Au milieu du cycle de durcissement

Chris Iggo, AXA Investment Managers

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La Federal Reserve (Fed) augmente les taux d’intérêt, fidèle à la politique qu’elle a présenté au marché avec succès.

  • Mais jusqu’au pic, il y a encore un chemin long et difficile à parcourir. C’est ce qui apparaît en Grande-Bretagne où la Bank of England (BoE) a relevé les taux tout en indiquant une croissance négative. Toutefois, le fait de souligner la stagflation n’est pas vraiment une bonne méthode pour calmer les marchés.
  • C’est au tour de la Banque centrale européenne (BCE) d’annoncer un premier relèvement des taux et si l’inflation atteint son maximum, les chiffres indicateurs d’une croissance vont dominer. Mais pour les placements à risque, la situation pourrait s’aggraver encore.
  • Il existe de bonnes raisons pour que les bénéfices du secteur pétrolier soient réinvestis dans le développement des énergies renouvelables.
La prochaine hausse des taux

La semaine dernière, la Fed a augmenté le taux directeur de 50 points de base (BP), comme prévu. Le Président de la Fed Powell a minimisé le risque de hausse des taux de 75 BP au cours des sessions à venir. Les marchés ont alors en partie revu l’évaluation des augmentations du taux d’intérêt attendues pour le reste de l’année et jusqu’à 2023. Toutefois, le marché reste d’avis qu’il y aura d’autres augmentations des taux d’un montant égal à 200 BP d’ici la fin de 2022 et s’attend à un Fed Funds Rate d’environ 3,25 pour cent pour le deuxième trimestre de l’année à venir. Nous partons du fait que la Fed est relativement satisfaite du durcissement des conditions de la politique monétaire qui, au cours des derniers mois, a déjà eu lieu avec les déclarations restrictives des représentants de la Fed. Les attentes concernant les taux s’élèvent à plus de 3 pour cent, les rendements obligataires ont fortement augmenté et les coûts du crédit pour les entreprises avec notification BBB sont à plus de 250 BP par rapport au minimum de l’été précédent.

Ensuite…

Le dernier durcissement aussi agressif en matière de politique monétaire remonte à 2018. A l’époque, les actions et les obligations d’entreprise ont affiché des rendements globaux négatifs pendant toute l’année. Le deuxième trimestre fut relativement désagréable, surtout au moment de la baisse des indicateurs de croissance. En regardant plusieurs indicateurs de risque, les rendements des Etats-Unis réels, le point mort d’inflation, le spread entre les obligations souveraines (BTP) italiennes et allemandes, l’indice CDS Euro-Crossover, le spread des obligations des pays émergents et l’indice de volatilité des actions VIX, certains mais pas tous sont aux pics de 2018. Ceci apparaît plus particulièrement au niveau des indicateurs du secteur du crédit: L’indice Crossover et le spread des obligations des pays émergents ont dépassé les pics de 2018. Les rendements réels, la volatilité des actions et le BTP-Bund-Spread ont encore un long chemin à parcourir. L’apparition de risques baissiers additionnels ne peut pas être exclue pour tous les marchés étant donné que la dynamique annonce une hausse supplémentaire éventuelle des rendements obligataires et une autre diminution des cours des actions. Une éventuelle stagflation constitue aussi un grand facteur de risque.

Il est difficile de trouver quelque chose de positif…

Notre cadre macro-valuation-sentiment-technical (MVST) utilisé pour évaluer les perspectives des différents marchés montre que le macrofacteur reste négatif. Il est possible que l’inflation ait atteint son pic, mais elle va rester élevée. La croissance ralentit en raison de la pression exercée sur les revenus réels des ménages et l’augmentation générale du coût des entrants. La politique monétaire est durcie. Ces facteurs regroupés ont déjà entraîné des rendements négatifs dans toutes les catégories d’investissement en 2022. Le revers de ce développement, ce sont de meilleures notations. Les rendements obligataires et les spreads ont augmenté et les valorisations des actions ont significativement diminué depuis l’année dernière. Selon les commentaires des marchés, l’ambiance reste relativement mauvaise et nous ne devons pas compter sur une grande amélioration tant que les hostilités persisteront en Europe, que les prix de l’énergie ne diminueront pas et que le taux d’inflation annuel ne sera pas arrivé à son véritable pic. La BoE a procédé à une quatrième augmentation successive du taux tout en avertissant d’une hausse de l’inflation et d’une baisse de la croissance. Ceci a déclenché une réaction négative sur les marchés des obligations et des actions du monde. Quant aux facteurs techniques, la volatilité et la liquidité ne sont pour le moment pas d’une grande utilité. Et pour les investisseurs en obligations, les conséquences sur les prix du marché, résultant du revirement des banques centrales, loin de l’assouplissement quantitatif et de la suppression de leurs bilans, restent incertaines. Au total, le modèle MVST est négatif pour la plupart des facteurs.

…mais ça va

Le prix du pétrole reste élevé. Depuis le mois de mars, il a suivi une évolution avant tout latérale, le prix comptant du Brent variant de 100 à 110 dollars des Etats-Unis le baril. En général, les prix du gaz naturel ont diminué. La pression importante de l’énergie sur l’inflation sera donc provisoire, ce qui contribuera à des taux d’inflation inférieurs sur douze mois. Le rapport des prix à la consommation aux Etats-Unis du mois d’avril sera intéressant. Entre les mois d’octobre et de février, l’indice des prix à la consommation sous-jacent a grimpé de 0,5 à 0,6 pour cent par mois. Au mois de mars, la hausse mensuelle a diminué pour passer à 0,3 pour cent. Le consensus de Bloomberg actuel part d’une augmentation de 0,4 pour le mois d’avril. Il est possible que la dynamique de l’inflation sous-jacente diminue également (toutefois, la pression secondaire n’a pas diminué significativement si l’on utilise l’indice des prix à la production comme référence). Par rapport aux autres devises importantes, le dollar est pratiquement au maximum de ces 20 dernières années. Au regard de ces niveaux de rendement, le marché des bons du Trésor des Etats-Unis est une opportunité pour augmenter la duration. Si la croissance diminue à un point quelconque et si les attentes concernant les taux évoluent dans le sens inverse, une diminution d’un pour cent des rendements des bons du Trésor des Etats-Unis se traduira par un rendement global de sept à huit pour cent. Ceci pourrait aider si les cours des actions continuent de baisser.

Désaccords dans les banques centrales

La semaine dernière, la BoE a relevé le taux directeur d’un pour cent tout en parlant d’un ralentissement significatif de la croissance. Cette déclaration a eu des répercussions négatives sur les marchés. Le Dow Jones Industrial Average a affiché une baisse de plus de 1 000 points le 5 mai dernier. Par ailleurs, le comité de politique monétaire de la BoE était divisé: trois membres ont demandé une hausse de 50 BP (vautours), d’autres ont estimé qu’une perspective plus équilibrée en termes de croissance et d’inflation était de mise (pigeons). Il est toujours dit qu’il existe de grandes différences au niveau du fonctionnement du Federal Open Market Comitee (FOMC) et du comité de politique monétaire de la BoE (MPC). Aux Etats-Unis, le Président de la Fed recueille les avis des différents membres avant les réunions consacrées à la politique monétaire et s’efforce d’établir un consensus qui se rapproche le plus possible de ce qui a été auparavant communiqué aux marchés. En Grande-Bretagne, le MPC mène plutôt un débat acharné. Ceci explique les fréquents différends des années passées. Ceci entraîne des décisions peu claires et des avertissements significatifs sur les perspectives qui ne correspondent pas aux attentes. Pour la Grande-Bretagne, le consensus de Bloomberg part d’une croissance de 3,8 pour cent pour cette année et de 1,6 pour cent pour l’année à avenir alors que l’inflation s’élèvera en moyenne à 7,1 et 3,4 pour cent. Cette perspective est «plus stagflationniste» que la croissance de 2,1 pour cent et l’inflation de 2,8 pour cent annoncées aux Etats-Unis pour 2023. Mais aussi sur le plan politique, il faut compter sur des incertitudes si bien que les perspectives pour la livre Sterling ne sont pas très favorables. Il est probable que la cote des 1,20 dollars soit de nouveau testée, une répétition des profondeurs de 2016 après le vote du Brexit, ainsi que des années 2019 et 2020, marquant la propagation du coronavirus.

Un regard vers l’Europe

Le consensus est d’avis que la BCE devrait procéder à la première augmentation des taux au mois de juillet. Quand on sait que le rendement des obligations souveraines sur 10 ans a augmenté de 150 BP depuis l’été dernier, la BCE est loin derrière. Les taux d’intérêt négatifs n’apportent pas grand chose à l’économie de la zone euro et constituent un problème pour le secteur bancaire. La BCE doit donc bouger et ramener au moins les taux dans la marge positive. Sinon, elle risque de rabaisser encore l’euro, déjà affaibli. Pour cette année, le marché reflète des augmentations du taux de 80 BP, ce qui, au regard de la tendance de la BCE affichée ces dernières années, semble très peu probable. L’un des indicateurs de risques significativement inférieur au niveau de 2018, est le spread entre les obligations souveraines italiennes et allemandes. Il s’élève actuellement à 190 BP, le rendement des obligations souveraines italiennes sur dix ans étant de 2,8 pour cent. L’augmentation du spread n’est pas due au système italien mais plutôt à l’environnement inflationniste général et au durcissement de la politique monétaire. Après la suppression des acquisitions de valeurs patrimoniales, l’Europe n’a certainement pas besoin d’une nouvelle crise de la dette publique. C’est pourquoi, il est important que la BCE maîtrise l’inflation de manière crédible afin de limiter la hausse des taux. Si elle n’y arrive pas, la soutenabilité de la dette sera remise en cause. Toutefois, la croissance italienne n’est pas suffisamment forte pour supporter des coûts des crédits beaucoup plus élevés qu’ils ne le sont actuellement.

Préférer les Etats-Unis

Pour ce qui est de l’orientation des portefeuilles, les obligations des Etats-Unis pourraient afficher des performances supérieures à celles de l’Europe ou de la Grande-Bretagne, les rendements y étant plus élevés et ayant déjà fortement évolué en réaction à un resserrement probable. Le dollar des Etats-Unis est fort et sur le court terme, il est difficile de trouver des arguments en faveur d’une reprise de l’euro ou de la livre Sterling. Par ailleurs, la croissance en Europe est plus faible avec un risque plus élevé du côté des obligations souveraines, surtout si les relations entre les dettes souveraines et bancaires prédominent de nouveau.

Les bénéfices du secteur pétrolier devraient être réinvestis dans les énergies renouvelables

La semaine dernière, les deux grands consortiums pétroliers cotés à la bourse britannique ont présenté leurs chiffres commerciaux. Les bénéfices ont agréablement surpris et déclenché un autre débat politique sur l’imposition du secteur énergétique afin de financer les investissements dans les énergies renouvelables et d’amortir la hausse des prix de l’énergie pour les ménages. C’est une question de volonté politique si un impôt sur les bénéfices spéciaux devrait être prélevé ou non sur les bénéfices exceptionnels des fournisseurs d’énergie. Toutefois, il est important que les investisseurs prennent des engagements pour être certains que le rendement économique issu de la hausse du prix soit bien réinvesti dans le développement des énergies renouvelables de l’entreprise. Ceci devrait se présenter comme suit: Les coûts élevés, directs des combustibles fossiles (y compris les coûts indirects, insoutenables) devraient accélérer la transition vers les énergies renouvelables qui, entre-temps contribuent de manière plus efficiente à la production d’électricité. Si le marché ne facilite pas cette transition, la politique devra réagir davantage. Il est dangereux de reculer le seuil de réalisation de zéro émission nette et les avantages de l’énergie plus propre, plus fiable et politiquement moins toxique devraient être défendus de manière plus agressive.

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