Changement de structure des marchés obligataires: fatalité ou opportunité?

Paul Chetboun, H2O

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Les modèles de risque actuels, conçus dans un contexte de décennies de baisse des taux, ont installé le marché dans une grande complaisance. Ce paradigme doit évoluer.

Tout au long de l’année 2022, le marché a eu tendance à se concentrer sur la hausse des taux et de l’inflation. Ces deux événements qui n’avaient plus été observés dans cette amplitude depuis 30 ans, ont constitué en quelque sorte la dérivée première, mais aussi l’arbre qui cache la forêt. De son côté, le changement majeur de structure des marchés sur la dette souveraine s’est avéré plus subtil, c’est la dérivée seconde. De quoi s’agit-il? La hausse de la volatilité sur les obligations souveraines et leur corrélation de plus en plus positive avec les actifs risqués ont une implication profonde sur l’utilisation des modèles de risques et d’analyses qui peinent à prévoir, faute de références passées solides.

En effet, au-delà de la pression vendeuse sur les actifs risqués, les marchés ont également sous-performé cette année du fait de la diminution par les gestionnaires de portefeuille de leur risque en vendant des obligations au lieu de les acheter comme l’auraient exigé les modèles de risque par le passé. Ce changement de gestion des risques a des effets collatéraux qui ont déclenché des sorties de capitaux sur toutes les classes d'actifs et orienté le dollar à la hausse.

Pour bien comprendre la situation actuelle, il faut revenir sur le début de l’année. Le marché est passé en seulement quelques mois du déni d’inflation par les banques centrales à un rattrapage très tardif.

Les banques ne peuvent plus conserver la dette souveraine jusqu’à échéance sans tenir compte de sa volatilité.

Or, sur cette période d’incertitude quant à l’aspect transitoire de l’inflation, non seulement les banques centrales n’ont pas monté les taux, mais pire, elles ont continué de soutenir le marché en achetant des obligations.

Cela explique pourquoi la transition soudaine partant d’un assouplissement quantitatif qui s’élevait jusqu’à EUR 100 mds par mois en Europe (cumul PEPP et APP) à une hausse brutale des taux, puis à des anticipations de contraction monétaire des bilans des banques centrales, est un changement majeur.

Il y a donc trois niveaux de lecture: le stock des banques centrales (EUR 8 trillions en Europe et USD 9 trillions aux Etats-Unis), les flux via la hausse des taux et la vitesse du mouvement. Ce changement est historique car le mouvement se produit sur une période très courte. Ce qui s’est notamment matérialisé par le fait que le niveau de volatilité sur les obligations a, à plusieurs reprises en 2022, été entre deux et trois fois plus élevé que lors du dernier grand choc obligataire de 1994.

Dans ce contexte, s’affranchir des modèles passés constitue une première opportunité pour l’investisseur qui cherche à investir sur la dette souveraine. Il peut aussi tenter de profiter de rendement de 2,7% contre 0% en début d’année sur les taux courts européens. Puisque de nombreux investisseurs sont contraints, consciemment ou non, par leurs modèles, se créent ipso facto des inefficiences qui sont autant d’opportunités pour ceux qui évoluent dans leurs analyses en évitant les écueils du passé. Chaque fois qu’un investisseur se voit refuser d’investir dans un actif par son modèle, il laisse une opportunité d’investissement.

Enfin, convexité et chute de la liquidité ont entraîné une diminution marquée de l’horizon de lecture des marchés. Fonds de pension et assureurs, qui ajustaient leurs actifs à leur passif à plusieurs dizaines d’années, doivent maintenant rendre des comptes chaque année en mark-to-market. Dès lors, les banques ne peuvent plus conserver la dette souveraine jusqu’à échéance sans tenir compte de sa volatilité.

Est-ce à dire qu’il ne faut plus gérer le risque? Au contraire. Si un risque ne se matérialise que suite à un événement, il ne devient extrême que sous la conjonction de la surprise et d’un fort positionnement de marché. Pour gérer le risque, il faudrait donc utiliser une gestion flexible sur le marché de la dette souveraine et identifier les flux. La gestion active de la sensibilité permettrait ainsi de réduire le risque des banques centrales mais également de bénéficier de points d’entrée intéressants comme cela a été le cas mi-juin après un mouvement de vente massif des obligations, ou encore début octobre. Car si les taux ont monté fortement cette année, il y a eu également des périodes de baisses qu’une gestion dynamique, avec du recul et un horizon de gestion adapté, peut capter. De la même façon, les courbes de taux offrent elles aussi des perspectives intéressantes, à l’image du fort aplatissement observé aux Etats-Unis puis en Europe. Ces stratégies sont moins directionnelles et permettent donc de diversifier un portefeuille. Tout comme des arbitrages opportunistes sur les pays en zone euro via la convergence ou divergence entre taux-cœur et taux périphériques, la BCE ayant moins de munitions pour éviter les écartements de taux entre le nord et le sud qu’auparavant. Cependant elle peut recourir à plusieurs mécanismes d’ajustement, dont son récent outil anti-fragmentation, a condition que les pays se plient à des critères stricts.

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