«Les allumettes ne brûlent pas dans le vide» – Quelle allocation pour la fin d’année 2022 et au-delà?

H2O Asset Management

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Les perturbations de la croissance ne devraient provoquer qu'un ralentissement technique plutôt qu'une véritable spirale récessionniste, pour finalement être absorbées par les mesures de soutien déployées.

Depuis le début de l’année, les sujets de préoccupation ont changé à maintes reprises. Le premier trimestre a d’abord été marqué par la prise de conscience collective que le phénomène d’inflation se révélait durable, et non pas transitoire ; ceci déclenchant des débats autour d’un possible retour de la stagflation tant redoutée.

Par la suite, et à mesure que l’inflation cyclique s’ancrait dans la plupart des économies, l’inquiétude s’est encore renforcée avec la guerre en Ukraine, qui a accru l’inflation liée à l’offre, en particulier sur le front de l’énergie. Puis, les débats du deuxième trimestre se sont concentrés sur la vitesse et la persistance de cette inflation, son effet d’érosion sur le pouvoir d’achat, et les éventuelles erreurs de calibrage de politique monétaire qu’elle pourrait provoquer (risque d’atterrissage brutal : « hard landing »).

Jusqu’ici, le troisième trimestre a fourni une nouvelle illustration de cette volte-face entre optimisme et pessimisme en matière d’interprétation des données macroéconomiques : les bonnes nouvelles étant souvent considérées comme mauvaises, et vice versa. Le rapport d’emploi américain de juillet (“US non-farm payroll”) a fortement surpris à la hausse, recensant 528.000 créations de poste, soit plus du double de ce qui était attendu (250.000), soulignant une fois de plus l’extrême dynamisme du marché du travail américain. Dans ce contexte, la demande privée s’annonce solide au point que les membres de la Fed ont noté en juillet, que sans ralentissement de celle-ci, il serait difficile de voir l’inflation ralentir. La Fed souligne également que la vigueur du marché de l’emploi suggère que l’activité économique est probablement plus robuste que ce que les chiffres plutôt faibles du deuxième trimestre pouvaient laisser penser.

Scénario macro

Les banques centrales se trouvant face à un dilemme (« conundrum »), les craintes d’une récession imminente ont gagné du terrain au sein du consensus de marché.

Ces craintes se sont confirmées au cours du troisième trimestre:

  • Une croissance plus lente au deuxième trimestre (en glissement trimestriel) : légèrement négative aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, légèrement positive pour les économies européennes ;
  • Des attentes de plus en plus pessimistes reflétées dans de nombreuses enquêtes au deuxième trimestre et au début du troisième ;
  • Un rythme plus rapide que prévu des hausses de taux mises en œuvre par les banques centrales du monde entier ;
  • Le conflit militaire en Ukraine qui s’étend dans la durée, avec son impact direct sur l’inflation des produits alimentaires et énergétiques ;
  • Les reports successifs du redémarrage de la Chine, sous l’effet des reprises du Covid-19 et de problèmes de pénurie d’énergie dans les provinces du centre du pays, pénalisant la production intérieure.

Nous reconnaissons qu’en temps normal ces facteurs auraient constitué l’allumette parfaite, susceptible de déclencher l’incendie de la récession généralisée. Mais nous sommes convaincus que les allumettes ne brûlent pas dans le vide.

En effet, il faudrait qu’à cette étincelle initiale soit associé quelque carburant, sous la forme de déséquilibres macroéconomiques importants, tel qu’un effet de levier excessif dans le secteur privé, pour que les chocs négatifs se propagent et s’étendent à l’ensemble de l’économie, et que la boucle de la récession soit ainsi bouclée.

Et, bien que nous n’excluons pas que la plupart des économies connaissent une croissance nulle voire une légère récession technique dans les mois à venir, nous restons convaincus que la configuration macroéconomique mondiale sous-jacente reste favorable à une croissance synchronisée, et qu’à mesure que les chocs temporaires sur l’activité se résorbent avec le temps, nous devrions assister à une reprise en V, semblable à celle observée au sortir de la pandémie.

Pour cause, comme nous le soulignions dans notre H2O MacroNote “Un nouveau coup de pouce à la reflation” datée de juin 2022, les forces sous-jacentes qui confèrent aux économies leur robustesse pour résister aux chocs sont toujours bien présentes aujourd’hui. Ainsi, la demande des consommateurs demeure soutenue en raison :

  • des larges excédents d’épargne accumulés durant la période Covid, désormais en mesure d’être dépensés, puisque le taux d’épargne revient progressivement sous son niveau pré-pandémie dans la plupart des économies développées ;
  • du marché du travail tendu : le taux de chômage mondial est à un plus bas historique (inférieur à 5%), or le plein emploi renforce le pouvoir de négociations des salariés et, de là, la hausse des salaires.

Les craintes décrites ci-dessus sont de nature temporaires et peuvent s’avérer similaires, d'une certaine manière, aux vagues successives du Covid-19 : une fois le choc initial passé, les gouvernements et les économies mettent en place les outils de soutien budgétaires et monétaires nécessaires pour faire face à une deuxième, troisième ou quatrième vague. Même si chaque vague pèse temporairement sur l'activité, la réouverture et les politiques de soutien qui l'accompagnent entraînent une reprise mécanique vigoureuse par la suite, l’activité revenant aux tendances d'avant le choc. En 2022, les moyens par lesquels les pays résisteront aux perturbations économiques semblent assez clairs.

Les gouvernements ont clairement maintenu leur approche du "quoi qu’il en coûte" issu du Covid-19 et sont désormais déterminés à reconduire les mêmes mesures fiscales pour protéger le pouvoir d'achat de leurs citoyens contre les difficultés générées par l'inflation. Les généreux transferts et subventions publics, destinés à atténuer l'effet des hausses des prix, verront ainsi leur durée prolongée jusqu'à la fin de l'année et en 2023.

Combinées à la hausse des salaires induite par le plein emploi, ces politiques de soutien améliorent directement la capacité des ménages à faire face à l'inflation, les protégeant des tensions liées à l'érosion du pouvoir d'achat. Mais, contrairement à ce qu’il s'est passé pendant la pandémie, les consommateurs ne sont plus disposés à constituer une épargne de précaution. Au contraire, ils dépensent le revenu supplémentaire reçu sous forme de soutien, en plus de leur revenu disponible, ce qui renforce la demande et par conséquent l'inflation.

En étudiant les différentes composantes de la demande, il apparaît que ce sont les services qui deviennent progressivement les facteurs de croissance les plus importants, dépassant la contribution des biens durables qui semblent se replier à mesure que les conditions de financement se resserrent.
Cela s’explique en partie par le fait que, comme chacun a pu le constater, ce sont les services qui ont le plus souffert pendant le Covid-19, et qu’ils n’ont pas encore retrouvé leur niveau pré-pandémique. La croissance des services dominera donc le cadre macroéconomique actuel, tandis que les autres secteurs sont déjà plus avancés dans le cycle.

Les entreprises ont également annoncé de solides bénéfices, prouvant une fois de plus leur capacité à protéger leurs marges via la répercussion de leurs coûts. Les dépenses d’investissement sont fortes et continueront à se renforcer, en particulier en Europe, qui devrait connaître un prochain cycle d'investissement puissant, les entreprises cherchant à consolider leur part de marché dans un contexte d’accroissement des ventes. Tous ces éléments envoient un signal clair de la confiance des entreprises dans les perspectives économiques futures.

Ainsi, étant donné que:

  • d’une part, les déséquilibres macroéconomiques nécessaires à une récession globale profonde ne sont pas en place,
  • et d’autre part, les gouvernements préviendront l’apparition des dégâts économiques (faillites d’entreprise, montée du chômage) que les craintes mentionnées plus haut pourraient entraîner.

Les perturbations de la croissance décrites ci-dessus ne devraient provoquer qu'un ralentissement technique plutôt qu'une véritable spirale récessionniste, pour finalement être absorbées par les mesures de soutien déployées.

Nos perspectives de croissance à moyen terme restent dès lors inchangées. Nous continuons d’estimer que le cycle économique actuel bénéfice d’une dynamique réelle forte. Et nous sommes convaincus du potentiel de croissance synchronisée à travers le monde, ce qui devrait être positif pour nos portefeuilles dans le temps.

Banques centrales

Actuellement, le principal débat qui anime les marchés porte sur la trajectoire des hausses de taux menées par les banques centrales au cours des prochains trimestres. L'actuelle inversion de la courbe des taux aux États-Unis – témoignant implicitement de hausses de taux constantes pour le reste de l'année 2022 et de potentielles baisses en 2023 –, nous laisse penser que le marché surestime le risque de récession, et sous-estime, dans le même temps, le caractère persistant de l'inflation, et donc la nécessité de hausses de taux supplémentaires, plus fortes.

En effet, projeter un tel mouvement de marche arrière de la part des banques centrales impliquerait que d'ici le premier trimestre 2023, l'inflation cyclique se soit assagie, ce qui nous semble peu probable étant donné la nature des moteurs inflationnistes sous-jacents. Les facteurs de baisse des prix à la consommation (CPI, Consumer Price Index) sont rares vu le niveau extrêmement bas à partir duquel les banques centrales ont commencé à resserrer les conditions financières. Ces baisses de taux, telles que la courbe de taux en fait état actuellement, impliqueraient également un risque élevé de profonde récession au premier trimestre 2023, ce qui n’est pas compatible avec l’absence de déséquilibres macroéconomiques comme nous l’avons vu dans la première partie.

En économie, il n’y a que deux moyens de voir les conditions financières se contracter. Soit par l'action de la Banque centrale – via les hausses de taux ; soit par l'ajustement mécanique des marchés de capitaux (c'est-à-dire par la baisse de la valorisation des actions et la hausse des spreads de crédit). Alors que la première option reste toujours disponible, la seconde montre des signes d'essoufflement. Les marchés ont déjà connu une forte correction de leur trajectoire depuis le début de l'année (S&P 500 : -18%, EuroStoxx 50 : -19%). Ils apparaissent désormais prêts à rebondir, les investisseurs cherchant de nouvelles opportunités d'investissement. Par conséquent, en l'absence de signaux de détente sur les différents marchés du travail, et étant donné la difficulté pour les marchés financiers de s’ajuster davantage par eux-mêmes, les banques centrales ne vont avoir d'autre choix que de relever leurs taux plus haut et plus longtemps afin de resserrer les conditions de financement et de ralentir la demande.

Ajoutons que le ralentissement des secteurs les plus sensibles aux hausses de taux devra être mis en perspective avec la vigueur de la demande dans le secteur des services. Plus la croissance dans les services dominera, comme nous le prévoyons puisque le niveau des services est encore bien en-dessous de sa tendance pré-Covid, plus l'inflation de base risque de se maintenir à un niveau élevé, sous l’effet des tensions persistantes sur les différents marchés du travail, maintenant la Fed et les autres banques centrales dans une situation inconfortable plus longtemps.

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