Cinquante nuances de durabilité et de «greenwashing»

Fiona Frick, Unigestion

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Les standards minimaux acceptables pour qu’un institut financier qualifie son investissement de durable sont en train de se durcir. Une bonne nouvelle.

L’industrie financière est en train de transformer massivement son mode fonctionnement. En effet, l’évolution de la finance vers la durabilité consiste à changer de manière fondamentale comment un investisseur choisit ses investissements en allant au-delà de critères financiers pour intégrer aussi des critères de durabilité environnementaux ou sociaux.

Or, les critiques de «greenwashing» n’ont jamais été aussi présentes et parfois à juste titre! L’agence de notation Morningstar a récemment réduit de 27% la liste des fonds qu'elle reconnaissait comme durables après un examen approfondi des différents rapports publics de ces fonds. Faut-il conclure que tous les efforts faits par notre industrie sont vains? Nous ne le pensons pas! En effet, il y a un authentique effort de notre industrie pour donner plus de sens à son activité en catalysant l’investissement des actifs financiers vers une économie plus durable. Néanmoins il s’agit d’un changement de paradigme majeur et les standards de durabilité sont loin d’être fixés. Difficile alors sur cette base de savoir ce qui constitue du «greenwashing» ou pas!

La définition du «greenwashing» semble simple sur papier. On parle de «greenwashing» quand un acteur financier amplifie la contribution réelle de son produit sur l’environnement.

En réalité, la nuance est plus complexe dans la mesure où il n’y a pas de définition standard de ce qui peut être considéré comme ESG.

La durabilité se définit aussi par l’impact extérieure d’une décision d'investissement sur l’économie réelle, notre société et notre planète.

Lorsque nous avons commencé à mettre en œuvre des considérations d'investissement durable chez Unigestion en 2004, l'ESG était une stratégie d'investissement de niche et son implémentation se concentrait principalement sur l'exclusion. On évitait d’investir dans des sociétés ayant une activité ou un modèle de production néfaste d’un point de vue environnemental ou sociétal. L'attention s'est portée ensuite sur l’intégration de critères ESG. Là il s’agissait de piloter le risque total d’un portefeuille. L’intégration de critères ESG permettait d’éviter des accidents opérationnels au sein d’une société en portefeuille qui se traduirait immédiatement par une forte baisse de son titre. Aujourd’hui l'ESG, et plus particulièrement la durabilité, se définit aussi par l’impact extérieure d’une décision d'investissement sur l’économie réelle, notre société et notre planète.

Ainsi, selon où se trouve l’investisseur dans son cheminement vers l'investissement durable, l'ESG aura pour lui une signification différente. Par exemple, l’action Tesla peut être considérée comme verte si vous examinez son impact externe sur la transition environnementale, mais plus grise si vous examinez la manière dont elle intègre les critères ESG au sein même de son entreprise. Ce multiple prisme s’étend également à la composition des indices ESG ou à la définition des notations de durabilité, chacun ayant un avis subjectif concernant ce que constitue l'investissement ESG. C’est pourquoi les corrélations des notations ESG sont si faibles entre elles car chaque institut définit sa propre méthodologie et ses critères de notations.

 La bonne nouvelle est que les standards minimaux acceptables pour qu’un institut financier qualifie son investissement comme durable sont en train de se durcir. Une taxonomie de plus en plus précise est en train d’émerger qui permet de définir un vocabulaire commun. Nos autorités financières sont en train de travailler à cela, que cela soit la Finma ou l’ESMA, l’autorité européenne des marchés financiers. De plus, une plus grande transparence nous est exigée afin que l’investisseur final puisse lui-même mesurer et décider quelle nuance de durabilité lui convient. Ainsi il est donc de plus en plus difficile pour des gestionnaires d'actifs de commercialiser des produits labélisés comme durables s'ils n'ont ajouté qu’un filtrage lié à des exclusions de titres étant donné que cela n’a aucun impact matériel réel sur l’économie réelle.

Néanmoins il faut accepter que même si les standards minimaux commencent à être définis, la norme ne l’est pas et demeure sujet interprétation en fonction de la sensibilité de chacun à certains questionnement ESG.

A titre d’exemple, l'invasion de l'Ukraine par le régime russe a créé une multitude de nouvelles questions entre ce qui est juste ou pas de faire en termes de politique ESG; les investisseurs devraient-ils assouplir les politiques environnementales sur les combustibles fossiles compte-tenu de l'urgence à court terme de réduire les liens énergétiques avec la Russie? Comment définir le déclencheur en termes de principes ESG pour désinvestir d’un pays? Cette guerre souligne à quel point les objectifs ESG sont toujours en mouvement.

La finance peut être un catalyseur de changement et il ne faut pas dissuader notre industrie de le faire.

De même qu’il y a peu de consensus sur ce que constitue l’ESG, il y a peu de consensus sur la définition du «greenwashing». Pour certains, ne pas exclure totalement certains secteurs contribuant au réchauffement climatique peut être considéré comme de l’éco-blanchiment. Récemment, par exemple, ActionAid Danemark, une ONG, a lancé un appel aux grands fonds de pension danois pour désinvestir tous leurs investissements dans des entreprises puisant des énergies fossiles. Nous ne partageons pas cette position. Nous excluons systématiquement les entreprises active dans le charbon. Par-contre nous investissons toujours dans un groupe restreint d'entreprises actives dans le pétrole et le gaz pour autant qu’elles aient des plans crédibles de transition vers des énergies propres et que nous pouvons soutenir cette transition par notre rôle d’actionnaires. Nous pensons que ces sociétés, de par la masse de capital qu’elles investissement pour produire de l’énergie, peuvent être faire partie de la solution de la transition climatique. Nous sommes conscients qu'il s'agit d'un parti pris qui peut être en contradiction avec les convictions ESG des autres, mais la clé pour nous est que nous sommes transparents, afin que les clients puissent décider par eux-mêmes si ce parti pris leur convient ou pas.

Ainsi, alors que des normes minimales sont en cours d'application, une solution «taille unique» est peu probable. Toutefois, le renforcement de l'alignement et de la transparence sur les rapports de gestion permettra de relever les standards et de répondre aux préoccupations de «greenwashing» en créant des conditions de concurrence équitables, conduisant à une plus grande confiance et à des décisions plus éclairées de la part de nos clients.

J'espère sincèrement qu'en tant qu'investisseurs, nous pourrons contribuer à accroître le rythme auquel la transformation environnementale sera mise en œuvre par les entreprises auxquelles nous allouons du capital. Les données sur l'alignement des températures de Moody's ESG Solutions, publiées il y a quelques semaines, révèlent que seulement 42% des 4’400 entreprises évaluées ont fixé des objectifs en matière d'émissions. En outre, seuls 11% d'entre elles se sont fixées des objectifs quantifiables jusqu’à 2030 et seulement 3% des entreprises évaluées sont alignées sur un niveau net-zéro d'ici 2050. Il reste manifestement beaucoup à faire pour concrétiser les engagements en matière de climat en notre industrie à sa part à jouer.

C’est pourquoi il faut encourager le développement de la finance dans la durabilité tout en gardant un œil critique. La finance peut être un catalyseur de changement et il ne faut pas dissuader notre industrie de le faire.

On peut relever une bonne nouvelle dans tout cela. Le questionnement sur le greenwashing montre que le débat a évolué dans le bon sens. En effet on ne pose plus à notre industrie la question de savoir si la durabilité est importante. Là le sujet est clos et tout le monde s’accorde pour dire que c’est clé. Maintenant les questions portent sur la manière dont la durabilité est mise en œuvre de manière sincère et efficace. On est rentré dans l’ère de l’implémentation.

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