publicitaires augmentent.

Le n°2 est le japonais Nidec Corporation. L’organisation de ce constructeur de moteurs électriques qui a construit des usines partout où il commercialise ses produits, en Chine pour le marché chinois, aux Etats-Unis pour le marché américain, le place dans une position privilégiée dans le contexte de relocalisation. Il a déjà dupliqué des chaînes de production dans le monde entier. Il bénéficiera également de la transition écologique et de l’adoption généralisée des véhicules électriques.

Amazon serait le 3e. Lui aussi encore mieux positionné aujourd’hui qu’avant la crise sanitaire, il a réussi à augmenter pour la première fois en septembre dernier ses prix sans freiner la croissance de sa base d’abonnés. Sa croissance ne peut que continuer selon nos analyses sans être assombrie par des perspectives de durcissement réglementaire sur l’utilisation des données privées comme c’est le cas de Google et Facebook.

Comment voyez-vous les prochains mois?

Ceux qui estiment que l’inflation sera temporaire ont intérêt à le dire, les banques centrales en tête, la Fed en tout premier lieu. Le processus de renouvellement de Jerome Powell est à cet égard représentatif de la lenteur des prises de décision de l’administration Biden qui semble croire qu’attendre est une stratégie. L’attentisme est dangereux selon moi car il mine la confiance dans les banques centrales, dans les gouvernements, brouille la visibilité et crée un climat de stress. Un climat qui pourrait être favorable à la naissance d’un mouvement de panique, donc aux refuges que sont le Japon et la Suisse.

A lire aussi...