Ce qui changera avec le Saron

Yves Hulmann

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Le taux de référence qui remplacera le Libor à fin 2021 sera plus transparent et très difficile à manipuler, estime Christophe Cherdel, expert à la BCV.

©Keystone

A la fin de cette année, le taux Libor («London Interbank Offered Rate») sera remplacé en Suisse par le Saron («Swiss Average Rate Overnight Rate»). Il s’agira dès lors du nouveau taux d’intérêt de référence, calculé au jour le jour, qui servira de base à toutes sortes de produits financiers, y compris pour certaines hypothèques à taux variables. Par rapport à son prédécesseur, le nouveau taux d’intérêt de référence se différencie essentiellement par son mode de calcul. 

Un taux basé sur des transactions réelles

Le Saron est en effet calculé sur la base des transactions effectivement conclues sur un marché monétaire dit sécurisé. Un marché est considéré comme sécurisé si l’institut qui prête l’argent reçoit une garantie (par exemple des titres de dettes) de la part de l’établissement qui emprunte jusqu’au moment du remboursement.

Contrairement au Libor, chaque transaction réalisée avec le Saron est basée sur des prêts avec garantie.

Par comparaison, le Libor reposait, lui, essentiellement sur de simples recommandations qui provenaient d’un nombre limité de participants au marché et les échanges s’effectuaient dans le cadre du marché monétaire dit non sécurisé. Ces caractéristiques ont rendu le Libor sujet à diverses manipulations. Suite à la dénonciation de celles-ci en 2011 et à la condamnation de plusieurs traders au milieu de la dernière décennie, des discussions ont alors été entamées pour voir s’il serait possible de remplacer le Libor, et de quelle façon. Le Saron résulte de ces travaux. 

La fin des «prêts en blanc» 

Contrairement au Libor, qui reposait en quelque sorte sur des «prêts en blanc», chaque transaction réalisée avec le Saron est basée sur des prêts avec garantie. «Il s’agit d’une opération effectuée avec échange de garanties, par exemple des obligations de la Confédération», a expliqué Christophe Cherdel, responsable du département ALM – Gestion financière, qui est en charge du groupe de travail SARON auprès de la Banque Cantonale Vaudoise (BCV) lors d’un atelier consacré au nouveau taux de référence qui a eu lieu en ligne mercredi.

Compte tenu de ce qui était arrivé avec le Libor, le Saron pourrait-il aussi être à son tour manipulé? Christophe Cherdel se dit très confiant sur ce point: «Si une banque voulait chercher à influencer les prix du Saron, il faudrait alors qu’elle aille très très loin dans la manipulation.» Aux yeux de l’expert, il serait très difficile de le faire pour plusieurs raisons: d’une part, le Saron ne repose pas sur des estimations de prix fournies par quelques acteurs du marché, comme c’était le cas pour le Libor, mais sur des opérations réelles. D’autre part, car toutes les transactions sont enregistrées et qu’il est ensuite possible de les retracer. La Swiss Stock Exchange (SIX), l’opérateur de la bourse suisse, publiera plusieurs fois par jour les données relatives au Saron. De plus, ces opérations seront également surveillées par la Banque Nationale Suisse (BNS). 

Moins de visibilité avec le Saron

Techniquement, le passage au Saron entraîne un changement en termes de prévisibilité. En effet, dans le cas du Libor, il s’agit d’un taux pré-fixé («forward looking» en anglais) à une certaine échéance, par exemple à 1, 3 ou 6 mois. Pour une durée d’un mois, cela signifie que l’on connaît début novembre non seulement quel sera le montant que l’on devra rembourser début décembre mais aussi quel sera l’intérêt à payer.

La transition vers le Saron nécessitera d’importantes adaptations dans des domaines tels que les produits dérivés ou les crédits syndiqués.

Dans le cas du Saron, il s’agit d’un taux d’intérêt de référence calculé au jour le jour («overnight»). Dès lors, si l’on emprunte à trois mois, on ne sait pas encore quel sera le taux à la fin de ces trois mois. Ce taux est en effet calculé de manière rétrospective («backward looking»). Pour l’emprunteur, cela signifie aussi qu’il faut prévoir une certaine marge. «Avec le Libor, on connaît, dès le départ, quel sera le taux appliqué dans trois mois. Avec le Saron, on ne connaît le taux à trois mois qu’à la fin de la période. Il y a un peu moins de visibilité avec le Saron», met en perspective Christophe Cherdel.

La politique monétaire influera le plus sur le taux

Dans la pratique, c’est surtout la politique monétaire qui influencera le niveau du Saron. «Le Saron est déterminé par la politique monétaire de la BNS qui elle-même défini ses taux en fonction de ses différents objectifs, tel que son objectif d’inflation», anticipe Christophe Cherdel. Si la BNS ramenait, par exemple, son taux directeur de -0,75% actuellement à -0,5% à l’avenir, le Saron se situera alors très près de ce niveau. L’écart dû au marché devrait se limiter à 4 ou 5 points de base.

Pour les personnes qui ont souscrit à des hypothèques à taux variables, le passage du Libor au Saron n’entraînera «pas de changements fondamentaux» mais nécessitera plutôt «des adaptations», estime de son côté Sébastien Roduit, responsable du département Immobilier à la BCV. Le spécialiste rappelle qu’il s’agit d’un produit de niche et que la très grande majorité des clients optent pour des hypothèques fixes.

En revanche, le remplacement du Libor par le Saron nécessitera encore d’importantes adaptations dans certains domaines tels que les produits dérivés ou les crédits syndiqués. A noter enfin que si le Libor disparaîtra effectivement à fin décembre pour plusieurs monnaies comme le franc, l’euro, ou la livre sterling, ce taux continuera néanmoins d’être utilisé dans le cadre de l’Euribor ou pour certains prêts libellés en dollars.

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