La Banque du Japon surprend en ajustant légèrement sa politique monétaire

AWP

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L’institution va désormais tolérer une fluctuation des rendements des obligations publiques à dix ans entre -0,5% et +0,5%. Elle fixait précédemment un plafond de 0,25%.

La Banque du Japon a surpris mardi les marchés et fait bondir le yen en assouplissant son contrôle des rendements des obligations publiques japonaises, mais a juré que ce n’était pas un prélude à un abandon de sa politique monétaire ultra-accommodante.

Il s’agit du premier ajustement de la politique de la BoJ depuis mars 2021, quand l’institution avait déjà élargi la fourchette des rendements obligataires qu’elle tolère.

Mais dans le contexte actuel des resserrements monétaires drastiques menés ailleurs dans le monde pour maîtriser une inflation échevelée, le mouvement de la BoJ a pris une autre dimension.

L’institution va désormais tolérer une fluctuation des rendements à dix ans entre -0,5% et +0,5%. Elle fixait précédemment un plafond de 0,25%, malgré une forte pression à la hausse des taux obligataires nippons cette année à cause des resserrements monétaires aux Etats-Unis et en Europe.

Pour défendre cette ligne rouge, la BoJ était contrainte de racheter des montagnes d’obligations publiques nippones, gonflant encore davantage son bilan déjà démesuré et accentuant encore les distorsions du marché obligataire nippon.

Cependant son nouvel ajustement n’est pas motivé par un quelconque changement de sa perception sur les perspectives de croissance et d’inflation au Japon, a souligné mardi son gouverneur Haruhiko Kuroda.

«Ce n’est pas une hausse de taux», a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse, ajoutant que les responsables de la BoJ était unanimes à juger «approprié» de garder un cap monétaire accommodant pour soutenir l’économie nippone et viser une stabilité de la hausse des prix autour de 2%.

«Ce n’est pas la première étape d’une sortie» de cette politique, a encore assuré M. Kuroda.

Lâcher un peu de lest sur son contrôle des rendements obligataires vise plutôt à améliorer le fonctionnement du marché et faciliter la «transmission» de sa politique monétaire accommodante et à mieux l’inscrire dans la durée, a expliqué la BoJ.

Chute du Nikkei, bond du yen

La plupart des analystes et acteurs de marché ne s’attendaient guère à une évolution du cap de la BoJ avant la fin, en avril prochain, du deuxième et dernier mandat de M. Kuroda, incarnation même de la politique monétaire ultra-accommodante nippone depuis 2013. Son successeur n’a pas encore été nommé par le gouvernement.

La Bourse de Tokyo a très mal pris les annonces de la BoJ, son indice vedette Nikkei clôturant en forte baisse de 2,46%.

A l’inverse le yen bondissait, alors qu’il avait chuté à partir de mars dernier par rapport au dollar du fait des politiques monétaires de plus en plus divergentes entre les deux côtés du Pacifique.

Vers 08H40 GMT le billet vert s’échangeait à un dollar pour 132,34 yens, contre plus de 137 yens avant les annonces de la BoJ.

Malgré les dénégations de M. Kuroda, «calmer les spéculations quant à une normalisation supplémentaire de la BoJ en 2023 ne sera pas simple», ont commenté des économistes de la banque ING dans une note.

L’inflation frappe aussi au Japon

Avec la flambée des prix des hydrocarbures sur fond d’invasion russe en Ukraine, l’inflation a aussi accéléré au Japon, dans des proportions moindres qu’ailleurs mais néanmoins exceptionnelles pour ce pays miné par une tendance déflationniste depuis les années 1990.

L’inflation japonaise hors produits frais a atteint 3,6% sur un an en octobre, un record depuis 40 ans. Des économistes s’attendent à un niveau de 4% en fin d’année.

La BoJ s’attend toujours à une décélération de l’inflation japonaise en 2023/24 car celle-ci est essentiellement due à la flambée des prix des importations nippones, transitoire selon l’institution.

La BoJ a maintenu mardi son taux d’intérêt négatif de -0,1% sur les dépôts des banques auprès d’elle et va continuer à acheter autant d’obligations publiques japonaises que nécessaire pour maintenir leurs rendements «autour de 0%», selon un communiqué.

Son entêtement à maintenir ses taux ultra-bas avait fait plonger cette année le yen à ses plus faibles niveaux face au dollar depuis 1990.

Un yen faible est habituellement bien vu par Tokyo, car cela rend les exportations japonaises plus compétitives et gonfle artificiellement les bénéfices des entreprises nationales générés à l’étranger.

Mais cela rogne aussi le pouvoir d’achat des ménages nippons à l’heure où les importations sont devenues si chères.

Le plongeon de la monnaie nationale a été si brutal qu’il a poussé l’Etat japonais à intervenir plusieurs fois en septembre-octobre sur le marché des changes, en vendant des dizaines de milliards de dollars de ses réserves de change pour soutenir le yen.

Le contrôle des rendements obligataires, outil monétaire radical de la BoJ

La Banque du Japon a provoqué mardi une onde de choc sur les marchés en assouplissant son étroit contrôle des rendements des obligations publiques japonaises à dix ans. Il s’agit de l’outil le moins conventionnel de sa politique monétaire ultra-accommodante.

La BoJ a recours depuis 2016 à cette mesure radicale et très rarement expérimentée par d’autres banques centrales, à part la Fed américaine pendant et après la Seconde Guerre mondiale et la Banque centrale australienne (RBA) entre 2020 et 2021. A l’époque, la politique d’achats d’actifs massifs de la BoJ lancée en 2013 pour tenter de réveiller durablement la croissance et l’inflation au Japon avait eu pour effet pervers de faire tomber des rendements obligataires nippons en territoire négatif.

Cela mettait en danger le secteur financier du pays, déjà échaudé par le taux d’intérêt négatif de -0,1% fixé peu auparavant par la BoJ sur les dépôts des banques auprès d’elle, pour les inciter à prêter davantage aux entreprises et aux ménages. Aussi le but initial de cet outil appelé «yield curve control» en anglais (YCC) était de maintenir les rendements des obligations publiques japonaises à dix ans entre -0,1% et +0,1% pour éviter qu’ils ne se dégradent trop.

Depuis 2016, la BoJ mène des opérations d’achats d’obligations publiques illimités et à taux fixe pour parvenir à ses fins. La BoJ a progressivement rendu plus flexible son contrôle des rendements obligataires: en 2018 elle a opté pour une fourchette comprise entre -0,2% et +0,2%, élargie en mars 2021 à -0,25% et +0,25%, et depuis ce mardi comprise entre -0,5% et +0,5%.

Un marché distordu

En élargissant cette fourchette, la BoJ cherche à améliorer le fonctionnement du marché obligataire japonais, distordu par ses interventions massives: à fin septembre, l’institution détenait désormais plus de 50% de la valeur totale de ce marché contre environ 10% il y a dix ans, selon des données publiées lundi. Sous l’effet des resserrements monétaires drastiques contre l’inflation menés depuis cette année aux Etats-Unis et en Europe, de nombreux spéculateurs, surtout à l’étranger, ont pensé que la BoJ allait être obligée de faire rapidement de même et ont vendu massivement leurs obligations publiques japonaises, faisant grimper leurs rendements.

Longtemps, la BoJ a farouchement défendu sa ligne rouge de +0,25% sur les rendements à dix ans en multipliant ses opérations d’achats illimités à taux fixe. Mais par la même occasion, elle a encore augmenté son emprise sur le marché obligataire nippon, créant un cercle vicieux difficilement tenable à long terme. Porter son plafond à 0,5% ne marque pas le début d’un resserrement monétaire de la BoJ mais vise à rendre sa politique de contrôle de la courbe des rendements «plus soutenable», a estimé mardi Norihiro Yamaguchi du cabinet Oxford Economics.

Le rendement des obligations publiques japonaises à dix ans a aussitôt bondi mardi jusqu’à plus de 0,4%, au plus haut depuis 2015.

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