Nouveaux défis

Chris Iggo, AXA Investment Managers

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L'impact de la guerre en Ukraine devrait accentuer la pression en faveur de l’objectif «net zéro».

Publié à peine quelques mois après la fin de la COP26, le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) donne à réfléchir. L'organe des Nations unies prévient que le monde sera confronté à de «multiples risques climatiques inévitables au cours des deux prochaines décennies», même si l’on parvient à limiter le réchauffement de la planète à +1,5°C1.  

Il y est déclaré que le dépassement, même temporaire, de ce niveau de réchauffement aura «des répercussions supplémentaires graves, dont certaines seront irréversibles. Les risques pour la société vont s’accroître, entre autres pour les infrastructures et les agglomérations situées en zones basses du littoral.»

Cette analyse vient à point nommé pour nous rappeler l'urgence de poursuivre avec force l'objectif «net zéro» à un moment où les priorités géopolitiques et monétaires ont été bousculées, d’abord par la pandémie, puis par la crise ukrainienne.

En effet, le débat se concentre actuellement sur la manière de soutenir la reprise après la pandémie de COVID-19 tout en faisant face aux conséquences de l'invasion russe en Ukraine. Or, le GIEC ne cesse de mettre en relief comment les vagues de chaleur, les sécheresses et les inondations entraînent d’ores et déjà une mortalité massive des espèces et exposent des millions de personnes à une insécurité alimentaire et hydrique aiguë.

À l'heure actuelle, l'Union européenne (UE) importe 90% du gaz qu'elle consomme, dont environ 45% proviennent de Russie.

Le prix de l'énergie était déjà en hausse avec le redémarrage des économies, portant ainsi l'inflation à des niveaux que l’on n’avait plus connus depuis des décennies, ce qui a conduit à prévoir un resserrement important des taux d'intérêt en Europe et aux États-Unis. Mais la guerre a suscité de nouvelles craintes quant à la sécurité et à l'approvisionnement énergétiques, poussant les pays à réévaluer leurs capacités nationales en matière de combustibles fossiles, tandis que les prix continuent d'augmenter.

De nouveaux défis

L'escalade de tensions politiques débouchant sur un conflit militaire a déclenché une liquidation des marchés boursiers mondiaux et pour la première fois en sept ans, fait passer le prix du pétrole au-dessus de 100 dollars le baril. L’acte d'agression envers l’Ukraine a déjà eu un terrible coût humain, entraînant des sanctions de l'Occident à l'encontre des dirigeants russes, ainsi que de certaines banques et de riches particuliers. Dans leur pleine portée, les répercussions économiques seront toutefois ressenties encore plus largement.

Au cœur de cet enchaînement, on trouve le rôle de la Russie en tant que fournisseur d’énergie de premier plan. À l'heure actuelle, l'Union européenne (UE) importe 90% du gaz qu'elle consomme, dont environ 45% proviennent de Russie. Celle-ci assure également 25% des importations européennes de pétrole et 45% de celles de charbon2.  

Entre-temps, les sommes investies dans la production d’énergie à base de combustible fossile vont en décroissant et les moyens financiers sont de plus en plus alloués à des modèles de production d’énergie plus durables. Mais certains estiment que cela limite la capacité du secteur de l'énergie à répondre à une augmentation soudaine de la demande, les énergies renouvelables n'ayant pas encore les moyens de remédier à une éventuelle pénurie, ni les technologies telles que l'éolien et le solaire ceux d'augmenter rapidement leur production.

L'Association internationale de l'énergie (AIE) a déclaré que l'Europe devait agir rapidement et être prête à faire face à une grande incertitude quant à l'approvisionnement en gaz russe l'hiver prochain3. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a adopté un ton similaire, insistant sur le fait que le bloc devait se rendre indépendant du pétrole, du charbon et du gaz russes, et qu'il ne pouvait pas se reposer sur un fournisseur qui le menaçait ouvertement4.  

La transition sur le fil

Les actions du président Vladimir Poutine ont amené le monde au bord du précipice sur le plan de la transition énergétique. Les réductions volontaires ou forcées en termes de consommation de l'énergie provenant de Russie déplaceront la demande vers d'autres fournisseurs et sources d'énergie, ce qui à court terme contribuera à maintenir des prix élevés. Et cette recherche de la réponse la plus souple à la hausse des prix et aux pénuries risque de porter l'utilisation du charbon, du pétrole et du gaz non russes à un niveau incompatible avec une courbe d'émissions décroissante et la réalisation du ‘zéro net’.

Renforcer les capacités dans le domaine des énergies renouvelables ou celles des énergies alternatives comme le nucléaire demande du temps et ne résoudra pas la crise actuelle des prix. De nombreux hommes politiques réclament déjà la remise en service de centrales au charbon désaffectées afin d'éviter que l'UE ne dépende de la Russie pour son approvisionnement énergétique. Au Royaume-Uni, des appels ont été lancés pour que l’on reprenne l’extraction par fracturation, de sorte à accroître la production et à réduire le prix des carburants5.

Les raccourcis ne nous mèneront nulle part. Ce n'est pas au moment où notre dépendance à l'égard des combustibles fossiles se révèle la plus coûteuse et la plus dangereuse qu'il faut la sceller encore davantage.

Ce sentiment d'urgence est compréhensible, peut-être même nécessaire en dernier ressort, mais il pourrait être tout simplement désastreux pour l'environnement si les actions de la Russie devaient conduire à ce que l’on remette en service des centrales à combustibles fossiles, mettant ainsi en danger le rythme et la qualité de notre passage à une économie mondiale durable. Nous pensons que les arguments en faveur de la transition énergétique n'ont jamais été aussi pertinents - et que chaque proposition dont la mise en œuvre conduirait à retarder le déclin des combustibles fossiles devrait être soumise à l'examen le plus rigoureux.

Les raccourcis actuels sont de peu d’utilité pour affronter l'avenir. Une étude britannique a notamment montré qu'au début de cette année, les factures d'énergie étaient supérieures de près de 2,5 milliards de livres à ce qu'elles auraient été si, au cours de la dernière décennie, l’on n’avait pas supprimé toute une série de mesures politiques en faveur du climat6. Les raccourcis ne nous mèneront nulle part. Ce n'est pas au moment où notre dépendance à l'égard des combustibles fossiles se révèle la plus coûteuse et la plus dangereuse qu'il faut la sceller encore davantage.

L'Europe doit donc se détourner des combustibles fossiles russes. Mme Von der Leyen a appelé à une action urgente pour atténuer l'impact de la hausse des prix de l'énergie, diversifier les approvisionnements en gaz et accélérer la transition vers une énergie propre7. La Commission européenne a présenté un plan qui vise cet objectif, prévoyant de rendre l'Europe indépendante des combustibles fossiles russes bien avant 2030. Baptisée REPowerEU, cette stratégie aura pour but de diversifier les approvisionnements en gaz, à accélérer l'introduction des gaz de sources renouvelables et à remplacer le gaz dans le chauffage et la production d'électricité. L’UE pense qu’elle est en mesure de réduire ses besoins en gaz russe de deux tiers avant la fin de l’année8.  

Le prochain pas

Ce moment pourrait être l'occasion d'accélérer la transition d'une façon qui pourrait contribuer à protéger les pays – et les investisseurs – de points de tension similaires au cours des années à venir. Le monde est encore trop dépendant des combustibles fossiles pour parvenir à une réduction significative des émissions de dioxyde de carbone (CO2) à court terme. Le prix élevé des sources d'énergie à forte intensité de carbone devrait intensifier la transition vers les énergies renouvelables à un moment où, grâce aux avancées technologiques, celles-ci bénéficient d'une baisse de la courbe des coûts à long terme. Nous devons cependant reconnaître que les récents évènements auront des conséquences à court terme.

Les émissions de CO2 seront probablement plus élevées que ce que l’on prévoyait il y a un an ou deux, car, dans le contexte actuel, la transition vers les énergies renouvelables s'annonce plus ardue. Ainsi, le pic de la courbe des émissions serait réhaussé, ce qui à son tour devrait entraîner une accélération des investissements publics et privés dans les énergies vertes et les technologies connexes afin de contrer cet effet. L'objectif fondamental serait d’obtenir un déclin nettement plus marqué de la courbe des émissions, avec l'avantage d'une sécurité énergétique accrue. Ceci pourrait bien profiter, outre aux énergies solaire et éolienne, à l'hydrogène et au nucléaire, de même qu’encourager les efforts pour améliorer l'efficacité énergétique.

Un choc énergétique durable, amplifié par la guerre en Ukraine, a fait prendre conscience de l'urgence et des implications sociales de la sécurité énergétique. Au fil des ans, les combustibles fossiles ont été source d'énormes problèmes politiques, et la dépendance énergétique de l'Europe vis-à-vis d'une Russie agressive ne sera pas le dernier défi à relever sur ce plan. Or, le changement climatique représente lui aussi une menace géopolitique fondamentale dont les effets mettent en péril notre mode de vie. Nous ne pouvons donc pas nous attaquer au premier aspect sans avoir le second bien en vue. Si nous ne parvenons pas à passer à une économie à faible émission de carbone, nous n'aurons pas de croissance économique durable, ce qui signifie que nous ne pourrons pas avoir un avenir durable et prospère.

 

1 Communiqué de presse | Changement climatique 2022 : ‘Impacts, Adaptation and Vulnerability’ (ipcc.ch)
2 Action européenne conjointe en faveur d'une énergie plus abordable, plus sûre et plus durable (europa.eu)
3 How Europe can cut natural gas imports from Russia significantly within a year - News - IEA
4 Action européenne conjointe en faveur d'une énergie plus abordable, plus sûre et plus durable (europa.eu)
5 The Observer view on Ukraine and the climate emergency | Observer editorial | The Guardian
6 Analysis: Cutting the ‘green crap’ has added £2.5bn to UK energy bills - Carbon Brief
7 Action européenne conjointe en faveur d'une énergie plus abordable, plus sûre et plus durable (europa.eu)
8 Action européenne conjointe en faveur d'une énergie plus abordable, plus sûre et plus durable (europa.eu)

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