Vers un nouvel ordre de l’industrie de la gestion d’actifs

Anne Barrat

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Selon Petra Stassen de NN IP, les défis liés à la mise en conformité avec le plan vert de l’UE auront un impact profond sur les acteurs de l’industrie.

Les gérants d’actifs ne sont pas tous armés pour se mettre au diapason des principaux impacts préjudiciables en matière de durabilité de leurs fonds article 8 ou article 9 au sens du règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) d'ici le 30 juin 2023 pour couvrir l'année 2022. Répondre aux exigences de ce règlement entré en vigueur le 10 mars 2021 nécessite des ressources importantes dans un calendrier très serré: Une tâche herculéenne que ne facilite pas le flou de la taxonomie verte qui complète SFDR, et une facture salée qui ne manquera pas de remodeler l’organisation de l’industrie. Le prix à payer pour une finance durable. Entretien avec Petra Stassen, Chief Sustainable Officer chez NN Investment Partners.

Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez dans le chantier qu’impliquent les nouvelles obligations de publication d'informations de la SFDR?

Permettez-moi tout d'abord de souligner que nous sommes très favorables à la transparence accrue visée par la réglementation sur la finance durable, car elle permettra de mieux comprendre et de mieux comparer, tout en créant une plus grande sensibilisation. En même temps, la réglementation induit des travaux de grande ampleur, allant de la revue de tous nos portefeuilles et la catégorisation de tous nos fonds à la publication des politiques sur le risque de durabilité et les incidences négatives notamment, en passant par l’actualisation de tous les documents juridiques liés aux fonds. Il s’agit d’un véritable chantier en effet, qui nous est facilité par la préexistence d’une catégorisation maison que nous avions réalisée en 2019. Des ajustements sont néanmoins nécessaires, qui sont compliqués par le flou des frontières qui existe parfois entre les articles 6, 8, et 9 ainsi que par le manque de clarté de certaines dispositions du niveau 1. Elles laissent des espaces d’interprétation importants, par exemple sur le statut d’instruments dérivés, dont il est difficile d’évaluer le sous-jacent, ou encore de levier financier. Là où l’intégration des critères ESG laissait une marge de manœuvre, la nouvelle réglementation impose une classification rigide, 6, 8 ou 9, en apportant souvent plus d’ombre que de lumière. Sans compter qu’elle peut interférer avec des labels locaux, en Belgique et en France par exemple, avec lesquels elle n’est pas toujours alignée. Le calendrier ensuite, une course contre la montre, même si la Commission Européenne a reporté au 1er janvier 2023 le niveau 2 de la SFDR initialement prévue le 1er juillet 2022. Il s'agit donc clairement de véritables défis, mais nous pensons qu'en fin de compte, tout cela conduira à une augmentation des flux de capitaux vers des investissements et des activités durables, ce qui est notre objectif, ainsi que celui du secteur.

Les distributeurs sont d’ailleurs davantage guidés par la philosophie et le processus d’investissement que par un label, article 8, 9,…
Quid de la récole des données?

La récolte des données est l’un des plus grands défis de la mise en œuvre de la nouvelle réglementation, avec son pendant chez ceux des émetteurs concernés par la taxonomie vertes (les entreprises de plus de 500 salariés et un bilan supérieur à 20 millions d’euros ou un chiffre d’affaires supérieur à 40 millions d’euros). Ces  entreprises devront publier au début 2023 leurs données, en divulguant comment leurs activités s'alignent sur les critères qualitatifs et quantitatifs des deux premiers objectifs environnementaux (l’atténuation du changement climatique et l’adaptation au changement climatique). D’ici là, nous devons, en tant qu’investisseur et gérant d’actifs, nous engager sur des choix, des stratégies – certaines de nos stratégies se trouvant désormais hors du champ des possibles – sans pouvoir nous appuyer sur 100% de données fiables. Nous faisons tous les efforts raisonnables pour obtenir les informations des sociétés elles-mêmes ou développer nos propres outils pour faire de bonnes projections et estimations. Quant aux vendeurs de données, ils ne nous aident pas toujours, en livrant des conclusions différentes sur une même société.

Ces différences ne nuisent-elles pas à la lisibilité des produits donc à une concurrence loyale?

Les interprétations divergentes de données relatives aux entreprises peuvent en effet avoir des conséquences sur la composition des fonds et sa classification: un fonds labélisé article 6 peut être un fonds labélisé article 8 pour un autre gestionnaire d'actifs. Il est difficile de comprendre ce que font les autres acteurs du secteur, car ils sont confrontés aux mêmes difficultés lorsqu'il s'agit d'interpréter les orientations données. Il est clair que le marché a besoin de plus d'orientations et de clarté, et de préférence rapidement, car la rapidité est essentielle dans ce contexte où il ne reste qu'un an pour s'aligner. Cependant, il est également important de ne pas se contenter de demander aux régulateurs de donner des orientations, mais de déployer tous les efforts possibles pour développer les meilleures pratiques. La lisibilité pour nos clients, que ce soient les investisseurs institutionnels et les distributeurs de fonds, sera peut-être moins évidente dans cette courte période de transition, mais cela ne durera pas. Nous pensons que cela s'améliorera à long terme. Les distributeurs sont d’ailleurs davantage guidés par la philosophie et le processus d’investissement que par un label, article 8, 9,…

Quant aux entreprises dans lesquelles vous investissez, comment vivent-elles cette période de transition?

Il faut distinguer les Européennes des autres, dans les pays émergents notamment. Si toutes deux sont sous pression en raison de la vitesse des changements impliqués par l’alignement de leurs activités, les entreprises européennes ont l'avantage de disposer déjà d'outils qu'elles peuvent utiliser pour répondre à la déclaration de performance extra-financière (DPEF) en vertu de la Directive sur l’information extra-financière. Les entreprises des marchés émergents sont en revanche dans une position beaucoup plus difficile pour rendre compte de ces normes, ce qui nous pose des problèmes similaires dans nos décisions d’investissement. Bien que nous ayons une définition stricte de l'intégration ESG chez NN IP que nous appliquons à tous nos investissements, les critères que nous fixons avec les entreprises des pays développés ne sont pas toujours réalistes pour les entreprises bénéficiaires des marchés émergents. C'est pourquoi nous préférons adopter une approche sur mesure pour les marchés émergents, afin de leur donner la possibilité de s'adapter et d'apporter des améliorations au fil du temps