Ueli Maurer démissionne du Conseil fédéral pour fin décembre

AWP

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Le doyen en fonction du gouvernement tire sa révérence à presque 72 ans, dont treize ans comme ministre.

Après avoir assuré qu’il resterait jusqu’en 2023, Ueli Maurer tire sa révérence au milieu de son quatrième mandat. Le Zurichois de 71 ans aura passé 14 ans au Conseil fédéral sans jamais se couler totalement dans le moule. L’ancien président de parti sera resté un «UDC pur sucre».

Ueli Maurer a sans cesse jonglé entre la collégialité et les gages à son parti. Dernier exemple en date, la crise du coronavirus où il est apparu en sauveur avec les crédits aux entreprises, tout en laissant filtrer son envie de déconfinement plus rapide que le reste du gouvernement.

Tout au long de la crise, il s’est efforcé de ne pas trop desserrer les cordons de la bourse et de permettre aux entreprises de se maintenir à flot. Une stratégie qui lui a valu des louanges tous partis confondus.

L’exercice n’a pas été de tout repos, mais les défis ne lui font pas peur. En 2016 déjà, le conseiller fédéral reprend le Département des finances alors qu’il semblait usé par sept ans à la Défense. Le comptable de formation a vite paru à son aise.

Son bilan a mis du temps à suivre. En 2017, le peuple balaie sa troisième réforme de l’imposition des entreprises qui devait mettre fin aux privilèges fiscaux accordés aux multinationales. Deux ans plus tard, le grand argentier tient sa revanche grâce à un volet ajouté par le Parlement en faveur de l’AVS.

Pression internationale

Aux Finances, Ueli Maurer a dû gouverner sous une pression étrangère constante. Le secret bancaire ayant déjà fait place à l’échange automatique d’informations, le ministre UDC a annoncé la fin des excès de zèle face à l’OCDE et une offensive pour mieux vendre la place financière.

C’était sans compter la réaction de l’Union européenne au piétinement de l’accord-cadre. Le grand argentier a dû vite convaincre le Conseil fédéral d’activer le droit d’urgence pour protéger la place financière d’une non-reconnaissance de l’équivalence boursière suisse au 1er juillet 2019. Son plan semble fonctionner pour l’instant.

L’abandon unilatéral de l’accord avec l’UE pourrait faire d’autres remous. Mais ce ne sera plus au terrien attaché à son Oberland zurichois de multiplier les voyages à l’étranger pour défendre les intérêts de la Suisse. Et de risquer les faux-pas. De manière générale, Ueli Maurer n’a pas brillé sur la scène internationale. Personne n’a oublié sa prestation ratée sur CNN après sa rencontre avec Donald Trump dans le Bureau ovale.

En Suisse, il a par contre recueilli davantage de lauriers, notamment auprès de la majorité bourgeoise du Parlement. Ueli Maurer s’est façonné une image de père la rigueur. Il n’a cessé d’aligner durant des années des programmes d’économies malgré des comptes excédentaires. L’ardoise du coronavirus a tiré un trait sur ses efforts pour effacer la dette.

Bérésina des Gripen

Craignant de se retrouver avec un nouveau Christoph Blocher au gouvernement, les Chambres n’avaient élu Ueli Maurer en 2008 qu’à une voix près. Le nouveau ministre de la défense a tout de suite abandonné le style vindicatif de sa présidence de l’UDC suisse.

Alors seul membre de son parti au gouvernement, il a d’abord multiplié les formules chocs. Entre l’idée de dénoncer la Convention européenne des droits de l’homme, ses critiques envers la politique suisse face à la Shoah et sa comparaison des femmes avec des «ustensiles hors d’usage», les exemples abondent.

Son bilan à la Défense ne donne pas de quoi pavoiser. Le major qui avait fait ses classes chez les cyclistes a subi une cuisante défaite en 2014 avec le refus par le peuple des Gripen pour plus de trois milliards de francs. Sa campagne a été jugée calamiteuse.

Reste un mystère: nul ne sait si Ueli Maurer a initié les autres ministres à ses talents particuliers. Il est capable de distinguer 40 variétés d’herbe rien qu’à leur goût. Il s’est aussi fait remarquer lors de son élection par un cri de ralliement à mi-chemin entre le yodel et le hululement.

«Un oeil qui rit et un oeil qui pleure»
Le conseiller fédéral Ueli Maurer quitte le gouvernement «avec un oeil qui rit et un oeil qui pleure», a-t-il déclaré vendredi devant la presse à Berne. Il va regretter une «équipe exceptionnelle», mais se réjouit de ce qui l’attend.
J’ai fait plus de 40 ans en politique, dont 14 au Conseil fédéral, le travail m’a vraiment beaucoup plu, a-t-il détaillé. Et de remercier les personnes avec qui il a travaillé et qui vont lui manquer.
D’un côté, il aurait envie de continuer, mais d’un autre, il a encore l’envie et l’énergie de faire quelque chose d’autre. «J’ai déjà des plans», notamment du sport, a-t-il dit sans dévoiler ses intentions.
Deux sièges à l’UDC
Sa démission n’a rien à voir avec les élections fédérales de l’année prochaine. «L’UDC a de toute façon droit à avoir au moins deux sièges au Conseil fédéral», selon lui. Il a simplement éprouvé l’envie de faire autre chose.
Le Zurichois a aussi hâte de retrouver une vie privée «normale». «Je vais retrouver un peu ma personnalité, avoir de nouveau une liberté de parole. Etre de nouveau Ueli et pas un conseiller fédéral.» Et de donner en exemple les demandes de «20 selfies entre la gare et le Palais fédéral».
Il a encore précisé que seule sa famille, «environ 20-25 personnes», était au courant depuis longtemps de sa démission. Le ministre sortant a assuré qu’une fois retiré, il ne se mêlerait pas des affaires courantes comme certains autres anciens conseillers fédéraux. Il a également indiqué qu’il refuserait toutes les interviews aujourd’hui et les jours à venir.
Collégial
A une question d’un journaliste sur le respect du principe de collégialité, Ueli Maurer a précisé qu’il avait toujours soutenu les projets du Conseil fédéral. Des divergences sont apparues entre lui et son parti. Quant au Parlement, il est dans son rôle lorsqu’il demande des dépenses supplémentaires. «Moi, je dois veiller sur la caisse».
Il s’est remémoré avec une certaine satisfaction sa période à la tête du département de la Défense. En tant que chef du DDPS, il avait notamment exigé plus de moyens pour l’armée. «On s’est moqué de moi il y a 12 ou 13 ans, mais aujourd’hui les faits se confirment».

 

La course à la succession est ouverte

La démission d’Ueli Maurer donne le coup d’envoi de la course à sa succession. La question sur toutes les lèvres est de savoir si l’UDC présentera pour la première fois une femme sur son ticket. Le Parlement élira le nouveau conseiller fédéral le 7 décembre prochain.

Le Zurichois a dit qu’il ne s’immiscerait pas dans le choix de son successeur. «C’est le travail du Parlement», a-t-il dit aux médias.

Les sections cantonales de l’UDC ont jusqu’au vendredi 21 octobre pour soumettre leurs candidats à la commission de sélection. Celle-ci procédera ensuite à des auditions et soumettra sa proposition à la direction du groupe parlementaire d’ici le 11 novembre. La nomination par le groupe parlementaire devrait vraisemblablement avoir lieu le 18 novembre.

La fille de Christoph Blocher, Magdalena Martullo-Blocher, est le premier nom qui vient à l’esprit. Mais elle ne se portera pas candidate, a-t-elle indiqué vendredi à Keystone-ATS. «L’UDC a suffisamment de candidats excellents.»

L’ancienne députée et actuelle ministre de la santé zurichoise Natalie Rickli pourrait être une option plus consensuelle. Son canton d’origine est un atout supplémentaire. Zurich n’a que rarement été exclu du Conseil fédéral. Pour M. Maurer, la provenance n’est plus aussi importante qu’il y a 50 ans.

D’autres politiciennes, à l’image de la Saint-Galloise Esther Friedli ou de la Thurgovienne Diana Gutjahr, pourraient également se profiler. Bien que vice-présidente du parti, Céline Amaudruz ne devrait en revanche pas encore s’annoncer. Genevoise, elle devrait plutôt attendre le départ de Guy Parmelin.

Quoiqu’il en soit, aucune ne sera la première élue du parti au Conseil fédéral. Eveline Widmer-Schlumpf, issue de l’aile modérée de l’UDC, avait été préférée en 2007 au ministre en place, Christoph Blocher. Exclue de son parti après un long processus, la conseillère fédérale avait finalement rejoint le PBD, créé en 2008 par les dissidents grisons, bernois et glaronnais de l’UDC.

Ou un ticket masculin?

Le parti conservateur pourrait toutefois ne pas vouloir envoyer une quatrième femme au Conseil fédéral et présenter un ticket exclusivement masculin. Le nom du chef du groupe parlementaire, Thomas Aeschi, pourrait alors revenir sur la table.

Candidat en 2015, l’économiste zougois aujourd’hui âgé de 43 ans avait été battu par Guy Parmelin. Cette fois-ci, sa position à la tête du groupe pourrait lui être plus favorable et lui donner l’envergure dont il pouvait manquer à l’époque. Le nom de l’ancien président de l’UDC et conseiller national bernois Albert Rösti est également cité.

Le conseiller national zurichois Gregor Rutz, ancien secrétaire général de l’UDC suisse, pourrait aussi se retrouver sur la liste, tout comme le député schaffhousois Thomas Hurter ou l’ancien président du parti Toni Brunner.

Certains évoquent également le conseiller national Roger Köppel. Mais le journaliste zurichois, directeur de la Weltwoche, devrait préférer son rôle de tribun à celui de conseiller fédéral. L’ancien président du Conseil des Etats Alex Kuprecht (SZ) devrait aussi laisser passer son tour.

Ambitions vertes

Le départ d’Ueli Maurer pourrait en outre susciter des convoitises au-delà de l’UDC. Depuis leur percée au Parlement, les Verts ne cachent pas leur volonté de conquérir un siège au Conseil fédéral. En décembre, ils ont envoyé leur cheffe de l’époque Regula Rytz tenter d’évincer le libéral-radical Ignazio Cassis. Seul leur allié de toujours, le PS, avait soutenu la Bernoise.

Fraîchement élu à la tête des Verts, Balthasar Glättli a réitéré cette ambition en juin. «Nous devons être prêts si quelqu’un se retire du Conseil fédéral», avait-il lancé lors d’une assemblée des délégués en ligne. S’il affirme ne pas vouloir du poste, il rêve cependant «d’être le président vert qui installera le premier ou plutôt la première conseillère fédérale verte».

Pas sûr toutefois qu’ils parviennent à infliger une telle perte à l’UDC. Le parti reste le premier de Suisse et capitalise là-dessus pour revendiquer deux sièges au gouvernement.

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