H2O en solo

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

La société de gestion assume sa prochaine indépendance. Après le moteur de performance, le moteur de distribution prend son essor. Entretien avec Bruno Crastes et Babak Abrar.

Babak Abrar (à gauche) et Bruno Crastes

Avec une gamme de fonds «recalibrée», H2O AM s’est recentré sur ses expertises-cœur: la global macro, les taux et les actions globales, retrouvant fin septembre des encours de 16,2 milliards d’euros, soit son niveau de fin 2017, après un pic à plus de 30 milliards en 2019. La séparation d’avec Natixis signifie que désormais H2O doit développer son propre pôle de marketing, de distribution et de communication. Sur ses bases historiques de Londres, Paris, Singapour et Monaco, avec une première étape décisive sur le marché clé qu’est la Suisse à développer ensuite en Italie et au Moyen-Orient. Quelques questions à son directeur général Bruno Crastes et au nouveau responsable des ventes et du marketing, Babak Abrar.

Que signifie sortir du giron de Natixis?

Bruno Crastes: Natixis IM assurait la distribution des produits H2O. Cela ne sera plus le cas à l’issue du dénouement du partenariat de distribution. Cela ne changera rien en matière de gestion de l’investissement puisque, sur ce plan nous avons toujours été entièrement autonome, mais cela change beaucoup de choses sur le plan des ventes. Nous devons donc construire notre propre moteur de distribution, comme nous avons construit notre moteur de performance. Avec Babak Abrar à la tête du développement de la relation avec les investisseurs.

«La reprise des activités de distribution assurées par Natixis doit se faire de manière absolument transparente pour le client en améliorant encore la qualité du service.»
Comment cette séparation va-t-elle concrètement se passer?

Babak Abrar: La reprise des activités de distribution assurées par Natixis doit se faire de manière absolument transparente pour le client en améliorant encore la qualité du service. Nous la conduirons marché par marché. Natixis a une force de vente considérable de Montevideo à Tokyo et nous devons donc faire des choix pour chaque marché: reprendre nous-mêmes ou trouver un partenaire pour nous représenter. La France est déjà couverte en direct depuis 2018 et cette couverture est maintenant étendue à la Belgique. En Suisse où existe un lien très fort avec la clientèle, nous avons ouvert un bureau à Genève cette année. Les équipes suisses couvriront également le Luxembourg. A ce jour nous sommes installés à Londres, Paris, Monaco, Singapour et Genève. Notre focus actuel est sur l'Italie où nous comptons créer une antenne et distribuer en propre.

Envisagez-vous des changements dans la typologie de la clientèle?

BC: Notre clientèle historique de fonds souverains et de fonds de pension (pour la majorité antérieure même à la création de H2O) reste importante et représente environ 40% des actifs sous forme de mandats de gestion sur-mesure pour un total de 6,5 milliards. Pour le reste, notre clientèle est constituée de conseillers en gestion de patrimoine (CGP), de Family Offices, de gérants indépendants, de banques privées et d’institutionnels de taille moyenne. C’est une clientèle qui comprend notre style de gestion, accepte de la volatilité et des horizons à moyen terme de l’ordre de 3 ans. Je dois dire que nous apprécions retrouver le feed-back direct des clients.

BA: Nous cherchons à renforcer plusieurs typologies de clients en commençant par les family offices, une clientèle très libre et accoutumée à l'alternatif avec un horizon d'investissement particulièrement long, voire multigénérationnel. C’est un segment déjà bien couvert en Suisse et nous étudions son potentiel au Moyen-Orient. Toutefois, nos premiers prospects restent nos clients existants, notre objectif est toujours d’être au plus proche d’eux (y compris physiquement), à l’écoute de leurs besoins avec un service de pointe et la documentation la plus complète du marché. L’ouverture du bureau de Genève était une 1ère étape importante, mais nous regardons également les moyens à mettre en place en Italie, en Allemagne, aux Pays-Bas et aux UK d’ici 12-24 mois pour encore plus de proximité avec nos clients sur ces marchés. 

Quelle leçon avez-vous tiré de «l’affaire H2O» du printemps 20191?

BC: Comme vous le savez, nous avons isolé les actifs moins liquides dans des side-pockets. Mais plus globalement, nous avons constaté que notre clientèle était très polarisée entre les investisseurs discrétionnaires d’une part, certains intermédiaires financiers plus contraints de l’autre, avec des sensibilités très différentes. Plus concernés par la performance sur la durée, les premiers ont été peu impressionnés par le «bruit» alors, qu’à l’évidence, pour les autres la réputation et la communication sont déterminantes. 

«H2O deviendra de plus en plus entrepreneuriale et sa gouvernance évoluera.»
Dans un autre ordre d’idée, comment se fera la sortie du capital par Natixis? Qui les remplacera?

BC: Sous réserve de l’approbation et des remarques des régulateurs, Natixis IM se désengagera progressivement, au long d’étapes programmées. H2O deviendra de plus en plus entrepreneuriale et sa gouvernance évoluera. Notre conseil d’administration deviendra majoritairement indépendant. Nous avons déjà mis en place un comité exécutif global et, dans chaque filiale, un comité exécutif local sera établi. Les administrateurs ne seront pas actionnaires mais les exécutifs le seront. 

Votre réputation est née de l’exceptionnelle performance de vos fonds. Certains de vos gérants sont partis, comment assurerez-vous la continuité?

BC: Notre ADN ne change pas mais nous nous adaptons comme le démontre notre nouvelle supervision qui sera majoritairement indépendante: le noyau dur managérial et l’équipe de gestion historique demeurent. Notre approche collégiale et la recherche de performance restent au cœur de notre stratégie. Notre mission reste la performance de nos fonds, pas le niveau de nos encours. 

Il y a aussi du sang frais chez H2O – je pense par exemple à Pascal Dubreuil, Thomas Delabre ou à Philippine Watteaux – et ce ne sont pas les seuls, nous aimons nous considérer comme un incubateur de talents.

Quel est votre positionnement vis-à-vis de la finance durable?

BC: H2O est particulièrement spécialiste des titres gouvernementaux et des changes, domaines où l’ESG est encore balbutiant mais il me parait parfaitement sensé de se diriger vers la finance durable. Encore faut-il bien le faire, et surtout pas au détriment de la performance. Il ne faut pas non plus se tromper de priorités: en finance, tout est question de prix. La ruée sur certains actifs déforme les mécanismes de formation des prix et … crée des bulles déjà perceptibles. 

 

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